Un village dans la nuit

Il était une fois un village loin, très loin, un village où régnait la nuit.

Il y avait des nuits de pleine lune et des nuits remplies d’étoiles.

Et quand la nuit était trop noire, on allumait des lampes, toujours plus de lampes…

Mais c’était toujours la nuit. Et la ville vivait dans la nuit.

Scène 1

Les écoliers vont en classe la nuit.

Le paysan cultive ses champs la nuit.

Le pauvre mendie la nuit.

Le boulanger fait son pain la nuit.

La fiancée attend la lettre de son fiancé la nuit.

Le musicien cherche l’inspiration la nuit.

Le pêcheur lance sa ligne la nuit.

Le garde-champêtre veille sur le village la nuit.

La grand-mère dans son fauteuil attend une visite la nuit.

La maman prépare le repas avec amour la nuit.

La nuit, toujours la nuit.

Scène 2

Une nuit, un évènement inhabituel survint. Un étranger arriva dans le village.

Le garde-champêtre le vit venir le premier, à moins que ce ne soit les enfants qui jouaient dans le champ.

L’étranger s’avança dans le village. Il acheta du pain chez le boulanger et s’informa d’un lieu où dormir. Il s’étonna qu’il fasse déjà nuit.

« Nuit ? Mais c’est toujours la nuit! » répondit le boulanger

« Pas toujours, pas partout », reprit l’homme.

« Je viens d’un pays où le soleil se lève le matin et se couche le soir.

Je viens d’un pays où l’herbe est verte, le ciel bleu et les coquelicots rouges sous les rayons du soleil.

Je viens d’un pays où la lumière émerveille les enfants le matin et réjouit les parents la journée.

Je viens d’un pays où l’ombre n’est pas tout, mais seulement la marque du repos, le soir quand la lumière s’estompe.

Cette lumière c’est le jour. Et le jour, pour y voir, on n’a pas besoin de lampe. »

Les villageois furent stupéfaits. Pas besoin de lampe !

Ils n’avaient jamais entendu parler d’une chose pareille, le jour !

Et plus ils en parlaient avec l’homme et plus leur désir d’avoir le jour grandissait.

Aussi supplièrent-ils l’étranger de faire venir le jour chez eux.

« Je ne sais pas comment se fait-il qu’il ne vienne pas aussi chez vous, le jour.

Et je ne sais pas non plus comment le faire venir.

Peut-être qu’il faut simplement attendre et espérer sa venue ? »

Mais comment attendre le jour ?

Scène 3

  • Fiancée :

« Moi je sais ! Quand j’attends une lettre de mon fiancé, je cours dix fois, vingt fois à la boîte aux lettres, jusqu’à ce qu’elle arrive. C’est sûrement comme ça qu’il faut attendre le jour : comme une lettre d’amour. »

  • Musicien :

« Moi je sais ! Je suis musicien, et quand je cherche la musique d’une chanson, je m’assieds, je ferme les yeux et j’écoute dans ma tête. C’est sûrement comme ça qu’il faut attendre le jour : comme une chanson, comme un poème. »

  • La grand-mère :

« Moi je sais ! Toute la journée dans mon fauteuil j’attends qu’une main tourne la poignée de ma porte et que quelqu’un me rende visite. C’est sûrement comme cela qu’il faut attendre le jour : comme une visite qui illumine toute la journée. »

  • Le mendiant :

« Moi je sais ! Quand je tends la main pour avoir une pièce, c’est tout autant le regard que j’espère, le sourire. C’est sûrement comme cela qu’il faut attendre le jour : comme un regard, comme un sourire. »

  • Le boulanger :

« Moi je sais ! Quand mes pains sont au four et que j’attends qu’ils cuisent, je fronce le nez jusqu’à ce que je sente la bonne odeur du pain doré. C’est sûrement comme cela qu’il faut attendre le jour : comme un bon pain. »

  • La maman :

« Moi je sais ! Quand je regarde mes enfants et que je pense à l’avenir, c’est avec joie et avec confiance. C’est sûrement comme cela qu’il faut attendre le jour : avec espérance. »

  • Le paysan :

« Moi je sais ! Quand je me lève toutes les nuits, je vais voir mes arbres et mes plantations. C’est comme cela qu’il faut attendre le jour : en aimant la nature et les hommes qui y vivent. »

  • Enfants :

« Nous on sait ! Quand on attend la récré, on trépigne d’impatience.

