Mieux vaut savoir qu’on est pécheur et malade plutôt que…

Prédication à partir de Mathieu 9

Le chapitre 9 de l’Évangile attribué à Matthieu raconte des histoires de gens divers : des histoires d’hommes et des histoires de femmes, des histoires d’adultes et des histoires d’enfants, des histoires de malades et des histoires de bien portants, des histoires d’individus et des histoires de foules, des histoires de disciples de Jésus et des histoires disciples de Jean, des histoires de pharisiens et des histoires de collecteurs d’impôts.

Matthieu 9, ce sont des histoires de maladie, mais surtout des histoires de guérison. Des guérisons aux motifs divers : une guérison demandée, celle des deux aveugles ; une guérison espérée, celle de la fille d’un chef ; une guérison par défi, dans le cas du paralysé ; une guérison par compassion, dans le cas des foules blessées et abattues ; une guérison en plus, dans le cas du démoniaque muet qui retrouve la parole quand son démon le quitte ; même une autoguérison, dans le cas de cette femme qui perd son sang.

Matthieu 9, ce sont des histoires de guérison de types divers. Des guérisons physiques : celle d’un paralysé, de deux aveugles, d’une femme hémophile et d’une jeune fille ; des guérisons sociales : celle d’un repas partagé avec Matthieu, des collecteurs d’impôts et des pécheurs ; d’une guérison spirituelle : celle du démoniaque muet.

Matthieu 9, ce sont des histoires aux résultats divers. Des grands succès : un paralysé qui marche, une jeune fille morte qui ressuscite. Un succès inespéré : un exorcisme qui de surcroît redonne la parole à un muet. Mais aussi des demi-succès : des aveugles guéris, mais qui sont incapables de respecter ce que Jésus leur demande. Et même des échecs : des spécialistes de la loi et des pharisiens qui ne comprennent pas ce qui se passe, des disciples de Jean qui ne comprennent pas comment il faut réagir.

Et pourtant ce qui se passe dans le chapitre 9 de l’Évangile attribué à Matthieu est extrêmement simple : Jésus amène du mieux dans la vie de celles et ceux qu’il rencontre, du mieux dans la vie de celles et ceux qui lui font confiance, du mieux dans la vie de celles et ceux qui lui inspirent de la compassion. Et pourtant, la manière dont il faut réagir est extrêmement simple : il suffit de s’émerveiller.

Et celles et ceux qui regretteraient qu’aujourd’hui, de telles choses ne se passent plus, qui regretteraient de ne plus pouvoir s’émerveiller, celles et ceux qui regretteraient le bon vieux temps, celles et ceux qui penseraient que de tels miracles ne se produisent plus, que la confiance et la compassion n’apportent plus de mieux dans nos vies, ils et elles auraient tort. Car dans nos hôpitaux, on pratique presque tous les miracles du Nouveau Testament ! Car aujourd’hui, les médecins, les psychiatres, les infirmières réussissent à rendre aux paralysés l’usage de leurs membres, à stopper les hémorragies, à guérir des cécités, à traiter des psychotiques, à leur permettre de communiquer. Ils et elles parviennent même à ressusciter des enfants qui présentent tous les symptômes de la mort. Ce sont des histoires de grand succès, des histoires de succès inespéré. Mais aussi, soyons juste, des histoires de demi-succès et des histoires d’échecs. Des guérisons totales, des guérisons partielles et parfois pas de guérison du tout.

