Voici comment arriva la naissance de Jésus-Christ

Église Protestante Unie d’Asnières – Bois Colombes
Culte du 18 décembre 2022 – 4e dimanche de l’Avent – Andreas Seyboldt

Lecture biblique : Matthieu 1, 18 – 25 (TOB)

5 Voici comment arriva la naissance de Jésus-Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph ; avant leur union, elle se trouva enceinte par le fait de l’Esprit Saint.

19 Joseph, son mari, qui était juste et qui ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la répudier en secret. 20 Comme il y pensait, l’ange du Seigneur lui apparut en rêve et dit : « Joseph, fils de David, n’aie pas peur de prendre chez toi Marie, ta femme, car l’enfant qu’elle a conçu vient de l’Esprit saint ; 21 elle mettra au monde un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus, car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ». 22 Tout cela arriva afin que s’accomplisse ce que le Seigneur avait dit par l’entremise du prophète : 23 La vierge sera enceinte ; elle mettra au monde un fils et on l’appellera du nom d’Emmanuel, ce qui se traduit : Dieu avec nous. 24 A son réveil, Joseph fit ce que l’ange du Seigneur lui avait ordonné, et il prit sa femme chez lui. 25  Mais il n’eut pas de relations avec elle jusqu’à ce qu’elle eût mis au monde un fils, qu’il appela du nom de Jésus.

Prédication :

Voici un récit de Noël moins connu que celui que Luc nous transmet : La naissance de Jésus n’y est pas décrite avec autant de détails.
L’évangile de Luc raconte l’étable de Bethléem, les bergers dans les champs et l’ange qui leur annonce la naissance. Puis le chœur des anges qui chante « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ». Enfin, la précipitation des bergers pour trouver « Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la mangeoire » (Luc 2,16) …
Pourtant, sur le fond, les récits de Luc et Matthieu se ressemblent dans leur présentation de la « sainte famille », non pas comme une famille idéale où régnerait une sorte d’harmonie céleste, mais une famille ordinaire qui traverse des épreuves et des drames :

Selon le récit de Luc, si Jésus naît dans une étable, ce n’est pas parce que ça fait plus « conte de fée », mais « parce que qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle d’hôtes » (Luc 2,7). Marie et Joseph y ressemblent plus à des gens sans domicile fixe ou des migrants qu’à des parents qui ont les moyens d’accueillir un nouveau-né dans des bonnes conditions.
Sur le plan moral la « Sainte Famille » n’est pas non plus si « sainte » que cela : selon le récit de Matthieu, la jeune fiancée de Joseph tombe enceinte hors mariage – et ce détail prend, d’ailleurs, une place beaucoup plus importante que la naissance elle-même.
Celle-ci se résume, finalement, en une phrase secondaire : « … jusqu’à ce qu’elle eût mis au monde un fils, qu’il appela du nom de Jésus » (Mt.1,25b).

Alors en quoi et comment ce récit peut-il nous apporter une parole d’Évangile, un message qui fasse briller pour nous la lumière de Noël – en ce 4e dimanche de l’Avent 2022 ?

Trois étapes qui sont, en même temps, les personnages-clé du récit :

  1. Marie, une jeune fille qui « se trouva enceinte par le fait de l’Esprit saint »
  2. Joseph, « son mari qui était juste »
  3. 3)    Jésus, l’Emmanuel, l’enfant qui « vient de l’Esprit Saint »

1) Marie, une jeune fille qui « se trouva enceinte par le fait de l’Esprit saint »
Dans la tradition de l’Église, Marie a une place importante – et controversée ! Les catholiques, quand ils cherchent à expliquer leur différence par rapport aux protestants, disent souvent : « Ah oui : vous ne croyez pas à la vierge ». Et en effet, « Marie sépare davantage les chrétiens que Jésus, écrit Elian Cuvillier (professeur de théologie à l’IPT) dans son petit ouvrage : « Qui est tu, Marie ? ». Il poursuit : « Les protestants rejettent catégoriquement un certain nombre de dogmes [chers au catholicisme] qui leur paraissent complètement étrangers à la pensée biblique : Immaculée Conception, Assomption, Marie médiatrice entre le croyant et Jésus ». Bref, les « catholiques la tiennent pour un être quasi divin, alors que les protestants la négligent tellement que sa place parmi eux en devient quasi inexistante ».

