De l’aveuglement à la clairvoyance (dimanche 18 décembre 2016)

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De l’aveuglement à la clairvoyance

Texte biblique : Jean 9, 1-12

Aujourd’hui, nous nous réjouissons beaucoup du baptême d’Alice, sous le signe de l’adoption : son entrée dans votre famille par une adoption mutuelle, et son adoption par Dieu.

Nous avons entendu votre engagement de lui faire connaître Jésus-Christ afin qu’elle puisse l’adopter librement, à son tour, librement, au moment où elle sera bien avec ce choix.

Pour entrer en résonance avec ce baptême, j’ai choisi le récit de la guérison de « l’aveugle né » qui nous parle de guérison mais surtout, de clairvoyance.

D’abord, la guérison.

Elle est d’une grande simplicité.

Jésus guérit un aveugle-né, en lui mettant un peu de boue sur les yeux, et en lui demandant de les laver à grandes eaux.

Je ne disserterai pas sur les vertus curatives de l’eau et de la boue, utilisées pour les maladies de peau .

J’insisterai davantage sur la signification de cette guérison : Dieu peut soulager celui qui va mal. Dieu peut guérir, la foi peut guérir et nous aurions tort, y compris dans nos Eglises, d’oublier cette promesse.

C’est pourquoi nous pouvons, à bon droit, prier pour nos malades, prier non seulement pour leur réconfort moral et spirituel, mais également pour leur guérison.

Mais ce récit évoque surtout une autre guérison.

Jésus n’a pas seulement à faire avec la cécité.

Il est surtout confronté à l’aveuglement, l’aveuglement humain et spirituel, partagé par ceux qui entourent Jésus, les disciples comme les pharisiens .

En quoi consiste cet aveuglement ?

Les disciples de Jésus sont convaincus que l’homme est aveugle parce qu’une faute a été commise : « Qui a péché » demandent-ils, « lui ou ses parents » ?

Leur question est finalement logique.

Pour eux, Dieu est juste et il est à l’origine de toute chose.

Donc, si quelqu’un souffre d’une infirmité, c’est que Dieu l’a voulu et s’il l’a voulu, c’est pour sanctionner une faute.

Mais comment expliquer alors qu’un aveugle puisse l’être de naissance ?

En sortant du ventre de sa mère, il n’avait rien pu faire de mal !

Certains rabbins, à l’époque de Jésus proposent une solution extrême : si quelqu’un est infirme de naissance, c’est qu’il a fauté dans le ventre de sa mère ; d’autres ne vont pas aussi loin et estiment qu’il paie la faute de ses ancêtres, à commencer par celle de ses parents.

Aujourd’hui, une semblable explication nous scandalise ou, au mieux, nous fait sourire.

Qui d’entre vous, lorsqu’il a une maladie, croit que Dieu en est l’auteur ?

Qui, d’entre vous, pense qu’en souffrant, il paie une faute ?

Nous ne sommes heureusement plus à cette époque reculée.

Nous ne confondons plus la souffrance et la faute.

En principe. 

En principe, car, dans la réalité :

  1. lorsque quelqu’un est victime du chômage, nous le soupçonnons de ne pas tout faire pour trouver du travail.

  2. Lorsque quelqu’un plonge dans la dépression, nous le soupçonnons de se laisser aller.

  3. Lorsque quelqu’un souffre de solitude, nous le soupçonnons d’être associable.

La souffrance reste associée à la faute.

Et la croyance en la réincarnation, si populaire aujourd’hui, renforce ce lien : si quelqu’un a une vie douloureuse, il doit bien y avoir une raison et comme il ne peut décemment en être rendu totalement responsable, c’est que ces ancêtres ont fauté et qu’il doit payer leurs fautes.

Bref, avec Dieu ou sans Dieu, nous avons bien du mal à dissocier la souffrance et la faute.

Ce faisant, nous n’arrivons pas à sortir de ce qui nous fait souffrir.

