Paul : une Loi caduque ?

Une Loi caduque ?

Romains 7, 7-25

Extrait à distribuer : « Le voyage du pèlerin » (17ème siècle) John Bunyan

L’âme convertie découvre une multitude d’idées nouvelles et salutaires.

Il prit ensuite le Chrétien par la main et le mena dans un grand cabinet tout rempli de poussière, qui n’avait jamais été balayé. Et après que le Chrétien l’eut un peu parcouru des yeux, l’Interprète appela un homme pour le nettoyer. Mais dès les premiers coups de balai, il s’éleva de toutes parts une telle quantité de poussière que le Chrétien en fut presque étouffé. Ce que l’Interprète ayant remarqué, il ordonna à une jeune fille qui se trouvait là d’apporter de l’eau et d’en arroser la chambre, qui fut ainsi nettoyée promptement et facilement. Le Chrétien demanda ce que cela signifiait.

Ce cabinet, dit l’Interprète, représente le coeur d’un homme qui n’a encore jamais été sanctifié par la grâce de l’Evangile. La poussière, c’est le péché naturellement attaché à sa nature, qui souille l’homme tout entier depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête.

Celui qui a balayé le premier c’est la Loi, mais la personne qui a apporté de l’eau et qui a arrosé le cabinet représente la grâce de l’Evangile. Vous avez vu que, l’homme a commencé à balayer, la poussière s’est élevée de tous côtés sans que la place ait pu être nettoyée, et que la poussière a failli vous étouffer.

Ceci nous montre que la loi, bien loin de purifier le coeur de l’homme, ne fait que rendre le péché plus vivant et plus puissant; de sorte que, plus elle le découvre et le défend, plus elle l’augmente en réalité; car elle ne donne pas les forces pour le surmonter.

Cette jeune personne qui est venue arroser et qui, par ce moyen, a réussi à nettoyer complètement la chambre, vous offre une image de l’Evangile, qui répand ses douces influences dans le coeur. Sous son action, le vice est abattu et surmonté (comme la poussière l’a été par l’eau dont on a arrosé la chambre).

Par la foi en l’Evangile, le coeur est purifié et mis en état d’hériter le royaume des cieux.

Cet extrait d’un ouvrage du 17ème siècle, « Le voyage d’un pèlerin », au succès immense, ilustre bien la position de l’auteur sur la Loi et la grâce. La Loi « fait le ménage » mais nous étouffe.

Seule la foi en Christ nous « nettoie » véritablement.

Cette conception n’est pas une invention de l’auteur. Elle est paulinienne même si, plus tard, Saint Augustin ou Luther l’ont reprise.

Paul et les usages de la Loi

 

Rupture avec la Torah !

C’est entendu : Jésus n’obéit pas littéralement à la Torah et n’enseigne pas davantage à le faire.

Pour autant, surtout selon Matthieu, il recommande de vivre la Torah, d’en respecter une intention profonde, qu’il résume en quelques phrases : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu …. et tu aimeras ton prochain comme toi-même« . Jésus juxtapose ici deux commandements de la Torah dans Dt 6,5 et Lv 19,18. Il y a aussi la « règle d’or » : « Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c’est la Loi et les prophètes » (Matthieu 7,12).

Par son enseignement, par ses actes – en guérissant un malade ou en permettant aux disciples de cueillir des épis de maïs pendant le Sabbat – Jésus est, sur ce sujet, un réformateur du judaïsme.

Paul, lui, rompt avec le caractère prescriptif de la Loi et donc avec le judaïsme.

Rappelons que Paul est un ancien pharisien pour qui l’obéissance à la Loi conditionne l’alliance avec Dieu. Elle est la volonté de Dieu, inscrite dans le Pentateuque (et dans la Loi orale).

Cet ensemble de 613 lois et commandements a été donné par Dieu en vue du bonheur du peuple hébreu. « Choisis la vie pour que tut vives, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix et en t’attachant à Lui » (Dt 30, 19-20).

