Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit…

 Dimanche 27 décembre 2020

Culte à Bois-Colombes

Lecture : Luc 2, 22 – 40

Prédication :

Luc, à la différence de Jean – dont nous avons entendu le « poème du prologue » à Noël – n’est pas un poète. Il est un narrateur. Il aime écrire et raconter des récits pour dire, pour témoigner de la survenue de la foi au Christ-Sauveur dans la vie des humains.

Il commence son Évangile avec cette introduction : « Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements accomplis parmi nous… il m’a paru bon, à moi aussi… d’en écrire pour toi un ordonné, très honorable Théophile… » (Luc 1,1-3).

De Théophile, nous n’avons pas d’autres traces dans son Évangile. Nous ne savons pas qui il était. Mais nous connaissons la signification de son nom : Théo-phil = l’ami – ou l’aimé – de Dieu. C’est comme si Luc nous proposait de nous reconnaître en lui, chacune, chacun, puisque comme lui, nous sommes aimés de Dieu. Cela, Luc veut nous le faire comprendre par son récit.

Comment s’y prend-il ?

Après nous avoir présenté Marie et Joseph, les parents de Jésus, l’Évangéliste Luc nous présente – en quelque sorte – les « grands-parents » : Syméon et Anne…

Je dis bien, « en quelque sorte », puisque ces deux personnages – que Luc est le seul à mentionner – n’ont aucun lien de parenté, ni avec Marie, ni avec Joseph ; ils se trouvent juste là, « par hasard », au temple le même jour, à la même heure qu’eux…

Le hasard, soit dit en passant, étant, selon l’adage, le mode d’action de Dieu « quand il veut rester anonyme » ! Nous y reviendrons…

Marie et Joseph se rendent donc au temple, avec Jésus, nouveau-né, pour des rites de purification et pour « le présenter au Seigneur » – rites coutumiers du judaïsme du 1er siècle, « suivant la loi de Moïse » (Luc 2,22) … et ils y rencontrent Syméon et Anne.

Qui sont-ils ?

Luc prend grand soin de les présenter, d’abord par leur nom : dans la Bible, les noms ont souvent une signification qui entre en résonance avec le message transmis, ce qui est particulièrement le cas pour eux :

Syméon, « Shimon » ou « Shemaya » en hébreu, signifie « Dieu a entendu ». Un « homme juste et pieux », nous précise Luc qui « attendait la consolation d’Israël » (Luc 2,25), littéralement « assidu dans l’espérance ».

Ces expressions qualifient Syméon d’homme croyant attaché à la justice et au respect des commandements – tout comme Élisabeth et Zacharie, les parents de Jean-Baptiste dont Luc raconte le récit au chapitre précédent.

Anne, de son côté, porte un nom qui, en hébreu, veut dire « Dieu fait grâce ». Le nom de son père, « Phanuel », a lui aussi une signification importante dans le récit. Il se traduit par « Face de Dieu ».

Contrairement à Syméon, Anne ne parle pas, mais elle est, par son nom et son origine, une incarnation de la grâce de Dieu. Elle vient prendre place à côté de Jean-Baptiste, le précurseur, comme témoin de Celui qui vient.

Signe d’élection qui inaugure, avec la bénédiction d’Élisabeth (« Bienheureuse celle qui a cru : ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s’accomplira », dit-elle à Marie lorsqu’elle vient lui rendre visite après l’annonce de la naissance de Jésus, Luc 2,43), le rôle privilégié des femmes dans le sillage de Jésus et leur présence devant le tombeau vide au martin de Pâques.

Par ailleurs les chiffres, comme toujours, ont leur poids de symbole !

Sept ans de mariage, c’est peu, mais c’est déjà la plénitude d’un accomplissement. Alors que dire des quatre-vingt-quatre ans de vie (sept fois douze : la plénitude fois le nombre des tribus d’Israël) ?!

Syméon et Anne, par leurs noms, leur pratique fidèle et assidue de la Loi de Dieu, ils représentent, à eux deux, l’attente de tout un peuple qui se relaie dans le Temple pour y rencontrer son Seigneur et l’accomplissement de Sa Promesse.

Et pourtant, lorsque cet accomplissement de la Promesse vient à leur rencontre en la personne d’un petit enfant nouveau-né – qui ne s’est pas encore fait connaître sous son nom de Christ-Sauveur – nous pouvons nous demander ce qui leur permet, à Anne et à Syméon, de l’appeler ainsi :

Comment savent-ils que ce petit enfant est Celui qui doit venir de la part de Dieu – pour accomplir la Promesse de salut et de libération ?

Le récit de Luc évoque l’Esprit Saint de Dieu qui « était sur Syméon », qui lui révèle « qu’il ne verra pas la mort avant d’avoir vu le Seigneur » et qui, finalement, le pousse à venir au temple pour y rencontrer Marie, Joseph et l’enfant de la crèche (Luc 2,25-27). …

Puis, sans autre explication, Syméon « le prit dans ses bras et il bénit Dieu » (Luc 2,28). …

* * * * *

Le récit de Syméon et d’Anne m’a fait penser à une histoire qui s’est passée, il y a une trentaine d’année, dans un petit village.

On y vient par une route unique qui s’arrête au village sans le traverser, naturellement barré par une grande forêt. Un village un peu reculé, un peu coupé du monde. Ce village est situé de l’autre côté du Rhin, en Allemagne, à une centaine de kilomètres de Strasbourg.

