Qui de vous, ayant un serviteur …

EGLISE PROTESTANTE UNIE D’Asnières, Colombes, Bois Colombes

le 6 octobre 2019 

Luc 17 v 7 à 10 Le serviteur et son maître

« Qui de vous, ayant un serviteur qui laboure ou paît les troupeaux, lui dira, quand il revient des champs: Approche vite, et mets-toi à table?

Ne lui dira-t-il pas au contraire: Prépare-moi à souper, ceins-toi, et sers-moi, jusqu’à ce que j’aie mangé et bu; après cela, toi, tu mangeras et boiras?

Doit-il de la reconnaissance à ce serviteur parce qu’il a fait ce qui lui était ordonné?

Vous de même, quand vous avez fait tout ce qui vous a été ordonné, dites: Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire »

Il y a des mots qui font frémir et pâlir. Je pense à l’adjectif inutile qui vient qualifier le serviteur de la parabole selon l’Evangile de Jésus-Christ.

Serions-nous appelés en effet à être des inutiles, littéralement des bons à rien dont la vie n’aurait aucune utilité, aucun sens, aucun intérêt ? Serions-nous invités à être de ceux qui se sentent inutiles, de ceux qui ont l’impression de ne compter pour personne, de ceux qui pensent que personne ne s’intéresse à eux, de ceux qui considèrent qu’ils n’apportent rien aux autres ?

Serviteurs inutiles, serait cela la bonne nouvelle de l’Evangile  que Jésus révèle par sa venue aux humains ?

J’entends déjà la souffrance de tous ceux et toutes celles qui se sentent inutiles et dont la vie n’a plus de goût.

J’entends le cri du prisonnier enfermé entre les 4 murs de sa cellule qui se sent terriblement seul, oublié de ses proches et qui s’enfonce dans la désespérance, car se sentant inutile .

J’entends la plainte de la personne âgée sur son lit d’hôpital, qui ne comprend pourquoi sa vie se prolonge indéfiniment , qui ne  se sent plus bonne à rien et ne voit pas en quoi elle serait utile. Elle se languit et se lamente car elle a l’impression de n’exister pour personne.

J’entends les pleurs de la personne esseulée , livrée à elle-même qui n’a jamais su, jamais pu tisser de relations avec quiconque et que l’existence n’a pas cessé d’éprouver. Elle ne compte pour personne. Elle se sent inutile. Elle se demande à quoi sert sa vie ; une vie inutile, car sans la présence des autres.

Et qui plus est dans cette parabole de Jésus, si le serviteur dit inutile , est félicité, il est dit aussi que le maître n’a pas à exprimer sa reconnaissance à l’égard du serviteur pour ce qu’il a fait.

J’entends alors la plainte de tous ceux et toutes celles qui souffrent du manque de reconnaissance aujourd’hui dans le cadre du travail.

Souffrances, détresses, troubles de celles et ceux dont l’existence semble ne plus avoir de goût, ni de saveur car inutile, sans reconnaissance.

Et voilà ce matin que cette parabole de Jésus propre à l’Evangile de Luc évoque des serviteurs inutiles, que les disciples de Jésus seraient appelés à devenir…

Alors, non je refuse, je proteste, je résiste face à cette compréhension de l’inutilité, face à un tel éloge de l’inutilité, qui est le lit de la désespérance et de profondes souffrances intérieures !

Trop d »humains aujourd’hui perdent pied, perdent le goût de vivre car ils se sentent inutiles. Ils ne sentent pas exister dans le regard des autres.

Il nous faut lutter de toutes nos forces contre ce fléau du sentiment d’inutilité qui ronge de l’intérieur des existences humaines.

C’est bien sur ce terrain-là que notre Entraide Paroissiale agit en a accueillant les cabossés de la vie. C’est sur ce même terrain que la Maison des Jeunes ,mais aussi le Centre 72 et la paroisse interviennent pour combattre la solitude et le sentiment d’inutilité en suscitant des rencontres, des rassemblements, des partages , des temps et des lieux de convivialité et d’accueil de toutes sortes.

Alors en quoi cette courte parabole qui évoque des serviteurs inutiles peut-elle être bonne nouvelle ?

La parabole parle d’une relation d’un maître et de son serviteur. Celui-ci rentre du travail des labours ou de la surveillance des troupeaux. Le maître alors dit à son serviteur : « Prépare moi le repas, mets-toi en tenue pour me servir jusqu’à ce que j’ai mangé et bu et après cela tu mangeras et boiras » Et il poursuit : l »le maître n’a pas à témoigner de la reconnaissance envers son serviteur car celui-ci n’a fait que ce qu’il devait faire » . Point final Il est alors dit inutile ?

Jésus  a l’art de croquer sur le vif des scènes de la vie ordinaire de son époque pour illustrer la relation des disciples ; c’est à eux qu’il parle, oui de la relation des disciples à Dieu. Ne nous trompons pas de registres ! Il n’est pas en train de vouloir définir un nouveau code de travail entre maîtres et serviteurs !

Si le serviteur est qualifié semble-t-il, je dis bien semble-t-il, de serviteur inutile, il est d’abord et avant tout serviteur. Et c’est bien là la Bonne Nouvelle !

