Reprendre goût à la vie (dimanche 24 novembre 2013)

Texte biblique : Ps 142

« Après la pluie vient le beau temps ». « Dans la vie, ça va et ça vient ».

Nous connaissons ces maximes populaires qui véhiculent l’idée suivante : notre existence est marquée par des temps heureux et d’autres plus difficiles.

A long terme, ces épisodes d’une vie s’équilibrent.

Pourtant, l’existence de certains d’entre nous bat en brèche cette pseudo sagesse.

Lorsque, à l’occasion de services funèbres, la famille endeuillée me parle de la vie de son cher disparu, lorsque des personnes visitées me racontent la succession d’épreuves qui les meurtrit, je suis bien obligé d’en conclure que certains sont davantage marqués par les difficultés que d’autres et que la souffrance en est le maître mot.

Souffrance provoquée ou subie.

Souffrance parfois aggravée par la culpabilité.

Souffrance qui enferme.

Souffrance qui n’est pas condamnée à avoir le dernier mot.

C’est cette bonne nouvelle que j’aimerais partager avec vous, à partir du psaume 142.

L’auteur du psaume 142 nous est inconnu.

Par ailleurs, nous ne savons pas précisément ce qui lui arrive.

Par contre, nous connaissons ses sentiments : l’auteur crie à Dieu sa souffrance, souffrance qui revêt différents habits.

Le psalmiste souffre peut-être physiquement, mais nous n’avons pas de détails sur les maux qui l’affligent.

Socialement, il souffre de se sentir menacé : « Délivre-moi de ceux qui me poursuivent car ils sont plus forts que moi ».

Parce que son entourage lui parait menaçant, il se replie sur lui, se renferme, sur sa souffrance et sa plainte.

L’homme est ainsi pris dans un cercle vicieux : il évite le contact avec les autres car ils le font souffrir ; il se retrouve ainsi isolé, sans possibilité de partager une souffrance qui ne peut alors que s’amplifier et l’enfermer davantage encore.

Apparemment, cet homme est irrémédiablement prisonnier de sa souffrance.

Pour reprendre sa propre expression : son « âme » est « en prison ».

Pourtant, peu à peu, le psalmiste va cesser d’être captif de sa souffrance.

Nous allons le suivre sur ce chemin de libération car il peut devenir le nôtre.

Première étape vers la liberté : la plainte adressé à Dieu : « Sauve-moi ».

L’homme crie à Dieu sa souffrance.

Il ne la tait pas, il ne se la cache pas à lui-même ; il la prend en compte et il l’expulse de lui.

Une souffrance, qui n’est plus niée, peut alors ne plus nous écraser.

Lytta Basset est une théologienne protestante, marquée au fer rouge par la vie, et qui a consacré l’essentiel de sa réflexion au pardon et donc à la souffrance subie.

Comment pardonner lorsqu’on a tellement souffert ?

Elle décrit différentes étapes préalables au pardon.

Les deux premières ne nous viennent pas spontanément à l’esprit : d’abord, me souvenir de ce que j’ai subi alors qu’on aurait tendance à dire que le pardon consiste à oublier; m’en souvenir car ce que j’ai subi fait désormais partie de moi; il m’est nécessaire d’en prendre conscience si je veux en faire quelque chose; la deuxième étape, c’est la colère : je rejette ce que j’ai subi et si besoin est, j’accueille le fait que j’en veux à ceux que j’en juge responsables.

Avec une totale liberté, l’auteur du psaume exprime cette souffrance et cette colère. Il crie à Dieu, appelle à l’aide.

Deuxième étape vers la liberté : en criant à Dieu, l’homme rompt son isolement mortifère.

Désormais, il n’est plus seul avec sa souffrance, il a un vis-à-vis sur qui il peut décharger ce qui le détruit.

Dans les psaumes, le croyant exprime l’ensemble des sentiments humains : la joie, la louange, la demande de pardon, mais aussi, comme dans ce psaume, le cri de souffrance, voire la colère contre Dieu.

L’écrivain Elie Wiesel, prix Nobel de la paix et inlassable lecteur des psaumes, résumait ainsi son propre rapport à Dieu : « Souvent avec Dieu, parfois contre Dieu mais jamais sans Dieu ».

Crier à Dieu, lui dire « Qu’est-ce que tu fais ? », « J’ai besoin de toi ! », permet de nommer ce qui nous détruit, mais aussi d’invoquer et de ressentir une présence.

Car la prière n’est pas qu’un cri de colère et de détresse. Elle nous met en relation avec Dieu.

il y a quelqu’un au bout du fil : Dieu, qui nous entend.

