poèmes de Dietrich Bonhoefer

Quelques poèmes de Dietrich Bonhoeffer

Ecrits à Berlin en 1944, en prison.

QUI SUIS-JE ?

 

Qui suis-je ? Souvent ils me disent

que de ma cellule je sors

détendu, ferme et serein

Tel un gentilhomme de son château.

Qui suis-je ? Souvent ils me disent

Qu’avec mes gardiens je parle

Aussi librement, amicalement et franchement

Qu’un chef qui commande.

 

Qui suis-je ? De même ils me disent

Que je supporte les jours de l’épreuve,

Impassible, souriant et fier,

Ainsi qu’un homme accoutumé à vaincre

 

Suis-je vraiment celui qu’ils disent ?

Où seulement cet homme que moi seul connais,

Inquiet, malade de nostalgie, pareil à un oiseau en cage,

Cherchant mon souffle comme si on m’étranglait,

Avide de couleurs, de fleurs, de chants d’oiseaux,

Assoiffé d’une bonne parole et d’une espérance humaine,

Tremblant de colère au spectacle de l’arbitraire et de l’offense

Agité par l’attente de grandes choses,

Craignant et ne pouvant rien faire pour des amis infiniment lointains,

Si las, si vide que je ne puis prier, penser, créer,

N’en pouvant plus et prêt à l’abandon.

Qui suis-je ? Celui là ou celui-ci ?

Aujourd’hui cet homme et demain cet autre ?

Suis-je les deux à la fois ?

Un hypocrite devant les hommes

Et devant moi un faible, méprisable et piteux ?

Ou bien ce qui est encore en moi ressemble-t-il à l’armée vaincue

Qui se retire en désordre devant la victoire déjà remportée ?

 

Qui suis-je ? Dérision que ce monologue !

Qui que je sois, tu me connais :

Tu sais que je suis tien, o Dieu !

 

STATIONS SUR LE CHEMIN DE LA LIBERTE

 

Discipline

Si tu pars à la recherche de la liberté, apprends avant tout

La discipline de tes sens et de ton âme, afin que tes désirs

Et ton corps ne te mènent pas à l’aventure.

Que ton esprit et ta chair soient chastes, soumis à toi-même entièrement

Et que, dociles, ils cherchent le but qui leur est assigné.

Personne ne sonde le mystère de la liberté, si ce n’est dans la discipline.

 

Action

Faire et oser non pas n’importe quoe, mais ce qui est juste.

Non pas planer dans le possible, mais saisir avec courage le réel.

Ce n’est pas dans les fuyantes pensées, mais dans l’action seule qu’est la liberté.

Romps le cercle de tes hésitations anxieuses pour affronter la tempête des évènements,

Porté seul par la loi de Dieu et par la foi,

La liberté accueillera ton esprit dans la jubilation.

Souffrance

Métamorphose miraculeuse ! Fortes et actives,

Voici tes mains liées. Impuissant et solitaire, tu vois la fin

De tes actes. Mais tu respires et déposes ce qui est juste entre des mains

Plus fortes et tu t’apaises.

Un seul instant tu atteignis à la joie de la liberté,

Puis tu la remis à Dieu afin qu’il la parfait magnifiquement.

 

La Mort

Approche, fête suprême sur le chemin de l’éternelle liberté,

Mort, romps les chaînes et les murs importuns

De notre corps passager et de notre âme aveugle

Pour que nous puissions voir enfin ce qu’il nous

Est refusé de voir ici-bas.

Liberté, nous t’avons cherché longuement dans la discipline

L’action et la souffrance.

Mourants, nous te reconnaissons dans le visage de Dieu.

 

LA MORT DE MOISE ( extraits)

Deutéronome 34,1 : « Puis l’Eternel lui fit contempler tout le pays »

 

Tu me donnes la mort sur la haute montagne

Loin de la bassesse des hommes de la plaine

La mort du capitaine, dont le libre regard sonde le large

Après avoir mené son peuple à la bataille,

La mort dont les confins obscurs s’illuminent déjà

Des feux des temps nouveaux.

Et si désormais la nuit funèbre m’environne,

De loin je vois pourtant ton salut accompli.

Terre sainte, j’ai pu te contempler

Belle et glorieuse comme une fiancée,

Virginale en ta robe de noce éclatante :

La grâce précieuse est ta parure.

Laisse mes yeux trop de fois déçus

Aspirer ta douceur et ta suavité.

Laisse-moi, avant que mes forces ne défaillent,

Ah !boire une fois encore aux fleuves de la joie.

Terre de Dieu, devant tes larges portes,

Nous nous tenons heureux, perdus dans notre rêve.

Un souffle passe sur nous, puissant et chargé de promesse :

C’est la bénédiction reçue autrefois par nos pères.

Vignes de Dieu, couvertes d’une rosée fraîche,

Lourdes grappes toutes brillantes de soleil,

Jardin de Dieu, je vois tes fruits mûrir

Et tes sources jaillir en onde claire.

Grâce de Dieu, tu domines la terre libérée

Où doit surgir un nouveau peuple saint.

Droit de Dieu, tu régis les faibles et les forts,

De l’arbitraire et de la force, ils sont par toi gardés.

Vérité de Dieu, tu ramènes à la foi

Un peuple égaré par les doctrines humaines.

Paix de dieu, tu protèges comme un rempart

Les cœurs, les maisons et les villes des hommes.

Repos de Dieu, tu viens sur les fidèles

Comme un soir de fête immense.

Août 1944