Prédication culte du 4 mars 2012

 

Texte biblique : Genèse 22

 

Franchement, quel est ce dieu qui joue avec les nerfs d’un père, en lui demandant de sacrifier son fils !

Et quel fils !

Isaac, celui qu’Abraham a eu tant de mal à avoir !

Celui qu’il aime tellement.

Le seul enfant conçu avec Sarah, sa femme.

Comment comprendre qu’Abraham puisse même envisager ce sacrifice ?

Comment réagirions-nous si un proche nous disait : « j’ai entendu la voix de Dieu. Il me demande de tuer mon fils. Je pense que je vais le faire » ?

Nous penserions à un comportement psychotique.

 

Ainsi, l’attitude d’Abraham est incompréhensible.

Celle de Dieu ne l’est pas moins.

Comment peut-il jouer avec l’idée du sacrifice d’un enfant et tester ainsi la fidélité d’Abraham ?

 

Le contexte renforce notre perplexité.

L’Eternel a promis à Abraham qu’il serait le père d’un vaste peuple, aussi nombreux que les étoiles dans le ciel ou les grains de sable dans le désert.

D’ailleurs, Abraham signifie « père de la multitude »

 

Dieu a promis que le peuple à venir serait sien.

Il a même promis que ce peuple serait lumière pour tous les habitants de la terre.

Après bien des difficultés, Abraham a eu deux enfants : Ismaël et Isaac.

Mais le premier a été chassé. Et le second menace d’être sacrifié.

La promesse semble en échec.

Et même si nous connaissons la fin de l’histoire, et même si nous savons qu’in extremis l’Eternel retiendra le bras d’Abraham, nous pouvons trouver malsaine cette mise à l’épreuve.

 

Ainsi, le vrai-faux sacrifice d’Isaac nous interroge.

Sur Abraham.

Sur Dieu.

Sur sa signification aujourd’hui.
Deux grandes explications ont été proposées.

La première vante l’obéissance d’Abraham.

Le patriarche fait confiance à Dieu, au point d’être prêt à lui sacrifier son fils.

Et il est loué pour cela.

De nombreuses interprétations vont en ce sens.

L’islam célèbre la foi d’Abraham prêt à sacrifier … Ismaël et célèbre cette obéissance avec la fête de l’Aïd.

Le judaïsme fait de même à partir du récit de la Genèse.

Ecoutons un commentaire rabbinique récent

Si « Abram crut en Dieu », pourquoi l’Eternel le met-il à l’épreuve ?

Abram croit donc en la protection divine et au salaire qui lui était promis. Croit-il en Dieu ?

A quelqu’un lui expliquant qu’après Auschwitz, il avait perdu foi en Dieu, Haïm Cohen répondit : «Vous n’avez jamais cru en Dieu, vous avez cru en l’aide de Dieu et c’est en cette croyance que vous avez été déçu. Dieu ne vous a pas aidé. Mais celui qui croit en Dieu ne rattache pas sa croyance à la foi en l’aide de Dieu … Il croit en Dieu à cause de sa divinité et non pour des fonctions qu’il lui attribue par rapport à l’homme ».

Telle est la signification de l’épreuve du sacrifice d’Isaac dans laquelle Dieu se révèle à Abraham, non pas comme Celui qui le protège et le récompense mais en tant que celui qui profère une exigence des plus difficiles et des plus graves, exigence à laquelle il ne peut répondre qu’en annulant en lui tout besoin, tout intérêt et toute valeur qui relèvent du monde des humains ; annulation au profit du service de Dieu.

Abraham surmonte cette épreuve en étant prêt à sacriufer son fils.

Et nous le savons les chrétiens ont également adopté cette interprétation et l’ont reliée au sacrifice de Jésus, soit-disant exigé par Dieu.

Ainsi Abraham serait glorifié pour avoir obéi à Dieu au point de lui sacrifier son fils.

Franchement, une semblable obéissance fait d’Abraham une marionnette et non un partenaire de Dieu.

Pire, cette obéissance, c’est celle, aveugle, du fanatique, prêt à tuer, au nom de Dieu.

 

L’autre interprétation est plus moderne.

Selon elle, ce texte illustrerait un changement de mentalités.

La religion juive, en train d’émerger, romprait avec la pratique des sacrifices humains et la remplacerait par celle du sacrifice animal.

Dieu, par cette expérience terrible, ferait comprendre à Abraham que le sacrifice humain est contraire à sa volonté.

 

Bien sûr, ce renoncement au sacrifice humain est un progrès important et le judaïsme prend plusieurs siècles d’avance sur d’autres religions. Pensons au culte de Baal Moloch et à ces enfants que les habitants de Carthage n’ont pas hésité à immoler pour que la pluie tombe sur Carthage assoiffée.