Il scelle l’alliance entre Dieu et son peuple et a été donné par Dieu pour un double motif : maintenir le peuple dans la liberté (en le soustrayant à l’esclavage de l’idolâtrie, du chaos, de la convoitise etc.) ; faire d’Israël le peuple de Dieu, différent des autres peuples de la terre (même si, selon certains textes, la vocation d’Israël est de porter la lumière divine à tous les autres peuples de la terre).

Sur le chemin de Damas, Paul vie une rencontre spirituelle, par moyen imprévu. Ce n’est pas le respect scrupuleux de la Torah qui l’a conduit à Dieu mais la grâce divine. Il a été saisi, retourné, converti, indépendamment de toute démarche de sa part..

Méditant sur cette expérience intérieure, Paul pose une question radicale : à quoi sert la Loi divine ? Faut-il la suivre ? Et pourquoi ?

Paul en est désormais convaincu : le respect de la Loi n’est pas la condition de l’alliance, et encore moins la condition du salut.

Simultanément, Paul s’oppose aux illuministes pour qui tout est permis, du moment qu’on a la foi.

Alors, combattant sur ces deux fronts, Paul écrit une lettre aux Romains, la dernière, dans laquelle il rassemble et systèmatise sa pensée

La lettre aux Romains

La lettre aux Romains est adressée formellement à une communauté qui n’a pas été fondée par un apôtre. Les chrétiens de Rome sont très hétérogènes.

Il y a, parmi eux, des judéo-chrétiens, qui se répartissent en quatre courants spirituels :

– les « durs » qui estiment que le chrétien doit obéir à l’essentiel de la loi juive (circonsition, interdits alimentaires etc.).

  • les « modérés » tels Jacques et Pierre, qui entendent imposer une loi minimale (comme le faisaient les juifs avec les « craignant-Dieu » ou « prosélytes »)

  • des « hellénisants » comme Paul qui refusent la soumission à la Loi mais ne la rejettent pas pour autant et, surtout, affirment l’enracinement juif du christianisme (cf Romains 9-11)

  • des « libertaires » qui refusent la Loi et sont hostiles au judaïsme. Paul leur répondra notamment en Romains 9-11. Il écrira : « Si quelques-unes des branches ont été coupées, tandis que toi, olivier sauvage, tu as été greffé parmi les branches restantes de l’olivier pour avoir part avec elles à la richesse de la racine, ne va pas faire le fier ! Ce n’est pas toi qui portes la racine mais c’est la racine qui te porte » (Rms 11, 17-18)

    Il y a aussi des helléno-chrétiens, là encore répartis en quatre courants :

    – les « faibles » (Rms 14,1) qui « craignent » Dieu

    – Les judaïsants (Galates) qui entendent respecter une loi minimale (circoncision etc)

    – Les helléno-chrétiens modérés qui sont libres par rapport à la Loi mais respectent certaines pratiques judéo-chrétiennes, par peur de choquer les judéo-chrétiens

    – Des « ultra pauliniens » qui rompent avec toute pratique légaliste.

La Loi : une exigence commune

Contrairement à certains disciples ou à Jacques, le frère de Jésus, Paul ne distingue pas les commandements rituels (p.e. Les sacrifices d’animaux qui n’ont plus de raison d’être) des commandements moraux (Décalogue etc.) qui eux seuls, garderaient une pertinence.

Paul reste structurée par sa formation pharisienne.

La Loi forme une unité. Et son exigence concerne tous les hommes.

Certes, c’est à Israël seulement que la Torah a été remise (Rms 9,4); cependant, les païens également connaissent la volonté de Dieu. La Loi est, en effet, inscrite dans leur coeur (Rms 2,14s) et la volonté de Dieu est perceptible dans la Création.

Tous sont pêcheurs

Deux conséquences en découlent : la loi est « sainte, juste et bonne » (Rms 7,12) et tous les hommes peuvent la connaître et la mettre en pratique. Ils sont donc inexcusables de ne pas la suivre.

Ainsi, loin d’être un chemin de salut, la Loi accuse les hommes devant Dieu. Tous les hommes.

Romains 1 concerne les païens, coupables de ne pas obéir à la volonté de Dieu, qu’ils peuvvent pourtant connaître par la raison.

