« quiconque se met en colère contre son frère …»

Culte dimanche 19 juillet 2020

Centre 72, Bois-Colombes

Lecture :

Matthieu 13, 24 à 43

Prédication :

Peu de choses peuvent entraver l’élan spontané de la graine à se déployer ! …

Ainsi en va-t-il du Royaume des Cieux. La Bonne Nouvelle tient au creux d’une main. Elle a l’air morte et insignifiante comme les graines absolument minuscules de la carotte ou de la tomate. …

Je ne sais pas si vous avez un petit jardin chez vous ?

Mais, quand on aime, on peut même faire du jardinage dans un petit pot sur la véranda ou au bord d’une fenêtre : le miracle de la plante qui se déploie à partir d’une petite graine, on peut l’observer aussi dans un petit pot de plant de tomate !

Tout comme le miracle du Royaume qui grandit et se déploie à partir d’une petite graine de parole d’Évangile, semée dans l’humus d’un cœur humain pour devenir « un arbre, si bien que les oiseaux du ciel viennent faire leurs nids dans ses branches » (Mt.13,32)

Tout cela est beau et réjouissant … peut-être un peu trop beau, pour être tout à fait vrai ?

Car dans le « champ » du semeur ne poussent pas seulement les « bons grains », mais aussi l’ivraie, ma mauvaise herbe qui, en effet, risque par moment d’étouffer la petite pousse avant qu’elle puisse devenir une belle plante ou un bel arbre plein de fruits.

Tout comme dans le « champ » de notre monde et de notre humanité, à côté du bon grain de la confiance, de la générosité, de la bienveillance, de l’amour du prochain, a été semé aussi l’ivraie du mépris, de la jalousie, de la peur de manquer ou d’être trompé … et je ne parle même pas de la peur d’attraper le virus d’un autre !

C’est vrai, l’ivraie paraît parfois tellement dominante, tellement étouffante qu’elle menace de faire mourir le bon grain avant même qu’il puisse devenir une plante qui porte des fruits. …

Mais avant de parler du bon grain et de l’ivraie, semés ensemble dans un même champ, je voudrais m’arrêter un instant sur un autre mot de la parabole : le mot champ.

Un homme a semé du bon grain dans son champ.

Et quand Jésus explique la parabole, il précise que ce champ est le monde.

À nos oreilles, rien de bizarre. Les chrétiens ont dès le début pris très au sérieux l’évangélisation jusqu’au bout du monde…

En effet, le champ de la Parole de Dieu à semer, c’est le monde… Parole à tous et pour tous !

Véritable interpellation pour notre Église.

Un homme a semé du bon grain dans son champ.

Quand je lis cette phrase, j’entends en écho : « Dieu aime le monde, le monde entier, tout le monde. » (cf. Jean 3 / 16 : « Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle »). …

Si le champ, c’est le monde, alors Dieu ne nous veut pas ailleurs que dans le monde, où il nous a placés. Et le monde n’est pas mauvais, il n’est pas perdu, il n’est pas à fuir, puisque nous sommes appelés à prendre racine justement au cœur du monde.

Une autre manière de dire le sel de la terre, la lumière du monde…

Un monde dans lequel chacun de nous a une mission, là où il est planté.

Le champ… c’est aussi chacun de nous. Les scientifiques aiment à souligner les similitudes de fonctionnement entre l’univers, la terre, le corps humain, et le monde microscopique.

À chaque dimension, l’organisation des éléments présente de grandes ressemblances, à une échelle différente. L’être humain est un monde à lui tout seul.

En nous a été semé également du bon grain. Mais pas seulement du bon !! comme dans le monde. Alors, comment faire pour qu’il ne soit pas étouffé par l’ivraie ?

L’ivraie

Il nous faudra en parler un peu plus, de cette « ivraie ». Dans notre parabole il se dit, dans sa langue d’origine, en grec : zizania, qui a donné zizanie en français. Ce mot est unique dans tout le Nouveau Testament, et seulement utilisé ici.

En grec classique il n’est pas non plus très courant et désigne une notion imprécise : « les choses qui empêchent que ça pousse ».

J’aime bien traduire par zizanie, bazar, confusion…

Il y a quelque chose qui fait que tout n’est pas harmonieux.

Dans le champ du monde, quand les belles plantes poussent, poussent aussi des choses bizarres, pas bien ordonnées, pas à leur place.

Dans le champ de l’être humain, ce sont les pulsions de mort, de violence. Tout ce qui fait qu’on ne peut pas vivre simplement le bonheur ou la joie, mais que quelque chose empêche d’éprouver un sentiment de plénitude.

Les psychanalystes parlent de manque, de frustration, les romantiques ont nommé cela « le spleen, ou la mélancolie », les médecins « dépression », voire névrose ou psychose.

Mais quel que soit le nom, il s’agit d’une impossibilité à être en paix avec soi-même et avec les autres pour pouvoir regarder avec bonheur le bon grain pousser.