Et comme me l’a écrit magnifiquement une paroissienne de Bois-Colombes, touchée par un deuil récent : « Je pense que, comme la joie grandit d’être partagée, la peine diminue ou du moins s’apaise quand elle est entourée ».

Troisième étape : en criant à Dieu sa détresse, l’auteur du psaume lui permet d’agir en sa faveur.

L’auteur ne détaille pas ce que Dieu a fait.

Simplement, sa situation a évolué. Il n’est plus dans une vulnérabilité extrême.

Nous nous heurtons souvent à cette étape.

Nous ne comprenons pas en quoi Dieu peut agir ; l’expérience semble si souvent prouver le contraire. Après tout, il nous est arrivé de prier pour nos proches malades et la mort l’a emporté; il nous est arrivée de prier pour un proche dépressif et nous l’avons vu s’enfoncer dans la nuit de la dépression.

Alors, que fait Dieu lorsque nous souffrons ? Pourquoi n’en fait-il pas plus ?

L’expérience des hommes et des femmes de l’Ancien comme du Nouveau Testaments, l’expérience de tant d’hommes et de femmes aujourd’hui, est que Dieu agit au profit de celui qui est plongé dans la souffrance, le deuil.

Parfois, il agit directement : en guérissant, en réconciliant, en donnant la force de se redresser, de reprendre goût à la vie.

Dans les évangiles, nous découvrons que Dieu lutte, en Jésus, contre la souffrance psychique en délivrant des « possédés » (nous dirions aujourd’hui qu’il les délivre de leur enfermement psychique); en permettant à des aveugles de redevenir clairvoyants et à des paralysés d’avancer de nouveau dans l’existence; Dieu libère également en pardonnant ceux qui s’enferment dans la culpabilité.

Ainsi, parfois Dieu combat ce qui nous fait souffrir.

Mais il agit également en permettant de traverser ce qui nous fait souffrir : par son Esprit, il nous permet de survivre au deuil et au chagrin, de rester tournés vers la vie.

Il nous permet même de faire de la souffrance et du deuil une source de croissance et non de repli ou de régression.

Nous l’avons tous remarqué : confrontée à la même épreuve, une personne se durcira tandis qu’une autre deviendra plus humaine, plus douce, parfois plus joyeuse.

Bien entendu, nos ressources intérieures ou la présence bienveillante de l’entourage jouent un rôle important.

Mais, seul Dieu, par sa présence agissante au plus profond de nous, nous permet d’expulser la plainte, la détresse, et la colère et de recevoir en retour une féroce joie d’exister.

Seule sa présence en nous peut nous rendre davantage aimants et compatissants, malgré la souffrance, par-delà la souffrance.

Enfin, seul Dieu peut permettre à la souffrance et au deuil de recentrer notre existence sur l’essentiel, d’opérer un tri entre l’accessoire et ce à quoi je tiens vraiment.

Atteint d’un cancer, l’écrivain Claude Pantillon écrit : « Tout se passe comme si je concentrais mes forces autour d’un noyau central mis en évidence par la souffrance, qu’il s’agirait de maintenir à tout prix. La souffrance joue le rôle d’une fosse de décantation et me révèle l’essentiel dont il faut essayer de sauvegarder l’intégrité pour rester qui je suis. La souffrance peut vous amoindrir, vous abêtir, vous détruire, mais elle est aussi une chance de vous instruire. Je suis en voie de formation, de recyclage ».

La dernière étape devient alors possible : parce qu’il va mieux, parce qu’il n’est plus seul, parce qu’il a crié sa souffrance, l’auteur du psaume peut, de nouveau, entrer en relation et rendre grâce à Dieu : « Je pourrai te louer au milieu des disciples quand tu m’auras fait du bien ».

Lui qui s’enfermait dans sa souffrance a pu s’ouvrir à Dieu et à son entourage.

Ce chemin emprunté par le psalmiste nous est également ouvert.

Lorsque la souffrance nous enserre, lorsqu’elle nous enferme, nous pouvons, comme l’auteur du psaume, crier à Dieu, lui nommer ce qui nous écrase, nous lier plus étroitement encore à lui afin qu’il nous permette de traverser la souffrance en grandissant intérieurement.

Il en est de même pour ceux qui, meurtris par le deuil d’un être cher. Au terme d’un long chemin, même s’ils resteront amputés d’une part d’eux-mêmes, ils puiseront la force de survivre au chagrin. Ils s’autoriseront à vivre sans se sentir en dette vis-à-vis de leur cher disparu.

Oui, au terme d’un long cheminement, les uns et les autres, nous pourrons nous associer au psalmiste et dire avec lui : « Fais-moi sortir de prison pour que je puisse te louer au milieu du cercle des fidèles quand tu m’auras fait du bien ».

Amen !