En Romains 2, Paul affirme que les juifs ne sont pas plus justes que les païens : « Tous sont sous l’empire du péché ».

Cela ne veut pas dire que tous les hommes sont défaillants du point de vue de la morale : Paul ne nie pas que des païens ou des juifs font, dans une certaine mesure, ce que les commandements de Dieu leur ordonnent de faire (Rms 2,14; Ph 3,6).

Mais, pour l’essentiel, Israël qui se prétend « lumière des nations » désobéit à la Loi :  » Tu prêches de ne pas voler et tu voles ! Tu interdis l’adultère et tu commets l’adultère ! Tu as horreur des idoles et tu pilles leurs temples. Tu mets ton orgueil dans la loi et tu déshonores Dieu en transgressant la Loi  » (Rms 2, 21-22).

Pourquoi cette désobéissance massive ?

Parce que l’homme, juif ou païen, est prisonnier du péché. Il est fermé à Dieu et préoccupé de lui-même. Il est marqué par sa « condition adamique ».

En Romains 5, Paul opppose Adam et Christ.

Adam est le prototype de l’homme qui ne fait pas confiance à Dieu. C’est cela le péché. Les conséquences du péché sont nombreuses et concernent tous les hommes : fuite devant Dieu, violence, idolâtrie..

La Loi comme miroir du péché

La Loi devait permettre à l’homme de sortir de sa condition. Elle le fait, mais paradoxalement.

En effet, elle met en évidence le péché et la perdition; elle sert de révélateur.

« Voila pourquoi personne ne sera justifié devant lui (Dieu) par les oeuvres de la Loi. La Loi, en effet, ne donne que la connaissance du péché« . (Rms 3,20).

Calvin parle à son sujet de « miroir du péché » et Luther « d’usage accusateur ».

La formule de Concorde (en 1577, fut signée la dernière des confessions de foi luthériennes, la Formule de concorde, qui a un caractère différent des précédentes. Elle fut rédigée à la demande de l’électeur Auguste de Saxe dans le but de maintenir la stricte orthodoxie luthérienne contre les théologiens de l’école de Mélanchton, qui inclinaient à la conciliation avec les réformés)définira ainsi la Loi : « La Loi est un enseignement divin qui nous révèle la juste et immuable volonté de Dieu et qui nous apprend ce que l’homme doit être, dans sa nature, dans sa pensée, dans ses paroles et ses actions, pour pouvoir plaire à Dieu et être agréé par lui. En même temps, la Loi annonce aux transgresseurs la colère de Dieu et les menaces de peines temporelles et éternelles« .

La Loi me rend pire !

Le judaïsme actuel et l’islam structurent, dans une large mesure, la foi individuelle et la vie sociale autour du respect de la loi divine.

Jésus réinterprète la Loi, hiérarchise les commandements et s’attache à l’esprit plutôt qu’à la lettre.

Paul va plus loin.

Il a rencontré Dieu indépendamment de la Loi.

Plus encore, Il médite sur cet événement inouï : le respect de la Loi a conduit à mettre à mort Jésus, le Messie. Ainsi, le Christ a été tué … non seulement par les ennemis du peuple mais aussi par ses chefs, non seulement par des adversaires de la Loi mais aussi par ses défenseurs.

Au sens propre, la Loi a conduit à la mort.

Ainsi, au fur et à mesure qu’il affine sa pensée (et la lettre aux Romains en est la pointe ultime), Paul durcit sa position : non seulement la Loi de Dieu ne me sauve pas, non seulement elle ne me rapproche pas de Dieu, non seulement elle ne me libère pas, mais, de fait, mais elle s’avère meurtrière et mortifère.

Lecture du livre à voix haute. Puis le relit à voix basse et note une parole importante

Romains 7, 7-24 : Qu’est-ce à dire ? La loi serait-elle péché ? Certes non !

Mais je n’ai connu le péché que par la loi.

Ainsi je n’aurais pas connu la convoitise si la loi n’avait dit: « Tu ne convoiteras pas ».

Saisissant l’occasion, le péché a produit en moi toutes sortes de convoitises par le moyen du commandement. Car, sans loi, le péché est chose morte.