Mais qui est-elle vraiment ? Selon le récit de Matthieu – comme celui de Luc aussi, d’ailleurs – elle est « fiancée à Joseph », ce qui nous indique que Marie a atteint l’âge de pouvoir être mariée, à savoir, entre douze et treize ans.
Dans notre récit, elle joue un rôle passif. Elle ne dit rien, elle ne fait rien. Et même pour ses fiançailles avec Joseph, il est peu probable qu’elle ait joué un rôle actif. Le verbe grec est bien conjugué au passif. Il se traduit littéralement par « être promise au mariage ». Puis, elle tombe enceinte – hors mariage et de père (humain !) inconnu.
Du point de vue humain – et religieux, surtout, de l’époque : Le fait de se trouver enceinte avant d’être marié et sans que son futur mari y soit pour quelque chose est loin d’être source de joie. Dans la Thora, la Loi de Dieu selon Moïse nous pouvons lire à ce sujet : « Si une jeune fille vierge est fiancée à un homme, et qu’un autre homme la rencontre dans la ville et couche avec elle, vous les amènerez tous les deux à la porte de cette ville, vous les lapiderez et ils mourront » (Deutéronome 22,23).

Mais, Joseph – le futur époux ainsi trompé – a aussi le droit de choisir une solution moins cruelle : il a le droit de « rédiger pour elle un acte de répudiation » (Deutéronome 24,1), c’est-à-dire de demander le divorce. Dans les faits, dans un cas comme dans l’autre, c’est la femme qui est désignée comme coupable d’« adultère » (cf. aussi le récit de la « femme adultère » dans le récit de Jean 8 !) – même s’il faut toujours être deux pour commettre l’adultère. …

Du point de vue divin, en revanche, la passivité de Marie dans sa grossesse a une signification symbolique forte : c’est par l’agir de l’Esprit Saint, de l’Esprit de Dieu seul – qui était déjà à l’œuvre à la création du monde : c’est par sa Parole – et son Esprit qui planait sur le chaos – qu’il a créé la vie – et qu’il crée ici encore la vie qui va naître de Marie.
C’est là le sens de la conception virginale dont il est question dans la promesse de Dieu selon le prophète : La vierge sera enceinte…

Ce qui arrive à Marie, dans ce récit, veut dire l’incarnation, l’Emmanuel, Dieu parmi les humains, et dire, également la grâce de Dieu qui accueille dans sa descendance ceux et celles que la société condamne et rejette, en la personne de Marie – comme de ces quatre autres femmes qui sont mentionnées dans la généalogie de Jésus[1].

2) Joseph, « son mari qui était juste »

Qu’est-ce « être juste » ?
J’entends encore mon fils se plaindre quand je le grondais pour avoir embêté sa petite sœur : « C’est pas juste, Papa ! Moi, tu me grondes, mais pas elle, alors qu’elle m’a embêté aussi ! ». Il ne voyait pas pourquoi elle avait le droit de l’embêter, mais que, réciproquement, ce n’était pas autorisé. De son point de vue, ils devaient être traités pareillement – et le fait qu’il était plus grand, plus costaud que sa petite sœur qui avait alors davantage besoin d’être protégée que lui, était pour lui incompréhensible.

La justice humaine met l’accent sur un traitement égalitaire : les mêmes règles, les mêmes sanctions pour tout le monde. Notre sens de justice penche naturellement vers cette égalité de traitement en face de la loi, des règles : il faut punir ceux qui commettent des infractions à la loi – sans tenir compte de la situation des personnes qui les commettent – ni pourquoi !