 

Mais en 2012, nous n’en sommes plus là.

Jésus n’a jamais prôné le sacrifice.

Depuis longtemps, le judaïsme y a renoncé.

Et si les musulmans sacrifient toujours des animaux, ils n’ont jamais pratiqué le sacrifice humain.

 

Résumons nous : ce texte a deux interprétations, la première est scandaleuse et anti-évangélique, la seconde est plus acceptable mais sans lien avec notre vie.

Heureusement, il existe une troisième interprétation, porteuse de bonnes nouvelles pour nous.

 

Dans le texte hébreu, l’Eternel demande à Abraham de monter en haut d’une montagne, avec son fils.

Or, à l’époque d’Abraham, c’est en haut d’une montagne que les sacrifices avaient lieu.

Abraham croit donc comprendre que Dieu lui demande de sacrifier son fils.

Dieu le laisse faire jusqu’au moment fatidique.

Pourquoi Dieu ne dévoile-t-il pas immédiatement ses intentions à Abraham ?

Parce qu’il veut que ce dernier comprenne deux choses.

 

Première chose, première bonne nouvelle: Dieu nous offre son amour, sa joie, sa paix. Il attend de nous que nous en vivions. Il attend que nous les répandions.

Il n’attend pas notre sacrifice.

Bien sûr, dans certaines circonstances, au nom de cet amour, nous pouvons sacrifier notre confort, nos certitudes et, parfois même, notre vie.

Mais, même en ce cas, le sacrifice n’est qu’un prix à payer, au nom de quelque chose de plus grand.

En tant que tel, le sacrifice n’a pas de valeur, pas plus que n’en ont les privations ou la souffrance.

 

Nous sommes en période de Carême et nous nous souvenons de la mort de Jésus.

Les évangiles l’attestent : Jésus n’a pas souhaité mourir sur la croix.

Il a accepté cette mort parce qu’il ne pouvait l’éviter sans se renier mais il ne l’a pas désirée.

Et Dieu n’a pas davantage voulu que Jésus meure sur la croix..

De même, Dieu ne désire pas notre sacrifice.

Il désire encore moins que nous sacrifions notre prochain, notre enfant ou qui que ce soit.

 

Bien sûr, en 2012, nous n’en sommes plus à sacrifier des humains à Dieu, du moins en Occident.

Mais sous une forme laïque, nous continuons à faire des sacrifices, à grande échelle.

Nous sacrifions nos enfants sur l’autel de la réussite scolaire, lorsque nous les conduisons de force vers des études qui ne correspondent pas à leur désir ou à leur vocation.

Nous sacrifions des employés sur l’autel de la rentabilité, lorsque nous nous vantons de les licencier, alors que nos sociétés ne courent aucun risque de disparition ou de délocalisation.

Nous sacrifions des étrangers sur l’autel de la démagogie lorsque nous en faisons des boucs émissaires de nos difficultés économiques ou sociales.

Nous sacrifions notre conjoint sur l’autel du désir tout puissant lorsque nous l’abandonnons au profit d’un autre partenaire, plus jeune ou plus désirable.

 

Ne nous y trompons pas ; notre société est plus sacrificielle que jamais.

Alors, il est bon de l’entendre : Dieu nous interdit de sacrifier autrui à nos désirs, nos convictions, notre foi, notre profit.

 

Seconde bonne nouvelle : entre parents et enfants, entre mari et femme, nous pouvons passer du modèle de la possession à celui de l’alliance.

 

Abraham aime profondément son enfant, Isaac.

Il l’a attendu si longtemps !

Seulement, il le considère comme sa possession.

Après ce vrai – faux sacrifice, il réalise qu’Isaac n’est pas un objet dont il dispose à volonté mais un être, à part entière.

 

De la même façon, il appelait sa femme Saraï, « ma princesse ».

Depuis, il a compris que sa femme n’était pas sa chose et il l’appelera désormais Sarah, « la princesse ».

 

Avec Isaac et Sarah, il peut tisser des liens sur le modèle de l’alliance avec Dieu.

Une alliance entre deux partenaires libres.

Une alliance fondée sur la fidélité et l’amour.

Une alliance où l’on maintient une saine distance.

 

Pour exprimer cette idée, l’ancien testament emploie une expression, très étrange et très belle : « trancher une alliance », traduite banalement par « conclure une alliance ».

Oscar Wilde racontait qu’après avoir assisté à une célébration de mariage et entendu la parole « ils ne sont plus deux mais un », il s’est demandé : « Ils ne sont plus qu’un; oui, mais lequel ? »

L’alliance, dont il est ici question, est une alliance qui ne dévore pas mais qui autorise, libère, fait grandir.

Puissions-nous « trancher » de semblables alliances avec ceux que nous aimons !

Amen !