L’éphémère

EGLISE PROTESTANTE UNIE d’Argenteuil, Asnières, Bois-Colombes, Colombes Culte sur le thème de l’Ephémère dans le cadre du Printemps des Poètes 3 avril 2022, Pasteur Denis Heller

Lectures bibliques

1 Rois 19 v 9 à 17

Arrivé à l’Horeb, Élie entra dans une caverne, où il passa la nuit. Alors la parole du Seigneur lui fut adressée : « Pourquoi es-tu ici, Élie ? » 10Il répondit : « Seigneur, Dieu de l’univers, j’ai tant de zèle pour toi que je ne supporte plus la façon d’agir des Israélites ! En effet, ils ont rompu ton alliance, ils ont démoli tes autels, ils ont tué tes prophètes par l’épée ; je suis resté moi seul, et ils cherchent à m’ôter la vie ! » – 11« Sors, lui dit le Seigneur ; tu te tiendras sur la montagne, devant moi ; je vais passer. « Aussitôt un grand vent souffla, avec une violence telle qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers devant le Seigneur ; mais le Seigneur n’était pas présent dans ce vent. Après le vent, il y eut un tremblement de terre ; mais le Seigneur n’était pas présent dans le tremblement de terre. 12Après le tremblement de terre, il y eut un feu ; mais le Seigneur n’était pas présent dans le feu. Après le feu, il y eut le bruit d’un souffle léger. 13Dès qu’Élie l’entendit, il se couvrit le visage avec son manteau, il sortit de la caverne et il se tint devant l’entrée. Il entendit de nouveau une voix qui disait : « Pourquoi es-tu ici, Élie ? » 14Il répondit : « Seigneur, Dieu de l’univers, j’ai tant de zèle pour toi que je ne peux plus supporter la façon d’agir des Israélites ! En effet, ils ont rompu ton alliance, ils ont démoli tes autels, ils ont tué tes prophètes ; je suis resté moi seul et ils cherchent à m’ôter la vie. »15Mais le Seigneur lui dit : « Va, retourne par le même chemin à travers le désert, et rends-toi à Damas. Tu y choisiras de ma part avec l’huile d’onction Hazaël comme roi de Syrie. 16Puis tu choisiras comme roi d’Israël avec l’huile d’onction, Jéhu, fils de Nimchi, et tu choisiras Élisée, fils de Chafath, d’Abel-Mehola, pour te succéder comme prophète

Luc 24 v 11 à  35

13Et voici, ce même jour, deux disciples allaient à un village nommé Emmaüs, éloigné de Jérusalem de soixante stades;14et ils s’entretenaient de tout ce qui s’était passé.15Pendant qu’ils parlaient et discutaient, Jésus s’approcha, et fit route avec eux.16Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.17Il leur dit: De quoi vous entretenez-vous en marchant, pour que vous soyez tout tristes?8L’un d’eux, nommé Cléopas, lui répondit: Es-tu le seul qui, séjournant à Jérusalem ne sache pas ce qui y est arrivé ces jours-ci? –19Quoi ? leur dit-il. -Et ils lui répondirent : Ce qui est arrivé au sujet de Jésus de Nazareth, qui était un prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple,20et comment les principaux sacrificateurs et nos magistrats l’on livré pour le faire condamner à mort et l’ont crucifié.

21Nous espérions que ce serait lui qui délivrerait Israël; mais avec tout cela, voici le troisième jour que ces choses se sont passées.22Il est vrai que quelques femmes d’entre nous nous ont fort étonnés; s’étant rendues de grand matin au sépulcre23et n’ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire que des anges leurs sont apparus et ont annoncé qu’il est vivant.24Quelques-uns de ceux qui étaient avec nous sont allés au sépulcre, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit; mais lui, ils ne l’ont point vu.25Alors Jésus leur dit: O hommes sans intelligence, et dont le coeur est lent à croire tout ce qu’ont dit les prophètes!26Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses, et qu’il entrât dans sa gloire?27Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait.28Lorsqu’ils furent près du village où ils allaient, il parut vouloir aller plus loin.29Mais ils le pressèrent, en disant: Reste avec nous, car le soir approche, le jour est sur son déclin. Et il entra, pour rester avec eux.30Pendant qu’il était à table avec eux, il prit le pain; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le leur donna.31Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent; mais il disparut de devant eux.32Et ils se dirent l’un à l’autre: Notre cœur ne brûlait-il pas au dedans de nous, lorsqu’il nous parlait en chemin et nous expliquait les Écritures?33Se levant à l’heure même, ils retournèrent à Jérusalem, et ils trouvèrent les onze, et ceux qui étaient avec eux, assemblés