Dans son récit de la naissance de Jésus, Matthieu désigne Joseph comme juste. Juste, Joseph l’est sur trois plans étroitement imbriqués les uns dans les autres :

  • D’abord, il est juste parce qu’obéissant à la Loi de Moïse il répudie la femme adultère
  • Mais Joseph est aussi juste en ce qu’il obéît à cette loi selon la miséricorde : il n’expose pas Marie à une dénonciation publique et veut « la répudier secrètement » (Mt.1/19). Ainsi, c’est à partir du commandement d’amour que Joseph interprète et applique la loi – comme le fera Jésus plus tard en rappelant la volonté de Dieu selon les Écritures : « Allez donc apprendre ce que signifie : ‘C’est la miséricorde que je veux, non le sacrifice’. Car », ajoutera-t-il : « je suis venu appeler non pas les justes, mais les pêcheurs » (Mt.9/13). …
  • Enfin, Joseph est juste car, lorsque la Parole de Dieu s’adresse à lui, il sait, contre les apparences, passer par-dessus la Loi et prendre sa (future) femme avec lui. Il croit l’incroyable et il espère contre toute espérance

3) Jésus, l’Emmanuel, l’enfant qui « vient de l’Esprit Saint »

Tout un programme est annoncé à travers cette naissance dans la fragilité de la vie humaine : il naît, petit enfant, au sein d’un couple vulnérable et imparfait !
À commencer par le double nom du nouveau-né : Jésus = Yeshoua/Yehoshoua, en hébreu qui signifie « YHWH (le nom du Dieu d’Israël) sauve ». Porter un tel nom fait de Jésus le « Dieu sauveur ». Puis, « Emmanuel, ce qui se traduit : « Dieu avec nous », précise Matthieu.

De quoi (ou de qui) le Christ-Sauveur doit-IL sauver ?
Une précision est donnée dans l’annonce de l’ange : « il sauvera son peuple de ses péchés ».
Le péché – par excellence – dans la Bible, duquel proviennent tous les péchés, n’a rien à voir avec une faute morale.
Le péché, selon la Bible, n’est pas du domaine de la moralité, mais bien plus celui de la spiritualité : il consiste à croire que l’humain peut se sauver lui-même – par une conduite exemplaire, par de quelconques mérites. Qu’il pourrait ainsi « gagner le paradis » – ou simplement l’estime, la reconnaissance de sa personne par ses efforts…

Au fond, selon la Bible, le péché par excellence est de prétendre « être sans péché ». En Jésus-Christ, Dieu sauve l’humain en devenant semblable à lui : fragile et vulnérable, comme un petit enfant nouveau-né. Et pourtant, dans cette fragilité, cette vulnérabilité apparente de l’enfant Jésus, se trouve une puissance dont l’évangéliste Jean proclame dans son prologue :

« En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas comprise » (Jean1/4-5). … Ou, pour le dire – et pour conclure – avec les paroles du théologien et poète allemand Jochen KLEPPER, persécuté par les nazies avec son épouse juive.

Au lendemain du pogrom de la « Nuit de cristal », en 1938, il écrit un poème devenu un cantique de l’Avent : « La nuit est avancée, le jour n’est plus loin. Alors chantons la louange à l’étoile brillante du matin ! Même celui qui, durant la nuit, a pleuré, qu’il se joigne joyeusement à ce chant. C’est cette étoile du matin qui brillera aussi sur ta peur et ta souffrance » (Trad de « Die Nacht ist vorgedrungen, der Tag ist nicht mehr fern », Jochen Klepper in : Evangelisches Gesangbuch, Stuttgart 1996, n° 16). …

Amen.


[1] selon Mt.1,1-17 : Thamar, Rahab, Ruth et la femme d’Urie (Bathseba)