Autre aveuglement qui nous menace : si les interlocuteurs de Jésus avaient de Dieu une fausse image, la nôtre est floue, nébuleuse.

Nous ne savons plus vraiment qui il est et ce qu’il peut changer à notre vie.

Nous ressemblons à des aveugles qui s’approchent d’un éléphant.

Chacun le touche et essaie de se représenter qui il est.

« Un éléphant, c’est un immense tuyau » déclare celui qui lui a touché la trompe.

« Un éléphant, c’est une grande masse flasque » dit celui qui lui a touché le ventre.

« Un éléphant, c’est rugueux » réplique celui qui lui a touché les pattes.

Ils ne se représentent qu’une part de l’éléphant et ne réussissent donc pas à l’imaginer réellement ou ils confondent le peu qu’ils perçoivent avec la réalité.

De la même façon, nous nous représentons Dieu à partir de nos petites expériences.

Ainsi, Dieu serait, au choix, une sorte de grande masse d’amour qui ne peut pas grand-chose pour nous, une énergie cosmique, voire un marionnettiste qui tire les ficelles.

Ainsi, nous n’y voyons pas clair sur ce qui nous fait souffrir et nous n’y voyons pas clair sur Dieu. Nous restons dans l’aveuglement.

« Je suis la lumière du monde » annonce Jésus.

A une semaine de Noël, c’est la bonne nouvelle de ce dimanche.

Jésus est la lumière du monde.

Il vient nous éclairer, il vient nous rendre clairvoyants.

Sur Dieu d’abord.

Par sa vie, par son enseignement, par ses rencontres, par ses miracles, par sa mort, par sa résurrection, Jésus nous fait connaître Dieu, ses sentiments pour nous, ce qu’il attend de nous, ce qu’il peut pour nous.

Il nous le révèle, au sens étymologique de « retirer le voile »

Alors, Denis et Sophie, lorsqu’Alice se posera des questions sur Dieu, faites-lui découvrir l’Evangile, les paroles et les actes de Jésus, le sermon sur la montagne avec son commandement d’amour, son enseignement sur les soucis et les préoccupations matérielles.

Racontez-lui les paraboles de Jésus afin qu’elle réalise que Dieu est un trésor à rechercher, un semeur qui espère en la fertilité de chaque terrain, même improbable.

Ainsi, par l’ensemble de sa vie, par sa mort et sa résurrection, Jésus nous éclaire sur Dieu.

En nous éclairant sur Dieu, le Christ nous éclaire également sur qui nous sommes.

En introduction de son grand livre « L’Institution de la religion chrétienne », Calvin écrit  : « La connaissance de Dieu et la connaissance de soi sont si intimement liées qu’on ne saurait dire laquelle conduit à l’autre ».

Alice pourra se connaître d’autant plus facilement qu’elle se tournera vers Dieu.

Ainsi, lorsqu, par exemple, Alice se demandera si elle a de la valeur, elle découvrira que, pour Jésus, elle est une perle précieuse.

Elle découvrira que Dieu l’adopte et qu’elle est donc fille de roi.

Christ nous éclaire sur Dieu, sur nous et sur les fruits de la foi.

Pour lui, croire en Dieu change radicalement l’existence et il résume ce changement en deux mots.

Le premier est l’amour, autrement dit la bienveillance.

Quel est le second ? (interroger Côme et ses parents)

Pour le Christ, le second fruit de la foi est la joie.

« Que votre joie soit parfaite » dit Jésus aux disciples.

Cela veut donc déjà dire que Dieu nous a créés pour que nous nous réjouissions, il nous a donné la vie pour que nous l’aimions.

Comme le dit l’Ecclésiaste, « jouis de la vie ».

« Jouir de la vie » est une façon de remercier Dieu pour la vie qu’il a donnée.