34et disant: Le Seigneur est réellement ressuscité, et il est apparu à Simon.35Et ils racontèrent ce qui leur était arrivé en chemin, et comment ils l’avaient reconnu au moment où il rompit le pain.

Prédication

Si on se reporte à l’étymologie grec du mot « éphémère », thème du festival du Printemps des Poètes, thème de notre culte, on distingue deux mots « épi » pendant et « emere » jour. A proprement parler est éphémère ce qui dure un jour. D’où le nom attribué à certains insectes, dont la durée de vie est de 24 à 48 h, mais qui seraient, semble-t-il, les plus anciens insectes ailés encore vivants.

Comme quoi ce qui est éphémère, paradoxalement, peut durer d’une autre manière… Comme quoi ce qui est fragile, peut avoir de la consistance, de la force, autrement. Dans un sens plus général, ce qui est éphémère qualifie alors ce qui est de courte durée.

Au regard de l’éternité, le psalmiste dit de l’existence humaine qu’elle est éphémère, semblable à une fleur des champs qui fleurit le matin puis sèche. De même, l’Ecclésiaste, en considérant la condition humaine, écrira « Vanité des vanités, tout est vanité » ce qui peut être traduit par « Fumée de fumée, tout est fumée » ou « buée de buée, tout est buée » c’est-à-dire tout est évanescent, tout passe.

Regards plutôt sombres, me direz-vous.

Il y a aussi des moments riches de sens, des instants de vie décisifs et marquants à tout jamais. C’est le cas de nos deux récits bibliques. Des instants de courte durée vont transformer un parcours de vie, car des instants lumineux, brefs, fugaces mais laissant des traces à tout jamais.

Dans le premier texte Elie, le prophète, vient d’affronter avec courage et ténacité les prophètes des dieux païens de Baal. Il a fait entendre la Parole du Dieu unique, et il en paye les conséquences. Le voilà pourchassé, poursuivi, menacé. Il fuit au désert et se retrouve seul, enfermé dans sa peur, dans sa solitude, dans son découragement et aussi physiquement enfermé dans sa grotte. Il traverse la rude épreuve de la désespérance, car se sentant abandonné des hommes, et aussi et surtout de Dieu. Ses forces même l’abandonnent.

Où trouver la présence réconfortante de Dieu ? Est-il absent loin de lui ? Est-il dans le vent violent ? Est-il dans le tremblement de terre ? Est-il dans le feu ? Non, Dieu lui parle et le rejoint dans un souffle léger, au travers d’une voix ténue, dans l’éphémère d’une parole et d’un instant portés par un vent léger. Rien de fascinant, ni de tonitruant, ni d’écrasant mais un éphémère imprévisible et fragile, à peine perceptible qui le fait sortir de sa grotte et de son découragement. Un événement de courte durée, qui le réoriente dans son histoire personnelle et qui lui fait retrouver sens. Il va, suite à ce moment décisif, prendre la direction de Damas pour installer un nouveau roi d’Israël et désigner le prophète Élisée comme son successeur. Un instant éphémère, une parole éphémère qui le replacent dans un récit, dans une histoire porteuse de sens.  Il se sait placé, devant Dieu, au bénéfice de sa fidélité, au milieu des autres, avec une mission à accomplir

Quelques huit siècles plus tard, une situation semblable à quelques détails prés.

Des disciples, des disciples d’Emmaüs, abattus, déboussolés, enfermés eux-aussi, dans leur incompréhension et leur tristesse. Ils reviennent de Jérusalem, où leur Maître a été mis à mort.