Évidemment, ces guérisons ne sont pas toujours des miracles et elles ne sont jamais opérées par Jésus. Au moins pas directement. Ce sont les histoires de succès médicaux que l’on doit à des êtres bien humains. Mais qu’on doive ces guérisons à des femmes et à des hommes les rendent-elles moins importantes ? Qu’elles soient médicales les rendent-elles moins précieuses pour celles qui sont guéries de leurs souffrances ? Le chapitre 9 de l’Évangile de Matthieu contient un verset étonnant, un verset qui m’a arrêté un bon moment : « La foule fut émerveillée et célébra la gloire de Dieu, qui a donné un tel pouvoir aux hommes ». Je m’attendais à ce que la phrase se termine par « Dieu, qui a donné un tel pouvoir à Jésus ». Après tout, c’est lui le héros de toutes ces histoires. Mais dans le chapitre 9 de l’Évangile attribué à Matthieu, le pouvoir est donné « aux hommes » et aux femmes, faut-il ajouter ! C’est aux êtres humains que Dieu donne ce pouvoir. À Jésus hier, aux médecins aujourd’hui, à nous toutes et à nous tous. Nous avons reçu le pouvoir de guérir, de guérir des gens divers, le pouvoir de guérir celles et ceux qui le demandent, qui l’espèrent, qui nous mettent au défi, qui suscitent notre compassion, le pouvoir de guérir en plus et le pouvoir de nous guérir nous-mêmes. Nous avons reçu le pouvoir de guérir physiquement, psychologiquement, socialement et spirituellement.

Mais je me suis laissé aller. J’ai digressé. Car à propos de ce chapitre 9 de l’Évangile attribué à Matthieu, je ne voulais pas évoquer les miracles ou alors seulement en passant. Ce que je tenais à partager avec vous, c’est la multiplicité des modes de révélation de Dieu qu’évoque ce chapitre ; comment la confiance et ses effets s’éprouvent dans les corps, comment la compassion et ce qu’elle produit sont perçus par tous les sens.

Il est vrai que dans les histoires du chapitre 9 de l’Évangile attribué à Matthieu, beaucoup de paroles sont échangées. Comme il est vrai que la parole ne suffit pas à tout dire et que les oreilles ne sont pas suffisantes pour tout entendre.

Il faut aussi que la femme touche le bord du manteau de Jésus pour que Jésus découvre sa foi ; il faut aussi que Jésus prenne la main de la jeune fille pour qu’elle vive ; il faut aussi que Jésus touche les yeux des aveugles pour qu’ils soient guéris.

Il faut aussi que Jésus voie la foi de ceux qui portent la civière pour qu’il pardonne au paralysé ses péchés ; il faut aussi que la foule voie la guérison pour s’émerveiller ; il faut aussi que Jésus voie Matthieu pour lui demander de le suivre ; il faut aussi que les pharisiens voient Jésus manger avec des collecteurs d’impôts et des pécheurs pour comprendre les enjeux d’un tel repas ; il faut aussi que Jésus voie les foules blessées pour éprouver de la compassion.

Il est vrai par contre que rien ne passe par l’olfaction. Comme il est vrai qu’aucun goût n’est mentionné. Mais il faut quand même que Jésus se mette à table avec des collecteurs d’impôt et des pécheurs, pour fâcher les pharisiens ; comme il faut aussi que les disciples de Jésus ne jeûnent pas, qu’ils mangent pour que soient dérangés les disciples de Jean.

Il est enfin vrai que la somesthésie est largement sollicitée. C’est aussi dans le corps, dans le mouvement, dans les gestes, dans les postures que s’éprouvent la confiance et ses effets, que s’expérimentent la compassion et ce qu’elle produit. Un homme condamné à vivre couché se lève et rentre chez lui ; un homme assis se lève et suit Jésus ; un chef se prosterne et Jésus se lève et le suit ; une femme arrive par-derrière et repart guérie ; Jésus prend la main d’une jeune fille morte qui se lève. Jésus monte, part, arrive, rentre, suit, se retourne, parcourt. Et des personnes amènent ; des collecteurs d’impôts et des pécheurs, des disciples viennent ; des aveugles s’approchent, suivent et s’en vont ; une foule est renvoyée. Ça bouge, ça bouge beaucoup.

Dans le chapitre 9 de l’Évangile attribué à Matthieu, il faut plus que des mots pour produire des effets, il faut plus que des oreilles pour percevoir et pour éprouver la confiance et ses effets, la compassion et ce qu’elle produit.

