Mes yeux ont vu la gloire de la venue du Seigneur

Culte de fin d’année 31 décembre 2017 à Bois Colombes
Lecture : Luc 2 / 21 – 39


Prédication :
« Eh bien, je ne sais pas ce qui va arriver maintenant. Nous avons devant nous des journées difficiles. Mais peu m’importe ce qui va m’arriver maintenant, car je suis allé jusqu’au sommet de la montagne. Je ne m’inquiète plus. Comme tout le monde, je voudrais vivre longtemps. La longévité a son prix. Mais je ne m’en soucie guère maintenant. Je veux simplement que la volonté de Dieu soit faite. Et il m’a permis d’atteindre le sommet de la
montagne. J’ai regardé autour de moi. Et j’ai vu la terre promise. Il se peut que je n’y pénètre pas avec vous. Mais je veux vous faire savoir, ce soir, que notre peuple atteindra la Terre promise. Ainsi je suis heureux, ce soir. Je ne m’inquiète de rien. Je ne crains aucun homme. Mes yeux ont vu la gloire de la venue du Seigneur » (MLK, Autobiographie, p.435).
Ce sont les dernières paroles du pasteur nord-américain MLK, prononcées la veille de son assassinat : le 4 avril 1968, il y bientôt 50 ans ! Paroles prophétiques d’une foi, d’une certitude, d’absence de peur extraordinaire – face à un monde dominé jadis comme aujourd’hui par la violence, l’oppression, l’injustice que MLK ne tait pas !
Paroles qui n’ont ainsi rien de naïf, rien de déconnectées de la réalité du monde.
Conscient que la libération du joug de l’oppression, du racisme, de la violence est encore loin d’être réalisée pleinement – et ne le sera sans doute jamais pleinement sur notre terre ! – MLK prononce ces paroles devenues ses dernières parce qu’il a « vu », au-delà de la réalité de monde, autre chose : « Mes yeux ont vu la gloire de la venue du Seigneur ». Paroles de foi qui font écho à celles prononcées, dans notre récit « d’après-Noël » du vieux Syméon, lui aussi, pleinement conscient qu’il prononce là peut-être ses dernières paroles : « Maintenant, Maître, c’est en paix, comme tu l’as dit, que tu renvoie ton serviteur. Car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé face à tous les peuples : lumière pour la révélation aux païens et gloire d’Israël ton peuple », Luc2/29-32. MLK comme Syméon ont « vu » quelque chose d’autre que la dure réalité du monde – sans la nier ! Et c’est cette « vision » qui opère un changement profond, radical en eux.
Désormais, ils n’ont plus peur ; ils n’ont plus peur … de mourir.
Ce qu’ils ont « vu » les a fait passer au-delà de la peur pour leur propre vie. Ce qu’ils ont « vu » de la « gloire de Dieu » était plus fort, plus puissant que les « ténèbres de ce monde » ! Ce qu’ils ont « vu » dépasse le cadre de leur propre existence :
– MLK parle de « la terre promise » et de la « gloire de la venue du Seigneur » ;
– Syméon, en s’adressant à ce même Seigneur-Dieu dit : « mes yeux ont vu ton salut ». …
L’un comme l’autre, durant leur vie, n’ont cessé d’attendre, de s’engager pour la « justice » de Dieu, pour l’avènement de son « royaume », de son « salut ».
Non seulement pour leur propre personne, leur propre famille, leur propre peuple, mais pour « tous les peuples », comme le dira Syméon ; pour toutes les nations vivant encore sous le joug de l’injustice, de la ségrégation raciale – et sociale, dira MLK.
L’un comme l’autre ont « vu » la « terre promise » ; l’un comme l’autre ont vu arriver « la gloire de la venue du Seigneur » .