Jadis, en l’absence de loi, je vivais. Mais le commandement est venu, le péché a pris vie, et moi je suis mort : le commandement qui doit mener à la vie s’est trouvé pour moi mener à la mort.

Car le péché, saisissant l’occasion, m’a séduit par le moyen du commandement et, par lui, m’a donné la mort.

Ainsi donc, la loi est sainte et le commandement saint, juste et bon. Alors, ce qui est bon est-il devenu cause de mort pour moi ? Certes non ! Mais c’est le péché: en se servant de ce qui est bon, il m’a donné la mort, afin qu’il fût manifesté comme péché et qu’il apparût dans toute sa virulence de péché, par le moyen du commandement.

Nous savons, certes, que la loi est spirituelle; mais moi, je suis charnel, vendu comme esclave au péché. Effectivement, je ne comprends rien à ce que je fais: ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais. Or, si ce que je ne veux pas, je le fais, je suis d’accord avec la loi et reconnais qu’elle est bonne; ce n’est donc pas moi qui agis ainsi, mais le péché qui habite en moi.

Car je sais qu’en moi – je veux dire dans ma chair – le bien n’habite pas : vouloir le bien est à ma portée, mais pas l’accomplir, puisque le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais.

Or, si ce que je ne veux pas, je le fais, ce n’est pas moi qui agis, mais le péché qui habite en moi.

Moi qui veux faire le bien, je constate donc cette loi: c’est le mal qui est à ma portée.

Car je prends plaisir à la loi de Dieu, en tant qu’homme intérieur, mais, dans mes membres, je découvre une autre loi qui combat contre la loi que ratifie mon intelligence; elle fait de moi le prisonnier de la loi du péché qui est dans mes membres.

Malheureux homme que je suis !

Reprenons ce texte difficile.

Le « je » est davantage un procédé littéraire que le signe d’une parole autobiographique.

Paul remarque tout d’abord que la Loi souligne ce qu’il ne faut pas faire (chacun sait que l’interdit rend la chose interdite encore plus désirable !).

Ainsi, la Loi est le miroir, le révélateur du péché.

Elle en est aussi l’aiguillon.

Paul remarque également que la Loi n’est pas efficace car une partie de ce qu’elle ordonne n’est pas à ma portée (je peux désirer pardonner sans être capable de le faire).

Surtout, il revient sur le statut de la Loi.

Bien sûr, la Loi est bonne, juste et sainte. Dieu nous l’a donnée pour notre bien.

Seulement, l’homme est pécheur.

Paul n’entend pas ce mot dans son sens moral traditionnel : le péché ne consiste pas à voler un pot de confiture mais, comme dans le récit de la Genèse, à vouloir vivre sans Dieu, voire en se prenant pour un dieu.

Parce qu’il est pécheur, l’homme va se servir de la Loi de Dieu comme un instrument de mort, qu’il va diriger contre lui (en vivant dans la culpabilité permanente, voire dans la dépression) ou contre les autres (qu’il accuse et condamne au nom de la Loi religieuse, comme s’il était dieu).

Ainsi, loin d’aimer davantage Dieu, son prochain et soi-même, l’homme se ferme et se recroqueville.

Il aime la Loi plus que Dieu, rejette son prochain au nom de la Loi et en vient parfois à se détester.

C’est pourquoi Paul lutte avec la plus grande énergie contre toute tentative de réimposer la Loi aux « nouveaux convertis ».

Luther reprendra, après Augustin, cet aspect essentiel de la pensée de Paul : la Loi exacerbe le péché. Elle conduit à la mort …spirituelle et parfois physique.

Tout est-il alors permis ?

Paul ne doit pas seulement convaincre des chrétiens qui prônent la soumission à la Loi.

Il doit aussi faire face à des Corinthiens « libertins » selon lesquels tout est permis.

Paul fixe donc le cadre de la liberté chrétienne : « Tout est permis mais tout ne me convient pas. Tout m’est permis mais je ne me laisserai asservir par rien. » (I Co 6,12).