Ironie de l’histoire, ironie des histoires, quand Jésus ne fait que parler, il n’obtient pas les résultats espérés. Lorsque Jésus parle aux disciples de Jean, il fait certes de la bonne théologie en distinguant les temps de fête et les temps de deuil, en rendant à la fête ce qui appartient à la fête, au deuil ce qui appartient au deuil. Mais cette bonne théologie semble n’avoir aucun effet. L’histoire se termine sans que les disciples de Jean aient changé. Aucun miracle n’a lieu ; ils rencontrent Jésus, mais ils repartent comme ils sont venus. Leurs oreilles ne leur ont pas permis d’entendre ni de comprendre la confiance et ses effets, la compassion et ce qu’elle produit.

Et quand Jésus parle aux pharisiens, il leur adresse des paroles fortes, belles et justes, des mots qui s’appuient sur la logique commune : « Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades » en même temps qu’elle la renverse : « Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs ». Paroles fortes, justes et belles, mais paroles qui semblent n’avoir aucun effet. L’histoire se termine sans que les pharisiens aient changé. Aucun miracle n’a lieu ; ils rencontrent Jésus, mais ils repartent comme ils sont venus. Leurs oreilles ne leur ont pas permis d’entendre ni de comprendre la confiance et ses effets, la compassion et ce qu’elle produit.

Mais il ne faut jamais désespérer. Ces paroles fortes, justes et belles que raconte le chapitre 9 de l’Évangile de Matthieu résonnent encore. Elles font sens. Rapportées aux histoires de guérison, elles font sens. Au moins pour moi. D’où un premier titre de ma prédication : « Mieux vaut être pécheur et malade que juste et en bonne santé. » Non pas parce qu’il faudrait prendre goût à la souffrance. Il n’est pas nécessaire d’être masochiste pour faire confiance, il n’est même pas utile d’être masochiste pour montrer de la compassion.

À vrai dire, je suis convaincu qu’il ne vaut pas mieux être pécheur et malade. Mais le fait est que nous sommes toutes et tous pécheurs et malades. Et qu’il vaut mieux le savoir. D’où le second titre de ma prédication : « Mieux vaut savoir qu’on est pécheur et malade plutôt que croire qu’on est juste et en bonne santé. » Le savoir pour chercher la guérison. Comme l’ont fait une femme qui perd son sang, deux aveugles et un démoniaque muet ; comme l’ont fait deux personnes pour leur ami paralysé et un père pour sa fille ; comme l’ont reçu ceux qui n’avaient même pas osé l’imaginer : Matthieu, des collecteurs d’impôts et des pécheurs.

Mais si Jésus appelle les pécheurs et les malades, c’est pour qu’ils, c’est pour qu’elles éprouvent la confiance et ses effets, c’est pour qu’ils et pour qu’elles fassent l’expérience de la compassion et de ce qu’elle produit. Car elle se vit autant qu’elle se dit. Car elle se dit autant qu’elle se montre, qu’elle se fait sentir, goûter, toucher, qu’elle se fait éprouver aux muscles. Car elle s’éprouve tout autant par les oreilles, que par les yeux, par le nez, par la langue, par la peau, par les muscles.

Je sais maintenant pourquoi je n’ai pas pu m’empêcher d’évoquer la guérison alors que je voulais prêcher sur la place des sens dans la foi. Parce que la guérison et les sens ont le corps en commun. Et que c’est dans le corps que la confiance et la compassion produisent leur effet.

Matthieu 9 me semble dire que le miracle est souvent bienvenu, mais pas toujours suffisant.

Matthieu 9 me semble dire que c’est dans le corps, que c’est par les yeux, par les oreilles, par la bouche, par le nez, par la peau et par les muscles que nous pouvons faire l’expérience de la confiance et de la compassion.

Amen !

Olivier Bauer