les crises peuvent faire grandir (dimanche 2 mars 2014)

Texte biblique : Esaïe 62, 1-7

« Je suis enthousiasmé par toi »

Un homme pourrait-il faire une plus belle déclaration à sa femme?

Dieu pouvait-il faire une plus belle déclaration à son peuple ?

L’Eternel est amoureux de son peuple comme au premier jour.

Et pourtant, le Royaume de Juda a succombé à l’attrait d’une autre civilisation, celle de Babylone et de ses divinités, il a douté de Dieu.

Il est vrai que le peuple juif traverse une épreuve majeure.

A la tête des armées babyloniennes, Nabuchodonosor a envahi le Royaume de Juda et sa capitale, Jérusalem. Le Temple a été détruit, les élites déportées à Babylone, pour 50 ans … avant que les Babyloniens ne soient à leur tour vaincus par les Perses.

Alors, les enfants d’exilés peuvent regagner leur pays, le temple est reconstruit.

La parenthèse semble refermée.

En apparence … car, le peuple juif sort profondément transformé de cette épreuve.

Il vit une triple crise : crise spirituelle, crise de l’espérance, crise communautaire.

Evoquons d’abord la crise spirituelle.

Parmi ceux qui rentrent d’exil, la confusion règne entre l’Eternel et les divinités païennes.

A Babylone, ils ont fait la connaissance de nouveaux dieux et de nouvelles religions.

Ils ont découvert une astrologie savante.

Comment savoir ce qu’il est juste de croire ?

Comment oser affirmer que l’Eternel est le seul dieu ?

Quant aux Juifs restés sur place, ils ont frayé avec les occupants.

Ils vivent désormais avec des immigrés, qui ont été embauchés pour rebâtir la ville.

Des populations se sont mélangées, des mariages se sont conclus, des idées et des croyances ont circulé.

Ainsi, les uns comme les autres ne savent plus quel dieu adorer.

Crise spirituelle. Crise d’espérance.

Beaucoup de Juifs ont cru que le jour du salut était proche, que le Seigneur les libèrerait rapidement de l’exil.

Ils s’y sont préparés, ils ont attendu, des prophètes ont annoncé l’imminence du retour, mais rien n’est venu.

50 ans, c’est long.

Alors, ils ont perdu espoir, ils se sont lassés d’attendre.

Bien sûr, l’exil a finalement pris fin mais le peuple ne sait pas s’il peut encore fonder sa confiance en Dieu. Est-il vraiment fidèle à Israël ? Dirige-t-il vraiment le cours des existences ?

Crise communautaire, enfin.

Pour ceux qui sont restés à Jérusalem, les exilés représentent une charge financière lourde.

Il faut les réinstaller dans des maisons détruites ou construire de nouveaux logements.

Quant aux exilés, ils accusent les premiers nommés d’avoir pactisé avec l’ennemi.

Et il y a toujours ces étrangers dont on ne sait que faire.

Alors, très vite, entre les uns et les autres, la tension monte.

Voici le climat qui régnait à Jérusalem, lorsque ce texte est écrit… et ce climat ne nous est pas étranger.

Car, en 2014 comme au retour d’exil, notre foi est aussi désorientée.

Les exilés d’Israël avaient découvert les religions babyloniennes et les trouvaient bien attirantes.

Aujourd’hui, par la mondialisation de l’information, le tourisme, les flux migratoires, nous découvert d’autres cultures. Nous avons appris à frayer avec d’autres religions, autrefois lointaines, comme l’islam ou le bouddhisme.

De nouvelles philosophies répondent à une quête diffuse de paix intérieure ou d’harmonie.

Nous parlons de méditation sans dieu, de spiritualité laïque, de réincarnation chrétienne.

Comment réagir ? En affirmant farouchement notre identité religieuse ou en adaptant notre foi à ces nouvelles attentes ?

Crise d’espérance aussi.

Nous ne savons plus si nous pouvons placer notre confiance en Dieu.

Il paraît parfois si absent de nos vies et de notre monde.

Pouvons-nous le prier pour la paix dans le monde alors que cette paix dépend surtout de nous ?Pouvons-nous le prier pour la sauvegarde d’une planète que nous endommageons de plus en plus? Pouvons-nous le prier pour la guérison de nos proches alors que, parfois, la maladie les emporte ?

Enfin, nous ne savons pas vivre les uns avec les autres.

Si le monde ne traverse plus des guerres de grande ampleur, la situation reste instable et inquiétante dans de nombreux pays. Et nous ne pouvons que penser à la Syrie, à l’Ukraine.

En France, les populations tendent à se fragmenter et à s’opposer.

La tentation communautaire guette.

Les analogies sont donc nombreuses.

Ecoutons-donc avec attention le prophète.

A eux comme à nous, Esaïe annonce une bonne nouvelle : le Seigneur est là.

Loin de t’avoir abandonné, il est près de toi et il t’aime comme au premier jour : « Ton Dieu sera enthousiasmé par toi, de l’enthousiasme du fiancé pour sa fiancée ».

Dieu t’aime, que tu t’en estimes digne ou pas, que tu te laisses aimer ou pas.