Il reprend une intuition profonde du judaïsme : l’immoralité, les désirs incontrôlés sont, comme l’idolâtrie, une forme d’esclavage. Au nom de la liberté, je dois refuser ce qui m’avilit.

Paul a un deuxième argument.

Le corps de l’homme est le Temple de l’Esprit. Puisque Dieu est venu en moi, je dois le respecter en respectant mon corps.

Enfin, un peu plus loin dans sa lettre, il en ajoute un 3ème : « Tout est permis mais tout n’édifie pas ». Autrement dit, je dois veiller, par mon attitude, à favoriser la croissance de ceux qui m’entourent. Mes actes ont des conséquences sociales, au près – dans la famille ou dans l’Eglise – comme au loin.

Au gré des lettres de Paul, nous percevons mieux ce qu’il entend par ce « repect de soi » qui préserve notre liberté. Il prône un usage modéré des biens et des plaisirs de ce monde, un « ascétisme mesuré », finalement assez proche d’une certaine sagesse greco-romaine.

Existe-t-il une éthique chrétienne ?

La position paulinienne est claire : nous ne sommes plus soumis à une Loi religieuse.

Cette Loi ne ne sert qu’à nous convaincre de notre indignité et de notre besoin de Dieu.

Sur ce socle, deux constructions peuvent s’édifier :

– Il n’y pas de morale chrétienne

Il existe une éthique naturelle, commune à tous les hommes. Elle est constitué des principes moraux « naturels » : l’équité, le souci des plus pauvres, le refus du vol etc.

Les dix commandements, la règle d’or se retrouvent pour l’essentiel dans toutes les autres constructions religieuses ou dans la morale laïque.

Les chrétiens essaient comme les autres de s’y conformer.

Qu’ont-ils en « plus » ?

Dieu les aime gratuitement et ils le savent.

De plus, il agit en eux, par son Esprit et les transforme intérieurement. Il existe une différence qualitative infinie entre la Loi et la sanctification : la sanctification est le fruit de la transformation de l’homme, devenu une nouvelle créature.

Etre saint, vivre en communion avec Dieu n’a rien à avoir avec obéir à la Loi.

C’est ainsi que Luther comprendra Paul.

Puisque la Loi conduit à la mort, il faut évacuer son usage prescriptif.

Elle n’est le miroir du péché. En me faisant désespérer de moi-même, elle peut me conduire au Christ.

Luther écrit : « La Loi est une lumière qui luit. Elle ne montre ni la justice ni la vie mais la colère de Dieu … la Loi entendue dans son office véritable ne fait rien d’autre que de révéler le péché, produire la colère, accuser, terrifier et acculer les esprits au désespoir. C’est là que s’arrête la Loi » (Oeuvres, T XVI, pp 23-24).

Traditionnellement, la liturgie réformée souligne cet usage de la Loi. L’annonce de la Loi est suivie de la confession du péché (la Loi me permet de prendre connaissance du péché) et de l’annonce du pardon (elle me conduit au Christ).

Christ est « la fin de la Loi » en ce qu’il en termine avec l’obéissance à la Loi.

– Il existe une réponse éthique chrétienne

Libéré de l’auto-justification et de la soumission à l’ensemble de la Torah, le chrétien peut, à partir du terreau biblique, établir des règles éthiques.

Il ne s’agit plus d’obéir à la Loi pour être sauvé mais d’en comprendre l’intention profonde et de l’interpréter.

Cette éthique chrétienne est fondée sur un second socle : l’imitation de Jésus-Christ.

Le chrétien s’efforce de vivre, rencontrer, soigner, comme Jésus-Christ.

Le Christ est « la fin de la Loi », en ce sens qu’il donne la finalité de la Loi.

La pensée réformée s’inscrira dans cette ligne de pensée.

Ainsi, Calvin conserve le « 3ème usage de la Loi » (avec l’usage « accusateur » et la loi civique).

La Loi n’est pas seulement le miroir du péché; elle me pousse aussi à bien agir.

Plus tard, Bonhoëffer évoquera le « prix de la grâce ». Je suis aimé et sauvé, indépendamment de ce que je fais; par contre, en réponse, je suis appelé à aimer, servir.

