Prédication 10/3/2013: se préparer au Royaume…en vivant

Se préparer en vivant !

Texte biblique : Matthieu 25,1-13

Le Royaume de Dieu est pour bientôt !

A l’époque de Jésus, des juifs annoncent la fin des temps.

Sous peu, Dieu va mettre fin à l’histoire des hommes et exercer sa Seigneurie sur Terre.

Les chrétiens ne sont pas en reste. D’ailleurs, le Christ, lui-même, a promis de revenir et d’établir son Royaume sur la terre.

Paul écrit aux chrétiens de Thessalonique que ce retour est proche et qu’ils doivent s’y préparer.

En 2000 ans de chrétienté, beaucoup ont attendu, avec ferveur et impatience, ce retour.

D’ici peu, il va venir, manifester sa puissance, se révéler aux incroyants, juger les vivants et les morts. Certains ont même fixé la date de son retour.

Pourtant, 2000 ans après, nous attendons toujours.

Alors, comment comprendre ces promesses ?

Y a-t-il une erreur quelque part ?

Devons-nous encore attendre quelque chose ?

Revenons 2000 ans en arrière.

Les disciples sont avec Jésus.

Ils l’interrogent sur la venue du Royaume de Dieu et ses signes annonciateurs. Et Jésus leur répond … par des paraboles, dont celle des « dix jeunes filles sages ou insensées ».

Reprenons rapidement le déroulement de l’histoire.

Des noces sont célébrées dans un village.

Comme de coutume, en Palestine, à l’époque de Jésus, des jeunes filles non mariées attendent l’époux chez la mariée. Ces jeunes femmes ont été personnellement choisies par le marié. Elles sont des amies, ou des membres de la famille, un peu comme les témoins aujourd’hui.

Elles doivent venir à la rencontre de l’époux et le guider jusqu’à la salle de noces.

Leur mission est similaire à celle des citoyens de villes de l’Antiquité, venant à la rencontre d’un dignitaire, afin de le conduire dans la ville.

Pour ce cortège nuptial – encore en usage, en Palestine, au début du XXème siècle et que nous avons pu voir à l’occasion de mariages en Inde, il y a quelques semaines – ces jeunes femmes se munissent de lampes à huile, des torches constituées d’un bâton dont on entoure le bout avec des chiffons imbibés d’huile. Comme l’huile se consume très vite, elles doivent en avoir une réserve.

Or, dans la parabole, cinq jeunes filles seulement ont pris cette précaution.

Lorsque l’époux arrive enfin, tout le monde est endormi, les « sages » comme les « insensées »

L’arrivée de l’époux est soudaine et n’est précédée d’aucun signe annonciateur.

Il est trop tard pour se préparer.

Les jeunes filles insensées ne peuvent accompagner l’époux, d’autant que les jeunes filles sages refusent de partager leur huile, estimant qu’elles n’en n’auraient plus assez pour accompagner le marié jusqu’au lieu de la noce.

Arrivées en retard, les jeunes filles insensées se voient fermer la porte de la salle.

Dans une parabole de Jésus, l’essentiel est moins dans la morale de l’histoire que dans ce qui surprend. Or, ici, notre parabole contient trois surprises : le retard de l’époux ; l’égoïsme des jeunes filles sages qui refusent de partager leur huile ; l’attitude du marié qui ferme sa porte aux jeunes filles insensées.

Reprenons ces trois surprises, une par une.

D’abord, le retard de l’époux.

Il survient en pleine nuit alors que plus personne ne l’attendait.

Dans le monde oriental, aujourd’hui encore, l’heure est souvent approximative et les retards conséquents. Mais là, le retard est assez extravagant !

Jésus veut, par là, avertir les disciples : un jour, il reviendra ; un jour, le Royaume de Dieu s’établira, mais ce jour tardera à venir.

A de nombreuses reprises, dans l’histoire chrétienne, des Eglises ou groupuscules ont vécu dans une grande impatience du retour du Christ et dans l’assurance que ce retour serait proche.

La première lettre aux Thessaloniciens est l’écho de cette attente ardente.

Jésus prévient donc : le Royaume de Dieu se fera attendre.

Pendant longtemps, malgré la venue du Christ, malgré l’Evangile, malgré l’Esprit saint, notre monde restera partagé, marqué par le mal et la souffrance, notre être intérieur restera partagé, entre accueil et résistance à l’Evangile.

Pendant ce temps, les disciples du Christ ne doivent pas garder les yeux fixés vers le ciel, à attendre que le Royaume de Dieu leur tombe dessus.

L’espérance ne doit pas détourner leurs regards de la vie terrestre, de la société et de ses enjeux, de la famille, du service du prochain, de la recherche obstinée de la paix.

Dès maintenant, ils doivent vivre en chrétien, ici et maintenant, en témoignant, en transmettant, en aidant à grandir, en diminuant la dose de souffrance sur terre.

Dès maintenant, les chrétiens doivent agir dans et pour ce monde si imparfait.