Jouir de la vie en profitant sans culpabilité des moments heureux ; jouir de la vie en affrontant les épreuves et en faisant une opportunité pour grandir ; jouir de la vie avec et pour les autres.

Tout à l’heure, en baptisant Alice, j’ai rappelé ce qui est au cœur de l’Evangile : Dieu nous aime sans condition. Dieu nous aime que nous le suivions ou pas, que nous réussissions ou pas notre vie sentimentale, parentale, scolaire, professionnelle.

Nous pouvons donc tenter, échouer et recommencer, sans avoir le sentiment d’y jouer en permanence notre peau, notre identité, notre salut.

Et lorsque la traversée devient plus difficile, lorsque nous vivons des remises en cause radicales, alors Dieu nous accompagne et nous permet, par la prière, par le détour des textes bibliques, par la vie communautaire, de retrouver peu à peu la paix, de hiérarchiser différemment nos priorités, et de traverser ainsi cette crise, en devenant plus lumineux, plus compatissants, plus ouverts à la vie.

Mais ne nous voilons pas la face : il est des souffrances plus radicales qui risquent de nous détruire, de nous isoler, de nous infantiliser.

Qu’est-ce que Dieu peut alors pour nous ?

Comment peut-il nous donner malgré tout la bienveillance et la joie ?

Notre récit de guérison nous éclaire : lorsque Jésus est confronté à ce qui obstacle à la joie, il ne recherche pas à l’expliquer et moins encore à le justifier, il le combat.

Aujourd’hui encore, Dieu combat ce qui nous blesse et nous éloigne de la bienveillance et de la joie.

Je donnerai quelques exemples de ce combat.

A celui qui est enchaîné par son passé, Dieu offre son pardon.

Ce pardon n’est pas un décret céleste sans lien avec ma vie.

Si je le reçois, je peux alors écrire une nouvelle page de mon existence, sans ressasser indéfiniment ce que j’ai raté.

Et si je l’accorde, alors je peux sortir du ressentiment et de la plainte.

Dieu combat aussi le sentiment d’absurde.

Dans le livre de Camus « l’étranger », un homme va voir son médecin et lui demande : « docteur, quand pourrai-je marcher ? »

« Lorsque vous saurez où aller » répond le médecin.

Nous le voyons autour de nous : combien souffrent de ne plus trouver de sens à ce qu’ils vivent, notamment professionnellement.

Il y a même un nouveau néologisme pour évoquer l’absurde au travail : « Le bore out ».

Il y aussi cette fatigue de vivre que nous ressentons parfois.

Il y a enfin un épuisement spirituel qui fait que nous n’avons plus le courage de prier, de lire la Bible, de participer à une vie communautaire.

Dieu combat cet épuisement existentiel.

Bien sûr, rares sont ceux qui entendent une voix céleste leur dire : « Tu vas orienter ta vie dans telle direction, quitter telle entreprise pour entrer dans telle autre ».

Mais, en prenant le temps de l’échange, de la méditation, de la prière, de la lecture de la Bible, peu à peu, des pistes nouvelles se préciseront, des pistes qui redonnent du sens, qui rejoignent l’essentiel.

Il y a aussi la communauté où l’on accepte de se porter mutuellement, de partager des questionnements et des combats, des souffrances, une vie communautaire où l’on accepte de donner et de recevoir. Et, contrairement aux idées reçues, il faut souvent beaucoup de courage pour oser demander et se laisser porter. Car, demander, c’est accepter de se rendre dépendant d’autrui.

Ainsi, Jésus est la lumière qui nous éclaire sur Dieu et sur nous.

Il agit en nous pour que la bienveillance et de la joie soient nos compagnons de vie.

Sachez donc recevoir cette lumière, vous laisser éclairer par elle et la transmettre à Alice.

Sachez aussi devenir, à l’image du Christ, une lumière qui éclaire.

Comme le proclame le prophète Esaïe : « Lève-toi et deviens lumière car elle est venue ta lumière » 

Amen !