Argent et religion

5e table ronde interreligieuse : « Argent et religion » (2009)

Contribution chrétienne (catholique) : Peut-on être riche et chrétien ?

Dans l‘Evangile, on entend Jésus dire qu’il est plus difficile à un riche d’entrer dans le Royaume des Cieux qu’à un chameau de passer par le chas d’une aiguille (Matthieu 6. 19-21). Il met en garde les riches : ils ont dans ce monde leur consolation, mais malheur à eux (Luc 6. 24). Que sert-il à l’Homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme ? (Matthieu 16. 24)… Jésus annonce un monde nouveau, le Royaume des Cieux, qu’il vient rendre proche des Hommes et qui comporte des richesses qui ne s’usent pas (Matthieu 6. 19). En effet, le vrai trésor n’est pas d’ordre matériel : « où est ton trésor, là est ton cœur » (Matthieu 6. 21, Luc 12. 30).

On peut remarquer que Jésus s’inscrit dans la tradition biblique qui dit que Dieu écoute les pauvres qui crient vers lui et qui dénonce les injustices (cf. Amos). Comme les prophètes et plus particulièrement Jean-Baptiste, il invite au partage comme retournement nécessaire pour accueillir le Royaume de Dieu (Luc 3. 11). Dans la parabole du riche et du pauvre Lazare, Jésus prévient qu’il y aura un renversement de situation après la mort. L’indifférence dans cette vie deviendra alors un fossé infranchissable ! (Luc 16. 19-31). Jésus s’identifie aux pauvres : « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger » (Matthieu 25. 35).

Ce message s’est développé dans l’Eglise primitive. Les disciples mettaient tout en commun (Actes 2. 42-46 ; 4. 32-35) et les communautés chrétiennes qui se sont développées dans le monde méditerranéen étaient appelées à s’entraider (1 Cor 16 ; 2 Cor 8 ; Rom 12, 13). Il fait remarquer que le partage est toujours dans les deux sens : ceux qui donnent reçoivent en retour des bienfaits spirituels de ceux à qui ils donnent. Finalement, on s’enrichit mutuellement tout en rendant gloire à Dieu (2 Cor 9, 10).

Comment ce message peut-il être appliqué à notre époque ? Les temps modernes se sont caractérisés par le développement des richesses matérielles, grâce au progrès scientifique et technique : c’est un point que l’Eglise encourage (Gaudium et Spes 15). Ce progrès s’est malheureusement accompagné d’inégalités croissantes au plan social. Il s’est appuyé en effet sur la recherche du profit au détriment des personnes. Au XIXe siècle, le système capitaliste a atteint la dignité des hommes dans l’exercice de leur travail.

C’est alors que s’est développée une doctrine sociale de l’Eglise catholique. Le pape Léon XIII, dans Rerum Novarum (1891), a soutenu la recherche du juste salaire et la protection des pauvres par l’Etat, ainsi que le droit d’association des travailleurs. Quarante ans plus tard, Pie XI intervient au cœur de la grande crise. Le capitalisme s’est développé au niveau mondial, mais surtout le pouvoir économique s’est concentré entre les quelques détenteurs et gérants du capital qu’ils administrent à leur gré : le pouvoir politique leur est soumis et « l’appétit de gain a fait place à l’ambition frénétique de dominer ». Pour en sortir, dit le pape dans Quadragesimo anno, la concurrence a besoin de règles.

Devant les problèmes socio-économiques contemporains, l’Eglise n’a pas de solution technique ou de politique miracle : sa doctrine sociale consiste à discerner ce qui est compatible avec l’Evangile, à condamner les injustices, mais aussi à encourager certaines initiatives. Dans le contexte de la crise financière actuelle, par exemple, elle appelle à prendre en compte la personne humaine. Elle encourage aussi à la solidarité : dans l’urgence, en partageant avec les plus démunis la nourriture, le logement, etc., mais aussi à long terme en promouvant de nouvelles manières de vivre en société, de gérer les ressources de la planète et d’éduquer à la responsabilité.

Jean-Paul Henry


Contribution chrétienne (protestante) : Riches de quoi ? Pauvres de quoi ?

La spiritualité chrétienne affirme-t-elle que posséder de l’argent nous empêcherait de pouvoir hériter des biens que Dieu promet ? « Il est plus facile à un chameau de passer par le chas d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu » ou encore : « Heureux les pauvres car le Royaume de Dieu est à eux ». Nous avons tous entendu ces phrases tirées du Nouveau Testament. S’agit-il d’exalter un certain statut économique ?

Dans l’histoire des chrétiens, on voit apparaître une manière d’identifier l’absence d’argent à un statut spirituel qui serait particulièrement privilégié par Dieu, mais en fait, des nantis justifient souvent par des moyens religieux une situation sociale injuste. Pour des auteurs bibliques, la pauvreté matérielle n’est pas un idéal à atteindre, mais une inégalité à combattre. En revanche, on invite à la pauvreté intérieure, c’est-à-dire à une attitude d’humilité, d’ouverture, d’accueil, de confiance vis-à-vis de l’Eternel et vis-à-vis du prochain.

Une telle attitude permet de ne pas confondre le lien ultime et unique à Dieu (et le passage par la mort) avec la gestion de l’argent. Les chrétiens connaissent une histoire que Jésus raconte pour mettre en garde ses auditeurs : un homme gagne beaucoup et dit alors à son âme : « Repose-toi ». Alors Dieu l’interpelle et lui dit : « Insensé ! cette nuit même, tu mourras ! ». Jésus ne condamne pas la richesse de cet homme, mais la confusion qu’il opère, comme si son argent pouvait l’assurer contre la mort ; comme si la sérénité de son âme et de sa vie spirituelle dépendait de son compte en banque.

