Desserrer l’étau de l’anxiété

Dimanche 7 septembre 2014

Texte biblique : Matthieu 6,25-34

Cet homme était rongé par l’anxiété.

Tout choix à faire, toute incertitude lui provoquaient du stress.

Dans l’espoir d’une vie plus sereine, il va consulter son médecin.

Ce dernier le conseille : « Il faut vous soigner car, non seulement vos soucis vous gâchent la vie mais en plus vous risquez d’avoir un jour une attaque ou un cancer ».

« Ca y est » se dit l’homme, « me voici avec un souci de plus ».

Sans atteindre forcément un stade aussi pathologique, l’inquiétude est, en nous aussi, un compagnon bien pesant.

Les motifs s’expliquent parfois très bien : un enfant qui va mal, des problèmes de santé chez un proche, une menace de licenciement … et je ne parle pas des craintes de guerre en Ukraine, en Irak ou dans tant d’autres endroits.

Si ces sources d’anxiété sont bien réelles, d’autres semblent après coup moins justifiées. Mais, lorsque nous y sommes englués, nous devenons incapables de trier.

Surtout, ces soucis semblent sans fin. A chaque fois que l’un d’entre eux est surmonté, un autre apparaît à l’horizon. L’anxiété est comparable à un spot qui éclaire tel aspect de ma vie puis tel autre, sans jamais s’éteindre.

Alors, à la lumière de cette parole de Jésus, deux questions nous sont posées:

  • Qu’est-ce qui alimente notre anxiété ?

  • Comment la remettre à sa juste place ?

D’abord la source de notre anxiété. Qu’est-ce qui nous rend si inquiets ?

Il y a la satisfaction de nos besoins, fondamentaux ou plus accessoires : besoin d’une santé convenable, besoin de nourriture ou d’eau, besoin d’amour, besoin d’estime de soi et de reconnaissance, voire, pour certains, de prestige.

Tous ces besoins alimentent mon anxiété : est-ce que je pourrai les satisfaire ? Est-ce que je ne risque pas de les perdre ?

Autre source : le sentiment que tout dépend de nous : ce que nous faisons, ce que nous possédons, ce que nous réussissons ou ratons.

Combien de parents anxieux parce qu’ils se sentent éternellement responsables de leurs enfants.

Combien de citoyens généreux mais écrasés par la misère du monde !

En nous voulant l’égal de Prométhée, sans limite, nous devenons semblables à Atlas, portant un poids démesuré sur nos épaules.

« Ne vous inquiétez pas » dit Jésus

« Regardez les oiseaux du ciel, les lys des champs »

D’abord une mise au point : les soucis ou l’inquiétude, le stress ou l’angoisse ne sont pas des maladies du monde moderne.

De tous temps, dans toutes les civilisations, l’homme a vécu dans l’inquiétude ; parce que le monde est dangereux, parce que la vie est difficile, parce la souffrance est présente.

La parole de Jésus n’est donc pas seulement valable pour un monde agraire antique, prétendument plus serein ; elle s’applique aussi à nous, ici et maintenant.

A nous aussi, Jésus dit : « Ne vous inquiétez pas ! ».

Il nous le dit parce que nous en avons besoin.

Il nous le dit parce que c’est possible.

Mais comment faire ? Quel chemin nous propose-t-il ?

L’enseignement de Jésus dans le sermon sur la montagne – qu’il évoque la prière ou la vie de couple, le rapport à l’argent ou l’anxiété – est adossé à une bonne nouvelle : le Royaume vient. Il est au milieu de nous. Il est en nous.

Et ce Royaume n’est rien d’autre que la présence de Dieu dans notre monde et notre vie, présence aimante et agissante, présence manifestée par des dons.

Il y a la résurrection.

Il y a ces dons qui peuvent transfigurer notre vie : le don de l’amour inconditionnel, le don du pardon, le don de la lucidité, le don du courage.

Parce que le Royaume est là, parce que nous recevons de lui l’essentiel, nos soucis peuvent desserrer leur emprise sur notre vie.