Dieu t’aime comme un amoureux aime sa belle (et réciproquement !)

Il t’aime avec ce que tu es, il t’aime avec ce que tu charries.

Et son amour n’est pas théorique.

Il se traduit concrètement.

D’abord, il se traduit par sa présence, sa présence auprès de toi, sa présence en toi.

Présence qui réconforte, présence qui apaise, présence qui sauve.

« Voici le salut qui vient » dit Esaïe.

En préparant le culte de confirmations de catéchumènes, je demandais à chacun d’entre eux ce qu’ils attendaient de Dieu et l’un m’a répondu : « qu’il me sauve … de ce sentiment de vide, de gâchis ».

Oui, Dieu sauve. Il nous sauve de l’absurde en donnant sens.

Il nous sauve de l’apathie en nous appelant à son service.

Il nous sauve du mal en nous donnant des règles de vie commune, des limites à notre désir de puissance.

Il nous sauve en augmentant notre capacité à aimer.

Pour qu’il en soit ainsi, pour que Dieu puisse agir en nous, Esaïe donne un double mot d’ordre : vigilance et mémoire.

D’abord la vigilance.

Coimme Ezéchiel, dont nous avons parlé il y a deux semaines, Esaïe compare le croyant au guetteur : « Sur tes murailles, Jérusalem, j’ai posté des gardes ; à longueur de jour, à longueur de nuit, ils ne doivent pas rester inactifs ».

Le croyant doit rester vigilant, dans la foi.

Sinon, comme un feu qui n’est pas régulièrement alimenté, elle baisse d’intensité puis s’éteint.

Deuxième mot : « mémoire » : « Vous qui ravivez la mémoire de l’Eternel, pas de répit pour vous ».

Nous constatons, y compris dans nos Eglises, un affaissement de notre connaissance de la Bible.

Nous connaissons moins bien les récits bibliques, nous les comprenons plus difficilement.

Pour que l’Evangile puisse, de nouveau, nous toucher, nous devons « raviver la mémoire de l’Eternel ».

Alors, alors seulement, nous pourrons surmonter cette triple crise. et en faire une source de croissance spirituelle.

Comment douter de Dieu si nous expérimentons sa présence ,

Nous l’avons dit, comme Israël, nous sommes en contact avec de nombreuses philosophies ou religions qui nous troublent et sur certains points nous séduisent.

Si nous restons fermes dans notre foi, nous n’avons rien à craindre d’elles. Au contraire, elles peuvent nous enrichir.

Le bouddhisme, par exemple, peut nous amener à reprendre contact avec notre corps et à approcher différemment la souffrance.

L’islam et le judaïsme nous rappellent la nécessité d’une foi vécue dans le quotidien.

Le peuple juif a finalement beaucoup appris des autres peuples et des autres religions.
Historiquement, la grande période de son développement fut celle de son ouverture.

De même, si nous restons ancrés dans l’amour du Christ, nous saurons nous ouvrir sans nous perdre, résister à la tentation du ghetto religieux ou social.

Nous pouvons aussi épurer notre foi.

A Babylone, les Juifs font une découverte majeure : ils peuvent adorer Dieu et vivre de sa présence, en dehors du Temple ou de lieux de sanctuaire.

Parce qu’ils n’ont plus de lieux saints, ils se découvrent peuple de la Parole.

Comme protestants, nous n’accordons pas grande importance aux rites, aux sanctuaires ou aux traditions. Pourtant, nous avons bien du mal à évoluer dans nos pratiques.

Notre crise d’identité spirituelle peut nous aider à faire le tri entre nos rites, nos traditions et habitudes et ce qui est le cœur de notre foi : Jésus-Christ qui a vécu par l’amour et dans l’amour et qui nous appelle à faire de même.

Là et là seulement réside notre identité spirituelle.

Tout le reste est accessoire, second, relatif.

Nous pourrons enfin mûrir dans notre amour pour Dieu.

« Le Seigneur mettra son plaisir en toi » s’écrie Esaïe.

Il sera « enthousiasmé par toi »

Esaïe annonce un amour divin renforcé par l’épreuve.

Non seulement les infidélités du peuple n’ont pas éteint l’amour de Dieu mais elles l’ont même renforcé. L’Eternel aime son peuple comme au premier jour ; il l’aime comme un époux aime son épouse après que leur relation ait été menacée.

De même, nos crises spirituelles, nos phases de doute et de révolte, nos questions restées sans réponse, peuvent renforcer notre amour pour Dieu, en y incluant le questionnement et la gratuité et renforcer ainsi notre espérance.

Au commencement de l’amour conjugal, chacun attend de l’autre qu’il réponde à ses attentes et comble ses manques. Et inévitablement survient la première crise.

Le couple, alors, se disloque ou au contraire, grandit et mûrit.

L’autre est aimé pour ce qu’il est et non pour ce qu’il comble.

Il en est de même dans notre union à Dieu.

Les crises spirituelles que nous traversons, qu’elles soient personnelles ou collectives, peuvent nous permettre d’accéder au stade supérieur de l’amour : aimer Dieu, pour ce qu’il est et non pour ce que nous attendons de lui. 

Amen !