Dès maintenant, les chrétiens doivent agir alors qu’ils restent eux-mêmes si imparfaits.

En bon pédagogue, Jésus propose une image.

La fidélité à l’Evangile consiste à garder de l’huile en réserve.

Or l’huile, ici, n’est rien d’autre que la mise en pratique de l’Evangile.

Comme l’explique Saint Augustin, dans un très beau commentaire, l’huile, c’est l’amour du prochain.

Lorsqu’on la mélange avec l’eau, l’huile surnage.

Elle prend le dessus, comme l’amour est voué à prendre le dessus dans notre vie.

Ainsi, la vigilance spirituelle consiste à aimer.

Mais Jésus s’attaque à un second front : ceux qui n’attendent rien de décisif de la part de Dieu, ceux qui n’attendent plus la venue du Royaume de Dieu, ceux qui réduisent la foi à des valeurs morales ou à une spiritualité centrée sur soi, ceux qui ont perdu l’espérance.

A eux, Jésus annonce que la noce aura bien lieu.

L’époux tardera mais il viendra.

Le Royaume de Dieu ne s’établira peut-être pas demain matin mais, un jour, Dieu règnera sur tout homme et dans la totalité de notre être; un jour, le mal et la souffrance cèderont devant la puissance de Dieu ; un jour, la paix et le partage seront notre réalité ; un jour, notre vie et notre monde coïncideront avec le projet de Dieu.

Ce sera un jour merveilleux.

D’ores et déjà, c’est notre avenir.

Et d’ores et déjà, cet avenir nous aimante, nous oriente.

Cette espérance n’est en rien démobilisatrice.

Elle donne un cap, éclaire un chemin.

Celui qui sait qu’il va toucher un héritage fabuleux peut prendre davantage de risques et investir d’ores et déjà.

Celui qui sait que Dieu règnera sur nous et en nous peut se risquer, se réjouir et agir.

C’est là que réside la différence entre l’espor et l’espérance. L’espoir est une projection dans l’avenir à partir du présent. L’espérance est une assurance du futur qui oriente notre présent.

Venons-en aux deux autres surprises : les jeunes filles « sages » ne partagent pas et le marié ferme la porte aux jeunes filles insensées.

Les jeunes filles sages ont mis de l’huile en réserve.

Elles ont donc fait provision de foi et d’amour. Et, logiquement, elles devaient partager leur réserve d’huile avec celles qui n’en n’ont pas. On pourrait même imaginer qu’alors, l’huile surabonde comme le pain qui se multiplie au fur et à mesure que Jésus le partage.

Or, tel n’est pas le cas.

Jésus n’est pas le précurseur de la Comtesse de Ségur. Il ne nous donne pas une leçon de morale. Il nous parle de foi et du Royaume de Dieu.

Avoir de l’huile en réserve, c’est croire, aimer, vivre en disciple du Christ.

C’est notre vocation personnelle.

Nul ne peut le faire à notre place.

L’amour, la foi, la fidélité ne se vivent pas par procuration.

Pour la même raison, l’époux ferme sa porte aux jeunes filles insensées.

Dieu est amour. Dieu est Tout puissant.

Mais il est une chose qu’il ne pourra jamais faire, c’est changer le passé.

Il peut nous aider à guérir d’un passé douloureux, il peut pardonner le passé lorsque trop de remords et de regrets nous submergent. Mais il ne peut pas modifier ce qui a été.

Selon le philosophe Jankélévitch, c’est même l’unique limite au pouvoir de Dieu.

Cette porte fermée n’est pas une sanction mais un constat.

C’est aujourd’hui qu’il faut vivre l’Evangile, aujourd’hui qu’il faut aimer son prochain, aujourd’hui qu’il faut œuvrer dans le monde, aujourd’hui qu’il faut retisser des liens.

Nul ne peut le faire à notre place. Et demain ne pourra changer aujourd’hui.

Ainsi, la parabole des jeunes filles nous place sur une ligne de crête : vivre dans l’attente du Royaume et dans la réalité présente, prendre au sérieux les enjeux de notre société et espérer que Dieu fasse toutes choses nouvelles.

Concluons avec ces paroles du pasteur Alphonse Maillot : « Certes, vous êtes le cortège nuptial du Fils de l’homme, certes vous devez vivre dans l’attente et dans l’espérance de son retour. Seulement, vivez pleinement chacun des jours qui vous sont donnés en attendant.

Vivez-les à la fois comme si le Christ pouvait revenir demain, mais aussi comme s’il devait venir beaucoup plus tard…

Soyez des hommes que demain ne rend pas étrangers à aujourd’hui et aussi des hommes que leur présent n’aveugle pas sur leur avenir.

Des gens qui ont la prudence d’être présents au monde contemporain et gardent l’espérance du monde avenir.

Soyez à la fois de vrais hommes et de vrais croyants.

C’est cela la vigilance. « 

Amen !