– Nous avons du mal à faire le tri entre les soucis légitimes et ceux qui le sont moins.

Lorsque nous les remettons à Dieu, dans la prière. Un tri s’opère. Nos préoccupations se redimensionnent d’elles-mêmes. Nous nous sentons plus légers.

  • Nous opérons également un tri dans nos besoins.

Nous l’avons dit : les besoins alimentent l’anxiété. Or, si certains sont légitimes, les besoins de prestige ou de pouvoir ne sont souvent que des pales compensations d’une estime de soi ou d’une affection défaillante.

Lorsque nous restaurons cette « tranquille estime de soi », lorsque nous vivons avec le bonheur de la foi et de la présence de Dieu, alors bien des besoins perdent de leur attrait. Ta promotion, ta voiture, le respect des convenances ou ta réputation méritent-elles que tu te fasses tant de souci pour elles ?

  • Mais une fois ce tri opéré, il reste le poids de préoccupations bien légitimes : un proche défaillant, des problèmes de santé, les drames de notre monde.

De plus, s’il ne s’agit de vivre dans un état d’angoisse permanent, l’Evangile n’appelle pas non plus à vivre dans le retrait du monde, dans l’irresponsabilité.

Alors, comment mener les « justes combats » de l’existence, en nous gardant du repli égoïste sur soi et de l’accablement ?

Parce que Dieu est là, parce que le Royaume est au milieu de nous, nous pouvons vivre dans un double état d’esprit de confiance et de coresponsabilité.

D’abord la confiance.

Comme Jésus nous le rappelle, le Père nous connaît.

Il nous aime, il sait ce dont nous avons besoin. Il sait ce qui nous préoccupe.

Nous ne sommes pas seuls, abandonnés à nous-mêmes.

Après la confiance, la fraternité.

Contrairement au mythe moderne de l’homme qui se construit tout seul et se prétend indépendant, nous avons besoin les uns des autres : « supportez-vous le suns les autres » écrit Paul.

Nous pouvons porter les plus fragiles et nous laisser porter, sans nier notre propre fragilité. L’Eglise est notamment l’un de ces lieux où nous nous soutenons mutuellement.

Nous pouvons ainsi conserver une juste distance vis-à-vis de ce qui nous préoccupe : ni indifférents ni écrasés, ni insouciants ni accablés.

Il est de ma responsabilité d’accompagner un proche malade, mais pas de le guérir.

Il est de ma responsabilité d’éduquer au mieux mes enfants, de leur transmettre des valeurs et de la tendresse … mais je ne suis pas responsable de ce qu’ils en feront.

Il est de ma responsabilité de prier pour les humains, d’agir et de défendre certaines valeurs, pas de porter sur mes épaules toute la détresse du monde.

« Qui peut ajouter un seul jour à sa vie par le souci qu’il se fait ? »

L’Evangile nous appelle à une foi confiante et responsable, mais nous préserve de l’activisme et de l’accablement.

Seulement, comment demeurer dans cet équilibre ?

Où puiser cette confiance responsable ?

« Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice » nous dit Jésus.

Ce Royaume nous est offert. Par lui, nous trouvons la paix et la confiance ; mais il nous faut y tendre de toutes nos forces.

« Le Royaume est pour les violents qui s’en emparent » dit Jésus.

Un choix fondamental est donc à faire, choix qui concerne non seulement notre vie spirituelle mais également notre travail, notre vie familiale, nos loisirs.

Quel est le ressort de ma vie ou, pour reprendre une expression du Sermon sur la montagne, quel est mon « trésor » ?

Est-ce l’activisme et la quête de reconnaissance ?

Est-ce ma tranquillité ?

Est-ce la présence aimante de Dieu ?

En définitive, pour quoi est-ce que je vis ? Pour qui ?

Et Jésus me prévient : « Là où est ton trésor, là aussi sera cœur ».

Alors, si je désire desserrer l’étau de l’anxiété, il me faut orienter ma vie, en privilégiant cette relation confiante et profonde avec Dieu.

Tout le reste viendra par surcroît.

Amen !