Il a été rencontré par le  maître. Il a été appelé, nommé. Le maître lui a parlé pour l’appeler à son travail, pour l’embaucher, lui donner une place. Ce serviteur de la parabole n’est pas sans lieu, ni sans travail, ni sans reconnaissance. Une place d’importance lui a été confiée. Il compte pour son maître  puisque de retour des champs, celui-ci lui parle et attend de lui qu’il prépare le repas et se mette en tenue. Le serviteur est serviteur car aux yeux du maître, il existe, il a un rôle , une place, de l’importance. Tous deux se rencontrent, se parlent, s’estiment mutuellement. Le serviteur se sent utile aux yeux du maître. Le maître compte sur lui.

Il en est ainsi de l’être humain qui naît au monde. Il vit par le regard et l’amour que ses parents lui portent.IL existe à leurs yeux et leur amour pour lui à travers gestes et paroles en sont la preuve.

Telle est aussi la Bonne nouvelle de l’Evangile ; chaque être humain existe dans le regard aimant de Dieu. Chaque être humain compte pour Dieu. Chaque être humain est appelé à devenir serviteur du maître. Chaque être humain a une place importante et unique que Dieu lui accorde au milieu des autres. Lors de tout baptême, il y a cette belle parole pour rappeler que le baptisé aura toujours sa place ; une place que Dieu dans son amour lui confie, lui réserve dans sa maison comme il le fait déjà pour le serviteur de la parabole. Devant Dieu, chacun est attendu, reconnu, considéré. Une place de serviteur lui est confiée, une place accordée par Dieu dans son amour inconditionnel, une place dans laquelle chacun pourra déployer sa liberté, ses compétences, sa singularité.

Telle est sa grâce, offerte à chacun et que le baptême vient signifier de manière concrète. Notre  vie a du prix, de l’intérêt , de l’importance, aux yeux de Dieu. Elle ne nous est pas accordée pour rien, ni sans raison, ni sans utilité.

Alors comment comprendre que les disciples identifiés au serviteur de la parabole soient appelés serviteurs inutiles ?

Notons d’abord que la traduction habituelle rend mal compte du sens du mot grec utilisé « acreio ». Nous avons suffisamment souligné les dérives possibles d’une telle traduction. Non, il s’agit plutôt d’un serviteur quelconque, d’un serviteur ordinaire ou simple serviteur.

En fait pourquoi qualifier le serviteur qui a une place utile d’importance aux  yeux du maître, aux yeux de Dieu de la sorte. Il faut relire l’ensemble du verset ; «  A-t-il , il s’agit du maître, de la reconnaissance envers ce serviteur parce qu’il a fait ce qui lui était ordonné. De même vous aussi quand vous avez fait tout ce qui vous était ordonné dîtes: nous sommes des serviteurs quelconques ( traduction œcuménique de la Bible) .nous avons fait seulement ce que nous devions faire »

Tout compte fait, il est question ici de ce qui motive , anime, le service du serviteur . Pourquoi le serviteur sert-il, s’engage-t-il ? Est-ce pour mériter la place que lui accorde le maître ?

Est-ce pour prouver face à son maître qu’il est à la hauteur de la situation ?

Est-ce pour attendre de la reconnaissance de sa part ?

 Non-dit Jésus à ses disciples rien de tout cela ; pas question de mérite, ni  de gloriole, ni d’auto satisfaction ! La reconnaissance que vous recherchez, elle vous est accordée dès le départ, gratuitement, par le simple fait que vous soyez embauchés, toujours embauchés, avec une confiance toujours renouvelée. Si le maître vous embauche, vous fait une place, ne croyez surtout pas que c’est à cause de vos performances, de vos réussites, de votre efficacité. Vous êtes bien loin de ses exigences, jamais véritablement  à la hauteur.

 Oui, vous êtes de simples serviteurs, des serviteurs, par pure grâce, car telle est sa volonté d’amour. Il vous donne une place, un rôle à jouer. Alors n’agissez pas en vous prenant la tête, en voulant montrer que vous êtes le meilleur ou le plus fort ! en vous montant la tête ou en attendant un retour. Vous risqueriez d’être déçus et d’attendre longtemps.

Vous avez déjà eu tout au départ par la confiance accordée.

Non ce qui est à faire , faîtes le sans arrière-pensée, sans chercher la gloire, sans chercher un avantage en retour.

Non, faîtes le car il convient de le faire car vous devez le faire. Un point c’est tout. Devoir accompli !

Là est la vraie liberté, en conscience. Là est le vrai service du serviteur ordinaire qui ne se prend pas pour le maître, qui en marchande pas avec le maître.

A la place que le maître lui a confiée, librement, sereinement, humainement, fidèlement, en responsabilité, en conscience, sans s’enfler d’orgueil, sans attendre un retour, il s’engage, il s’engage à la recherche du bien du bien commun en acteurs de justice et d’amour.

Il se sent à sa place, il se sait à sa place, utile aux yeux de Dieu et des autres, malgré ses imperfections et ses faiblesses.

Un serviteur ordinaire, désintéressé, libre, confiant qui sait que son maître compte sur lui, sans pour autant attendre un retour.

Du coup, pas de risques de déception,  ni de frustration , ni de découragement. Non, une liberté courageuse, agissante pour le bien de l’autre, de soi-même , pour le bien commun, pour le service de Dieu et le service du prochain.

Et suprême surprise, il y aura parfois des paroles et des gestes de reconnaissance imprévus, imprévisibles, à recevoir alors comme des cadeaux inattendus de grand prix, suscitant de grandes joies !

Amen

Pasteur Denis Heller