Dans le champ du monde, malheureusement encore aujourd’hui, nous sommes les spectateurs impuissants de violences absurdes qui ajoutent du malheur au malheur, sans la moindre lueur d’espérance.

Et ce n’est pas seulement ailleurs que cela se passe : dans des pays en guerre, mais aussi chez nous, au sein même de certaines familles où ce sont toujours les plus faibles, les plus vulnérables qui sont victime de la violence…

Et, peut-être plus inquiétant encore : si nous regardons honnêtement, notre propre vie, les humeurs et les sentiments qui nous habitent parfois, et nous poussent à la violence, au moins dans nos pensées et nos paroles, devant tel automobiliste qui nous empêche d’avancer plus vite – ou qui nous a grillé la priorité.

Car, comme Jésus nous le rappelle, la violence commence déjà dans nos pensées et nos cœurs : « quiconque se met en colère contre son frère en répondra au tribunal ; celui qui dira à son frère ‘Imbécile’ sera justifiable » (Mt.5,22)…

Comme les serviteurs du maître du champ, nous pouvons adresser nos interrogations à Dieu :

« N’as-tu pas semé du bon grain ? Comment se fait-il donc que l’ivraie pousse ? Veux-tu que nous l’enlevions ? »

La réponse de Jésus tient en deux temps : ce n’est pas le maître qui a fait cela, mais un ennemi.

Et non, vous ne devez toucher à rien, sinon cela ferait des dégâts.

La cause de la méchanceté, du malheur, de la mort, Jésus ne l’explique pas.

Il y a un ennemi, c’est ainsi.

Il n’y a pas de réponse aux pourquoi et ce n’est pas la peine de chercher dans cette direction-là. Cela ne sert à rien. Dieu ne veut pas le mal, il n’en est pas la cause. Il faut accepter notre ignorance de cela.

Par contre, ce qui est affirmé, c’est l’ordre de ne pas chercher à faire le tri, ni dans le monde, ni dans nos vies…

Ce n’est pas à nous de dire ce qui est du bon grain et de l’ivraie, nous devons nous abstenir de tout jugement qui voudrait séparer les bons d’un côté et les mauvais de l’autre, y compris en nous-mêmes : de trier entre les bons et les mauvais sentiments.

L’ivraie, la zizanie n’a pas d’autre cause que cette volonté de trier, de séparer, d’arracher, de purifier. …

« Laissez l’un et l’autre croître ensemble… » (Matthieu 13,30), je reçois cet ordre de Jésus comme une interdiction de juger et un appel à la patience. C’est vrai, certaines personnes nous paraissent sur un bien mauvais chemin, pourtant l’homme a semé dans tout son champ.

La promesse est donc aussi pour ceux qui nous semblent perdus pour l’Évangile… Le semeur a tout son temps !

La patience est de mise aussi pour ce monde que nous représentons par chacun de nous. Quand en nous se chamaillent bonnes idées et mauvais penchants, nous n’avons pas pour mission de devenir des « purs », mais simplement de nous mettre à l’écoute de nous-mêmes pour y voir toutes les belles choses que Dieu a semées.

Notre regard ainsi est conduit à changer : apprendre à voir le beau, le bien, le bon qui nous entoure, qui est en nous également.

Sortir de la logique de critique, de dénigrement, d’accusation, pour enfin entrer par avance dans la joie du Royaume.

Le semeur est sorti pour semer, dans le monde entier.

A l’époque de Jésus, les prophètes annonçaient depuis des siècles la venue du Messie.

Et cette venue devait s’accomplir dans un grand mouvement de purification, de destruction du mal et de séparation des bons et des méchants.

Cet événement de tri était la marque même de la venue du Messie. Or, Jésus vient et rien ne se passe.

Nul tri, nul bouleversement, nulle purification.

Conséquence logique : Jésus n’est pas le Messie attendu. Et pour s’être proclamé lui-même Fils de l’homme, il sera condamné à mort.

Mais cet homme, fragile, grain mis en terre pour mourir portera du fruit et sa résurrection fera lever l’espérance pour le monde entier !

Je vous invite encore à terminer avec une autre prière de Marion Muller-Colard :

« Que restera-t-il de ma vie lorsqu’elle passera au crible de ton Regard ?

Toi l’avide du bon, du bien, du beau,

moi le négligent, l’oisif, le rancunier ?

Je ne sais quel recoin de moi-même supportera d’être visité par ta lumière

mais je sais que l’épopée balbutiante

où je cherche à tâtons mes pas vers ton Royaume

a besoin ici et maintenant d’approcher ton Jugement.

Reconnaître avec toi la liberté d’aimer et la joie de bénir.

Non pas seulement, Seigneur, aller vers ton Royaume

mais vivre de telle sorte que parfois, dans ma vie,

Tu te sentes chez toi »

Amen

Andreas Seyboldt.