Dans ce village vivait un couple qui, lorsque je l’ai connu, était déjà bien avancé en âge.

Lui était originaire d’une famille ouvrière. Très tôt, dès son apprentissage dans une entreprise d’imprimerie de la ville, il s’était engagé dans le mouvement ouvrier, en particulier au sein du parti socialiste allemand. Cela ne l’a pas empêché d’être croyant et d’aller au culte, et si l’occasion se présentait, de discuter avec le pasteur du village. Il se méfiait de certains membres de la paroisse qui avaient tendance à confondre l’idéologie nazie avec un mouvement de réveil « envoyé par Dieu ».

Elle était la fille d’un grand paysan du village et avait grandi dans une pratique spirituelle et religieuse forte, habituée dès son plus jeune âge à aller au culte tous les dimanches. Elle faisait également partie de la chorale paroissiale et connaissait la plupart des cantiques par cœur…

La guerre de 1939-45 avait séparé le couple pendant plusieurs années : lui enrôlé comme soldat, avait combattu en Russie, puis avait été prisonnier de guerre en France, alors que son épouse n’avait jamais quitté le village.

À la fin de la guerre, le village avait été occupé – comme toute la région – par les forces d’occupation de l’armée française. Dans cette armée, quelques soldats étaient originaires du Sénégal, ce qui avait provoqué une peur encore plus grande parmi les villageois, essentiellement des femmes (puisqu’une grande partie des hommes étaient soit morts, soit prisonniers de guerre) : elles n’avaient encore jamais vu d’hommes africains !

Les années ont passé, les prisonniers de guerre ont pu rentrer chez eux, une fille est encore née au sein du couple qui avait déjà deux garçons. La vie renaissait partout, tant matériellement que spirituellement.

Mais la méfiance vis-à-vis du peuple vainqueur était restée ancrée dans le cœur de la femme : lorsque son unique fille tomba amoureuse d’un militaire français d’origine antillaise, dont l’unité faisait partie du contingent stationné en ville, il lui fut très difficile de l’accepter. La souffrance fut grande lorsque sa fille donna naissance – hors mariage ! – au petit Marius, joli bambin « café au lait », comme on disait à l’époque.

La grand-mère fut sollicitée pour être la nounou du petit – ce qui la plongea dans un embarras supplémentaire. Elle s’en confia – non pas au pasteur – mais au médecin de famille en qui elle avait une certaine confiance, puisqu’il avait accompagné la famille durant de longues années.

À son grand étonnement, le médecin, non seulement ne se montra pas choqué par la situation, mais lui adressa une véritable « parole d’Évangile » qui la bouleversa :

« Chère Madame, je sais que vous êtes croyante et sensible à la parole de l’Évangile. Voyez-vous, cet enfant qui est venu à vous par votre fille, il a besoin d’une grand-mère qui l’accueille et lui prépare son goûter quand il revient de l’école. Il a besoin d’une grand-mère qui lui raconte une histoire le soir avant de s’endormir. Il a besoin d’une grand-mère qui lui raconte l’histoire de votre famille dont il fait partie désormais. Le petit Marius a besoin de vous ! »

Quand elle m’a raconté cela, elle avait les larmes aux yeux !

À partir de ce jour-là, comme le vieux Syméon, elle a pu prendre le petit Marius « dans ses bras » (Luc 2,28) – au sens figuré et au sens littéral.

À partir de ce jour, non seulement elle s’est occupée pleinement et avec beaucoup de joie de Marius, mais elle a aussi réalisé la formidable dimension universelle de l’Évangile – dans le regard d’enfant de son petit-fils. Et Marius est resté attaché à sa grand-mère durant toute sa vie.

* * * *

C’est l’histoire de mes grands-parents paternels.

Mon grand-père s’appelait Gottlieb – la version allemande du prénom d’origine grec, Théophile, à qui Luc a dédié son Évangile.

Le prénom de ma grand-mère était Emma – une version raccourcie du nom également d’origine biblique : Emmanuelle = Dieu avec nous, le deuxième prénom, en quelque sorte, de Jésus !

Dieu se donne à connaître, à recevoir dans le corps d’un nouveau-né, pour nous inviter à accepter notre propre humanité, fragile, vulnérable, imparfaite.

Dieu se donne à connaître dans « l’enfant Jésus », pour nous préserver de chercher Dieu « au-dessus de nous », dans un ailleurs « purifié » : meilleur, parfait et sans faille. …

Dieu se révèle dans ce petit enfant fragile, menacé qui demande à être « reçu », à être « bercé » par nos bras …

Et qui donne alors à notre vie un « sens nouveau » une « orientation nouvelle » où ce ne sont plus nos propres forces et mérites illusoires qui comptent, mais la réalité d’un Dieu dont la puissance est celle d’un Amour « universel » qui ne connaît pas de limites, ni de frontière.

Amour plus fort que nos échecs, nos manquements, nos vies fragiles et inachevés. Amour plus puissant que la mort.

Amour qui nous attend encore au-delà de cette vie terrestre.

Le vieux Syméon – tout comme la prophétesse Anne – n’ont pas cessé d’y croire tout au long de leur longue vie.

Tous deux chantent leur joie, leur reconnaissance d’avoir pu apercevoir la réalisation de la promesse de Dieu en la personne de l’enfant Jésus, incarnation de l’Amour de Dieu, plus puissant que la mort.

Amen.

Andreas Seyboldt