Ainsi, .. la Loi fonde une éthique chrétienne mais une loi au risque de l’interpétation personnelle. Dans ces conditions, peut-on toujours parler d’une Loi ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une éthique ?

Nous l’avons dit, ces deux options sont compatibles avec la pensée de Paul.

Par contre, une autre piste est barrée par Paul, ce qui ne nous interdit pas de la choisir car elle est tout à fait empruntable à partir d’autres textes du Nouveau Testament.

– Obéir à une Loi recentrée et radicalisée

Dans l’Evangile selon Matthieu, une troisième voie est tracée.

Jésus confirme la Loi, exige son obéissance.

Il la hiérarchise à partir du double commandement d’amour.

Il la radicalise en prônant, par exemple, l’amour des ennemis ou la non-violence (Matthieu 5).

Il exige une attitude intérieure en conformité avec l’agir (il ne suffit pas de faire du bien mais de vouloir du bien; de donner mais d’oublier ce don etc.)

Ainsi, le chrétien doit obéir à la Loi … du moins dans sa composante éthique et spirituelle. Les lois sacrificielles ou alimentaires sont considérées comme obsolètes.

Obéir à cette Loi est-elle indispensable au salut ?

A partir de Matthieu, la question reste ouverte.

Des paroles de Jésus évoquent le pardon de Dieu pour chacun de ses enfants; d’autres conditionnent le salut par l’obéissance à la Loi et notamment par notre attitude vis-à-vis des plus petits (« J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger … » cf. Matthieu 25)

Notre lecture des récits bibliques et ses conséquences

La rencontre de Jésus avec le jeune homme riche, en Luc 18,18-30, montre que les choix entre ces trois voies possibles, dépend aussi de notre interprétation des récits bibliques.

Jésus demande à une homme riche de vendre tout ce qu’il a, de le distribuer aux pauvres et de le suivre. Et l’homme, pourtant en recherche, renonce.

Si Jésus demande à l’homme riche de renoncer à ses richesses parce que toute possession est une désobéissance à Dieu, alors il renforce l’exigence éthique de la Torah.

Si Jésus demande à l’homme de renoncer à ses richesses parce qu’elle est une idole pour lui (et, pas, par exemple, pour Zachée), alors Jésus fait de l’éthique une mise en cohérence avec notre foi (j’ai été libéré par Dieu, je dois donc ne pas me mettre sous le joug d’un maître comme l’argent).

Si Jésus demande à l’homme de renoncer à toutes ses richesses … parce qu’il sait que cela lui est impossible et qu’ainsi il pourra se découvrir aimé pour rien, alors le seul usage religieux de la loi est de nous convaincre de notre impossibilité à mériter le salut par notre obéissance.

Pour conclure

Tout penseur est marqué par son itinéraire personnel … même quand il est inspiré par Dieu.

En tant que pharisien, Paul a mesuré combien la pression que la loi religieuse fait peser sur les fidèles est mortifère : elle conduit à la violence, à la dépression ou à l’orgueil. Par ses écrits, le christianisme a pu s’arracher de la tentation légaliste. Nous ne sommes donc plus soumis à la Loi.

Qu’est-ce qui guide désormais notre agir ?

– Une morale civique, commune « aux hommes de bonne volonté », même si cette morale va rarement de soi et doit pouvoir s’arc-bouter sur des principes intangibles (par exemple, pourquoi lutter contre l’esclavage si on ne postule pas l’égalité de tous les humains, quelle que soit leur race ?) .

– La sanctification, le travail spirituel de Dieu en nous, qui nous transforme intérieurement. La prière est la voie privilégiée de ce changement.

– L’assurance que nous sommes aimés tels que nous sommes et que nous n’avons pas à mériter notre salut par une quelconque réussite matérielle, intellectuelle ou morale.

– La méditation des textes bibliques qui inspire notre pratique, notre éthique … au risque de l’interprétation

– Suivre Jésus-Christ, en nous inspirant de son enseignement, de sa façon de vivre, de rencontrer, de prendre soin, d’écouter, de s’insurger, de pacifier les relations, d’espérer.