La problématique liée à l’argent devient très claire quand il s’agit de l’éducation. Comment permettre à l’enfant de se détacher d’une certaine avidité de base où il confond le bonheur d’exister avec l’accumulation d’objets ? Comment permettre à l’enfant de découvrir que l’argent disponible au foyer de ses parents ne l’identifie ni humainement, ni socialement (malgré une pression terrible en ce domaine !), ni devant Dieu ? Nous nous dévoilons nous-mêmes dans notre manière d’éduquer. Si nous nous sentons mal, voire coupables, du fait que nos enfants ne peuvent pas s’acheter tout ce qu’ils voient dans les vitrines, à la télévision ou dans la maison des copains, nous leur transmettrons, malgré un discours raisonné, une confusion entre être et avoir, qui aboutit à une frustration sans fond. En revanche, s’ils peuvent découvrir en toute confiance le sens du partage, de la solidarité et du manque assumé, ils pourront choisir librement de faire de l’argent un serviteur utile à leur propre manière d’être au monde sans devenir esclaves d’un « maître sourd et aveugle ».

La question du partage fait apparaître une nouvelle interrogation : puis-je vivre avec moins ? Le caractère de la question est éminemment subjectif et soulève tout de suite la question : « vivre avec moins de quoi ou moins de qui ? ». Cette interrogation ramène dans la réalité objective. Aujourd’hui en Occident, nous avons du mal à nous imaginer notre propre vie en n’ayant qu’un ou deux dollars par jour à notre disposition, comme c’est le cas pour au moins trois milliards de personnes dans notre monde. Prendre conscience de cette inégalité structurelle démasque notre manière de dévaloriser ce que nous possédons déjà pour courir après ce que nous ne possédons pas.

Agnès von Kirchbach


Contribution musulmane : Islam et argent

On ne peut guère nier l’importance de l’argent dans notre existence. Il est bon serviteur. Il nous aide à arranger mille choses. C’est pourquoi l’islam nous recommande de l’acquérir par les moyens de l’agriculture, de l’industrie, du commerce ou autres métiers sociaux légaux, c’est-à-dire reconnus par la loi. Autrement dit, comment cet argent est gagné. Dieu Très-haut dit dans la sourate de vendredi (verset 10) : « à l’issue de la prière, dispersez-vous et allez à l’acquisition des biens de Dieu. »

L’islam nous ordonne aussi de préserver cet argent, une fois acquis et d’en prendre soin, non pas en le cachant égoïstement sans utilité, pour nous en priver et en priver notre société, mais en l’investissant, en le faisant fructifier au bénéfice de tout le monde. Ainsi, on s’enrichit personnellement tout en contribuant à la prospérité de la société.

Il est vrai que l’islam nous recommande de gagner de l’argent, de le faire fructifier et de le préserver. Mais il est contre tout excès entre l’avarice et la prodigalité, il préconise un juste milieu. L’islam prescrit dans tout cela :

  • l’interdiction du gaspillage et de l’avarice,
  • la censure à imposer aux gens frivoles et dépensiers,
  • la mise à l’épreuve des orphelins avant de leur confier un héritage,
  • l’interdiction des moyens frauduleux dans l’acquisition de richesses,
  • l’interdiction de l’usure, de la spéculation, du trafic de la drogue, des fraudes dans les poids et mesures, du vol et des détournements de fonds,
  • la mise en œuvre de toute entreprise tendant à réaliser un gain légitime.

Enfin, pour éviter l’inflation, l’injustice et les abus, il préconise trois genres de devoirs au musulman :

  • vis-à-vis de lui-même,
  • vis-à-vis de l’autre,
  • vis-à-vis de l’Etat

Sabri Abou Baker


Contribution juive : Judaïsme et argent

Les Juifs ont été victimes de calomnies pour un prétendu rapport pervers à l’argent. Explication succincte : au Moyen Age, les corporations, l’exercice d’un métier, de même que le travail de la terre, leur étaient interdits. Ce préjugé a causé beaucoup de persécutions et de souffrance

Un miroir est constitué d’une vitre à travers laquelle je vois mon prochain ; une fine couche d’argent qui recouvre la vitre, ne permet plus de voir l’Autre : je ne vois plus que moi-même. De l’effet polluant de l’argent dans les rapports humains.

Le mot hébreu kessef, l’argent, signifie sémantiquement le désir. L’argent constitue un étalon de légitimité du désir et un moyen de distinguer le désir et le besoin. Le but des mitzwoth étant de canaliser et de domestiquer le désir. Mais la richesse n’est pas discréditée en soi : elle est un moyen de faire plus pour la réparation du monde. En cela, elle est une bénédiction.

L’usage de l’argent est strictement réglementé : les lois de la Thora sont sévères et une infraction vis-à-vis du prochain dans un rapport économique n’est pardonnée par Dieu qu’après la réparation et le pardon du prochain. Les freins s’articulent autour de deux principes lorsqu’il s’agit d’organiser la vie économique et sociale :

  • l’exigence de rigueur morale dans la transaction (juste prix, dol, erreur, relation avec le salarié, etc.) ;
  • le droit du pauvre. La Tsedaqa n’est pas une charité, mais un acte de justice : elle est obligatoire et fiscalisée. La Thorah est universellement le premier document exprimant la protestation du pauvre et le droit du pauvre.

Charles Meyer

 

Lire aussi :

2010 : L’accueil de l’étranger
2008 : pardon de Dieu, pardon des hommes