Une histoire de regards

Église Protestante Unie d’Argenteuil, Asnières, Bois-Colombes, Colombes
Culte de l’Entraide, 12 février 2023, Pasteur Denis Heller

Texte biblique : Luc 18 v 35 à 43

« Or, comme il approchait de Jéricho, un aveugle était assis au bord du chemin, en train de mendier.  36Ayant entendu passer une foule, il demanda ce que c’était.  37On lui annonça : « C’est Jésus le Nazôréen qui passe. »  38Il s’écria : « Jésus, Fils de David, aie pitié de moi ! »  39Ceux qui marchaient en tête le rabrouaient pour qu’il se taise ; mais lui criait de plus belle : « Fils de David, aie pitié de moi ! »  40Jésus s’arrêta et commanda qu’on le lui amène. Quand il se fut approché, il l’interrogea :  41« Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Il répondit : « Seigneur, que je retrouve la vue ! »  42Jésus lui dit : « Retrouve la vue. Ta foi t’a sauvé. »  43A l’instant même il retrouva la vue et il suivait Jésus en rendant gloire à Dieu. Tout le peuple voyant cela fit monter à Dieu sa louange »

Prédication

Le récit de l’Évangile de ce matin nous fait découvrir une rencontre de Jésus avec un aveugle ; une rencontre parmi de nombreuses rencontres que Jésus a pu avoir sur les chemins et dans les villages de Galilée et de Judée. Une rencontre de Jésus avec un aveugle que je mettrais volontiers en parallèle avec un rencontre d’un accueillant, d’un bénévole de l’Entraide avec un accueilli de l’Entraide.

Une rencontre qui est en fait une histoire de regards, car dans toute rencontre, le regard compte.
Il peut être regard de mépris, regard de peur ou regard de bienveillance ou regard d’accueil. Regard qui tue, ou regard qui fait vivre et donne confiance.

Le regard porté sur l’autre dit déjà beaucoup, fait beaucoup.
Oui, une rencontre à travers une histoire de regards, de regard au pluriel, car je vais décliner 4 regards, m’arrêter sur 4 regards différents.

Tout d’abord, le regard en tant que tel de l’aveugle, assis, nous dit, on au bord du chemin pour mendier. Un regard, qui ne voit rien sinon un grand vide, un grand noir. Un regard, qui ne porte pas loin, qui n’ouvre pas vers l’avenir, qui n’a pas d’horizon. Un regard sans espérance car une vie au jour le jour, dans l’espoir que chaque jour apportera son lot de petites piécettes. De quoi acheter un peu de nourriture, non pour vivre mais pour survivre.
Un regard de mort, car l’aveugle mendiant, à la merci de la pitié des autres, est sans regard.

Et puis, il y a le regard que la société de l’époque porte sur cet aveugle, mendiant assis au bord du chemin. Il est au bord, au bord de la vie, en dehors de la vie économique, de la vie religieuse, de la vie courante de ses contemporains. Il fait partie de ces exclus, qui sont en marge d’une société qui facilement les oublierait. Ils font partie à ce point du paysage sur les bords de la route, qu’on ne les voit plus, qu’on ne fait plus attention à eux. Méprisés, déconsidérés, ignorés, c’est à peine si on les regarde. Et lorsque l’aveugle crie, appelle Jésus au moment où la foule passe, celle-ci veut le faire taire, d’autres traductions disent le rabroue. Cet aveugle est un homme qui n’a pas droit à un regard de considération, qui n’a pas droit à la parole. Un aveugle, qui n’est pas plus un homme au regard de la foule, car un aveugle déshumanisé sans considération, ni parole.
Regard de l’aveugle sans horizon, regard d’une foule sans considération, car regard de mépris.

Enfin, regard de Jésus sur cet homme aveugle.