Que penser ? Que dire ? En quoi placer son espérance désormais ? Où trouver une raison de vivre, eux qui avaient placé leur confiance en Lui ? Vers où se diriger ?

Et voilà que de l’imprévu surgit sur leur chemin, de l’imprévisible. Oh là aussi, rien de grandiloquent, ni de spectaculaire, ni d’imposant, ni d’évident. L’éphémère d’une rencontre, avec un inconnu, l’éphémère d’une parole annoncée à la lumière des Écritures et moment décisif, l’éphémère du partage du pain ; c’est là qu’ils le reconnaissent. Moments éphémères, au sens où tout cela ne dure que peu de temps. A peine l’ont-ils reconnu, qu’il disparaît. Moments éphémères aussi car ils restent fragiles et fugaces. Une rencontre fugitive, une parole partagée, du pain rompu. Des signes éphémères, qui pour autant vont faire sens et vont là aussi les remettre en route, les orienter. Livrés à eux-mêmes dans le désordre de leurs pensées, les voilà replacés dans une direction claire, qui fait sens. Ils repartent vers Jérusalem, où avec d’autres ils pourront partager la bonne nouvelle de la résurrection. La marche de Jérusalem vers Emmaüs les voyait abattus et désorientés ; la marche d’Emmaüs vers Jérusalem les voit confiants et courageux. Il a fallu l’éphémère d’une rencontre, l’éphémère d’un événement unique, porté par une parole échangée et par le geste du pain, pour qu’ils soient replacés dans un récit, dans une histoire de vie qui fait sens, qui donne sens.

Chers amis, sommes-nous attentifs à tous ces instants éphémères, qui remplissent nos vies et peuvent nous réjouir et les illuminer ? Savons-nous saisir, capter ces moments, ces instants imprévus, imprévisibles qui nous sont en quelque sorte donnés ?

Elie, comme les disciples d’Emmaüs, dans un premier temps à cause de leur enfermement, à cause de leur aveuglement, n’ont pas su les voir, ni les cueillir. Une rencontre, une parole, un sourire, un regard, un paysage, un rayon de lumière, un geste, un repas, une sensation, une émotion, une illumination, une compréhension, une situation, autant de clins d’œil, autant d’événements fugaces et fugitifs qui remplissent notre quotidien et qui peuvent être des moments riches d’étonnement, d’émerveillement, de joie et de reconnaissance. Moments à cueillir, à accueillir, à recueillir avec attention. Ils nécessitent d’habiter pleinement le moment présent, dans une conscience vive de ce qui nous est donné, par la présence des autres et dans les situations rencontrées. L’art, sous toutes ses formes, participe à cet accueil d’un éphémère riche de sens. Une couleur, une forme, un son, un mouvement, une mélodie, une sensation peuvent être sources de joie et de bien-être. Un éphémère, que nous donne la vie et les rencontres, et où dans un regard de foi, nous pouvons y lire la présence de Dieu.

Mais il ne faudrait pas tomber, je crois, dans ce dont souffre notre société, ce qui est appelé le présentisme, un présentisme excessif, où seul le présent compte sans passé, ni avenir. Le présentisme et son corollaire, le monde des émotions et des sensations, sans réflexion, ni perspectives.

Elie et les disciples d’Emmaüs sont replacés par rapport à leur passé et vis à vis d’un avenir à bâtir. Sous le regard de Dieu, dans l’assurance de sa fidélité à leur égard, ils sont invités à construire une existence avec passé, présent et avenir, à la réfléchir dans la confiance et la responsabilité, sans se laisser porter, par les seuls moments éphémères, et les seules émotions.

Soyons attentifs, pour accueillir, dans la reconnaissance, tous ces beaux moments de grâce, moments éphémères qui nous sont donnés de vivre. Qu’ils nourrissent notre foi et notre espérance.
Qu’ils nourrissent notre volonté d’être artisans de paix et de fraternité avec et pour les autres.

Nous vivons, au travers de ce culte un beau moment éphémère, en présence de Dieu. Qu’il laisse des traces dans nos cœurs et dans nos vies.  Amen.