La « terre promise », la « gloire de la venue du Seigneur » désignent une réalité qui est au-delà de celle que nous connaissons et dans laquelle nous vivons. Une réalité qui se laisse apercevoir, qui est même à portée de main – et qui reste encore à venir.
C’est aussi ce qui caractérise le « Royaume de Dieu » que Jésus – adulte – annonce comme réalité encore à « venir » et, pourtant, déjà « là », « au milieu de vous » (cf. Luc 17 / 21 : « En effet, le Règne de Dieu est parmi vous »). …
C’est déjà l’expérience du peuple d’Israël dans sa marche à travers le désert – en attendant de pénétrer dans la « terre promise », terre dans laquelle « lait et miel » couleraient à flots. …
Mais lorsque le peuple sera, enfin, entré dans cette « terre » de Canaan, lorsqu’il y sera installé et que David et Salomon y auront installé leur règnes successifs, ces règnes ne seront pas ceux vraiment de « Dieu » ou des « Cieux » dont Jésus parlera plus tard.
La « terre d’Israël » ne sera pas non plus tout à fait la « terre promise » par le SEIGNEUR DIEU : ni lait, ni miel, n’y couleront ; seulement un petit ruisseau appelé « Jourdain » qui doit se frayer son lit à travers les monts et collines arides du désert de la Judée ! …
Et aujourd’hui, ni aux USA ni en Israël ni ailleurs où vivent des Églises chrétiennes on ne peut parler sérieusement de la réalisation de la promesse du « salut », de la « terre promise » …et donc, on pourrait, alors, se résigner à l’échec. …
Serait-ce alors une tromperie, un mensonge de promettre « une terre », un « Royaume » qui, finalement, semble rester hors de « porté de main » ?
A quoi bon espérer, attendre, croire à quelque chose qui n’arrivera jamais ? Ou seulement dans un au-delà inaccessible aux vivants sur la terre ?
La foi, ne serait-elle possible qu’aux enfants ou qu’aux gens pieux, naïfs ou simples d’esprit ? …Peut-être faut-il, en effet, être habité par une certaine « naïveté », proche d’une « foi d’enfant » pour pouvoir espérer au-delà de ce qui paraît possible, réalisable à vues humaines ?! …
Mais, ni MLK, ni Syméon n’ont été « naïfs » au point de croire que le « salut de Dieu » qu’ils ont aperçu signifierait harmonie, disparition des conflits et fin de toute souffrance.
– Syméon, dans la suite, en s’adressant à la mère de l’enfant Jésus, annoncera, au contraire « la chute » pour beaucoup et le « glaive qui transpercera l’âme » ;
– MLK se doute que lui-même – tout comme Moïse jadis – ne va peut-être pas arriver personnellement en « terre promise ».
Pourtant, ce qu’ont « vu », à la fois MLK et Syméon, c’est, visiblement une autre réalité que celle qui se confond avec la « réalité du monde ». Une réalité, certes, invisible à celle ou celui qui « n’y croit pas », mais capable de susciter courage, persévérance et espérance chez celle ou celui qui « a vu ». …
… Mais, alors, qu’ont-ils vu, concrètement, au juste, MLK et Syméon ?
Quelle est cette vision extraordinaire qui a suscité en eux une telle « foi », une telle « espérance » – malgré les apparences ? Concrètement, ils n’ont rien vu d’autre qu’un … enfant nouveau-né, dans les bras de sa mère !
Ils ont vu – incarné dans ce petit enfant fragile et vulnérable – le visage même de Dieu !
Dieu, Créateur et Sauveur qui se révèle dans le sourire d’un petit enfant, fragile – mais lumineux comme l’étoile de la nuit qui a guidé les bergers et les mages jusqu’à l’endroit où ils trouvent « l’enfant couché dans la mangeoire », Luc2/16. …
… C’est ce qu’aura, non seulement vu, mais encore « touché » Syméon : dans le texte, nous lisons qu’il « prit l’enfant dans ses bras » ; littéralement, il le « reçut ».

… Vous imaginez : la mère d’un enfant dont vous êtes peut-être la marraine ou le parrain, ou le papy, la mamie ou autre personne proche de la famille vous confie leur nouveau-né ; vous le prenez, vous le recevez – et vous avez peut-être même un peu peur de lui faire mal, de le laisser tomber …
Vous êtes, alors, à la fois dans un rôle actif : vous « prenez » et vous « tenez » l’enfant dans vos bras ; mais, en même temps dans un rôle passif : vous recevez, on vous confie un trésor précieux, qui, pour ceux qui l’aiment « n’a pas de prix », dépasse en « valeur » tout autre « bien » de ce monde. …
… Je crois, que ce n’est pas pour rien que, ici encore, Luc décrit le « salut » promis par Dieu – qui dépasse largement tout ce que nous pourrions imaginer, tout ce à quoi nous pourrions nous attendre comme « summum de bonheur » – en la personne d’un petit enfant : Il y devient visible – et même touchable – de la vie que Dieu nous promet : une Vie déjà là, au milieu de nous, mais qui, justement, vient au monde dans la fragilité et dans l’imperfection de notre existence humaine.
Dieu qui se donne à connaître, à recevoir dans le corps d’un nouveau-né, c’est pour nous inviter à accepter notre propre humanité, fragile, vulnérable, imparfaite. Dieu qui se donne à connaître dans « l’enfant Jésus », c’est pour nous préserver de chercher Dieu « au-dessus de nous », dans un ailleurs « purifié » :
Martin Luther – le grand parrain qui a donné son nom à Martin Luther King ! – a toujours mis en garde de chercher Dieu ailleurs que dans « l’enfant dans la crèche » et « le Christ crucifié » dont le regard posé sur notre vie fragile et vulnérable est le seul à pouvoir nous apporter « joie », « espérance » et « amour » ! …
… et nous sauve ainsi de toute quête, de toute prétention d’être « juste », d’être « connu », d’être « reconnu », c’est à dire : aimé par nos oeuvres et mérites !
Dieu se révèle dans ce petit enfant fragile, menacé qui demande à être « reçu », à être « bercé » par nos bras …
Le vieux Syméon – tout comme son alter-égo dans le récit, la prophétesse Anne – n’ont pas cessé d’y croire tout au long de leur longue vie.
Tous deux chantent leur joie, leur reconnaissance d’avoir pu apercevoir la réalisation de la promesse de Dieu en la personne de l’enfant Jésus, incarnation de l’Amour plus puissant que la mort de Dieu.
Amour qui veut nous habiter pleinement, de sorte que, désormais, plus rien ne nous fera peur – et que nous pourrons, comme Syméon, comme MLK – … et, dans quelques instant, comme Dietrich Bonhoeffer chanter la louange des « merveilleuses puissances » de Dieu nous invitant à laisser derrière nous ce qui a été vécu, le laisser aller, le laisser partir … en attente de la vie qui, toujours, nous est promise de nouveau, demain, pour une nouvelle année sous la promesse de son AMOUR tout puissant ! … .

Amen.

Pasteur Andréas Seyboldt