Alors que la foule veut passer son chemin et le faire taire, l’aveugle crie de plus bel, de toutes ses forces : «  Fils de David, aie pitié de moi ». C’est alors que Jésus s’arrête, prend le temps de la rencontre, s’approche de lui et le questionne. Jésus lui donne la parole. Il le reçoit et l’accueille comme une personne en capacité de parler et d’exprimer un désir. Il l’écoute et le regarde avec attention et bienveillance. Il a su se défaire des préjugés, des idées toutes faites, des jugements hâtifs que la société environnante avait à l’égard d’un mendiant, qui plus est aveugle. Il a donné de son temps, de son écoute, de son attention, de sa bienveillance. Il a entamé avec lui un dialogue et l’a considéré comme un humain à part entière, duquel il pouvait se rendre proche. Changement de regard, à l’opposé d’une foule qui ne voulait ni le voir, ni l’entendre. Il a eu cette liberté, ce courage contre l’avis général, contre la tendance naturelle, contre la pression sociale.
Un regard aimant, humain, bienveillant, attentif, attentionné qui change tout, qui transforme tout, qui fait des miracles.

En effet, quatrième et dernier regard, celui de l’aveugle une fois qu’il a été rencontré par Jésus, une fois qu’il a été regardé par Jésus. Le voilà, avec un regard transformé puisqu’il voit. Il voit enfin pour lui un avenir s’ouvrir. Lui qui butait sur un mur à tout jamais noir et opaque, le voilà avec un horizon devant lui. Lui, qui était condamné à rester indéfiniment au bord d’un chemin à l’écart des autres, le voilà capable de prendre le chemin, avec les autres, à la suite de Jésus.
Un regard ouvert, ouvert sur la vie, ouvert sur les autres, ouvert sur Dieu. Son regard fermé devient un regard ouvert, car un regard d’amour s’est posé sur lui. Désormais un regard de foi et de confiance l’habite. Il a trouvé sens à sa vie.

Nombreux, aujourd’hui, sont ceux qui sont aveugles et dont l’horizon est bouché, complètement bouché. Ils ne voient pas de lendemains. Ils n’imaginent pas pour eux de lendemains possibles.
Pas de revenus, pas de papiers, pas de connaissance, pas de formation, pas de droit. Impossible de voir à court et moyen termes une perspective, pour eux même et pour leur famille.

L’Entraide et en particulier la commission des aides et l’accueil du lundi reçoivent de telles personnes. Nous pouvons aussi les rencontrer lors des Braderies.
Quel regard portons-nous sur elles ?
Nous allons pouvoir leur donner des vêtements, une aide financière, à travers des chèques services, leur donner, lors des grands froids, un café chaud et un lieu au chaud. Ces aides matérielles, vestimentaires, alimentaires ne sont rien si elles ne sont pas accompagnées d’un regard de considération et d’estime qui donne, redonne confiance, permet de voir et d’imaginer des jours meilleurs.
Le regard qui donne ou redonne courage, pour peut-être faire espérer de nouveaux lendemains.

L’Entraide est faite de rencontres humaines où le regard sur l’autre est de l’ordre du don, de l’ordre de l’action au même titre que l’apport financier ou matériel.
Un regard qui s’arrête, prend son temps, s’approche, rencontre et voit en l’autre un prochain, un humain digne d’être accueilli et écouté.

Où puiser ce regard bienveillant et attentionné, sinon dans ce regard bienveillant et attentionné que Dieu porte sur chaque être humain en Jésus Christ ?
Où puiser ce regard bienveillant et attentionné sinon dans cet Évangile de Jésus-Christ qui accorde à tout être humain, le mendiant, l’aveugle, le bien portant, l’accueillant comme l’accueilli une égale valeur, une égale dignité d’enfants de Dieu.
Où puiser ce regard bienveillant et attentionné, sinon dans la conviction, que comme Jésus l’a fait à l’égard de l’aveugle, Dieu regarde chacun d’un regard bienveillant et attentionné

Un regard qui sous-tend une action.
Un regard qui se prolonge par une main tendue.
Un regard qui conduit à l’écoute et à la parole échangée.
Un regard qui me fait m’approcher de l’autre pour qu’il devienne mon prochain.

Amen