C’est sûrement comme ça qu’il faut attendre le jour : de tout son corps ! »

Et tous les habitants de la ville se mirent à attendre le jour, avec patience, confiance, espérance…

Scène 4

Bientôt un homme se présenta au village, il était richement vêtu, installé dans un carrosse doré.

« J’ai entendu dire que vous cherchiez le jour, leur dit-il, eh bien moi, je peux vous le vendre. Si vous le voulez vraiment, vous vous engagez à payer tous les mois et sous peu je vous le fais livrer. »

Intrigués, les villageois se réunirent.

« Je ne paie pas les visites de ceux qui viennent me voir », dit la grand-mère, étonnée.

« Et nous ne payons pas l’amour de nos parents », dirent les enfants surpris.

« L’inspiration non plus ne se paie pas, ni la confiance », dirent le musicien et le paysan.

D’un commun accord, les villageois remercièrent donc le marchand, mais refusèrent ses services.

« Comme vous voudrez, tant pis pour vous…» et il l’homme partit vers d’autres acheteurs plus crédules ! 

Et tout le village se remit à attendre.

Une nuit les villageois entendirent un bruit terrifiant, qui s’amplifiait encore de minute en minute. Ils se précipitèrent sur la place du village.

Une troupe de soldats, en armes, entrait en galopant dans le village.

Leur chef se présenta :

« Nous sommes des soldats. Nous pouvons aller chercher le jour pour vous, si vous le voulez. Nous avons déjà gagné de nombreuses batailles, car nous sommes les plus forts. Cette mission ne nous fait pas peur ! »

La jeune fille protesta :

« Le jour, c’est comme un mot d’amour, ça ne se prend pas par la force. »

Les villageois remercièrent les soldats, ils n’avaient pas besoin d’eux pour attendre le jour. Et tout le village se remit à attendre.

Scène 5

Il y eut encore une nuit qui succéda à une autre nuit, sans interruption.

Les villageois avaient pris l’habitude d’attendre, ils ne savaient plus très bien ce qu’ils attendaient, la visite de l’étranger leur paraissait presque comme un rêve, qui avait éveillé en eux un désir fou. Mais c’était si incompréhensible, si différent.

Une autre nuit encore, un âne s’avança vers le village, de son petit pas fatigué et chargé. Sur son dos une femme tenant dans ses bras un tout petit bébé.

L’homme marchait devant, tenant la bête au licol.

Ils n’avaient pas grand-chose comme bagage, une couverture, un sac, pas mieux.

« Nous cherchons un endroit pour abriter le petit du froid, et prendre un peu de repos. Nous fuyons notre pays, car le roi cherche à tuer l’enfant. Pouvons-nous rester chez vous ? »

La grand-mère s’écria :

« Il y a de la place chez moi, soyez les bienvenus. Plus jamais je ne serai seule si vous acceptez ! »

  • Le boulanger dit :

« Je vais chercher du pain pour vous, je sens qu’il est cuit à point. »

  • Le paysan dit :

« Je vais ramasser de quoi faire une bonne soupe. J’ai vu tout à l’heure des carottes bien mûres et des poireaux aussi. »

  • Le musicien dit :

« Et moi je vais vous chanter quelque chose, j’ai enfin trouvé la fin de ma chanson. »

Et comme tout le monde se préparait pour fêter l’arrivée des étrangers, alors, le jour se leva.