Paul, la résurrection

Résurrection du Christ

 

 

Trois autres textes sur la résurrection

I Thessaloniciens 4,13-18 :

Nous ne voulons pas, frères, que vous soyez dans l’ignorance au sujet de ceux qui dorment, afin que vous ne vous affligiez pas comme les autres qui n’ont pas d’espérance.

Car, si nous croyons que Jésus est mort et qu’il est ressuscité, croyons aussi que Dieu ramènera par Jésus et avec lui ceux qui sont morts.

Voici, en effet, ce que nous vous déclarons d’après la parole du Seigneur : nous les vivants, restés pour l’avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui sont morts.

Car le Seigneur lui-même, à un signal donné, à la voix d’un archange, et au son de la trompette de Dieu, descendra du ciel, et les morts en Christ ressusciteront premièrement.

Ensuite, nous les vivants, qui serons restés, nous serons tous ensemble enlevés avec eux sur des nuées, à la rencontre du Seigneur dans les airs, et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur.

Consolez-vous donc les uns les autres par ces paroles.

Pour ce qui est des temps et des moments, vous n’avez pas besoin, frères, qu’on vous en écrive.

Car vous savez bien vous-mêmes que le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit.

Quand les hommes diront : Paix et sûreté ! alors une ruine soudaine les surprendra, comme les douleurs de l’enfantement surprennent la femme enceinte, et ils n’échapperont point.

Mais vous, frères, vous n’êtes pas dans les ténèbres, pour que ce jour vous surprenne comme un voleur ; vous êtes tous des enfants de la lumière et des enfants du jour. Nous ne sommes point de la nuit ni des ténèbres.

Ne dormons donc point comme les autres, mais veillons et soyons sobres.

Car ceux qui dorment dorment la nuit, et ceux qui s’enivrent s’enivrent la nuit.

Mais nous qui sommes du jour, soyons sobres, ayant revêtu la cuirasse de la foi et de la charité, et ayant pour casque l’espérance du salut.

Car Dieu ne nous a pas destinés à la colère, mais à l’acquisition du salut par notre Seigneur Jésus-Christ, qui est mort pour nous, afin que, soit que nous veillions, soit que nous dormions, nous vivions ensemble avec lui. C’est pourquoi exhortez-vous réciproquement, et édifiez-vous les uns les autres, comme en réalité vous le faites.

Paul entend moins décrire notre résurrection que d’insister sur la soudaineté et l’imprévisibilité du « Jour du Seigneur ». Comme nul ne connait le jour et l’heure, il faut vivre dans « la foi », « la charité » et l’espérance du salut », ici et maintenant, sur terre, au lieu de nier l’existence terrestre, dans l’attente de la vie céleste.

Fidèle à Jésus, Paul évoque le ciel pour valoriser l’existence terrestre.

Romains 8, 31-38

Que dirons-nous donc à l’égard de ces choses ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ?

Lui, qui n’a point épargné son propre Fils, mais qui l’a livré pour nous tous, comment ne nous donnera-t-il pas aussi toutes choses avec lui ?

Qui accusera les élus de Dieu ? C’est Dieu qui justifie !

Qui les condamnera ? Christ est mort ; bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, et il intercède pour nous !

Qui nous séparera de l’amour de Christ ? Sera-ce la tribulation, ou l’angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou l’épée ? selon qu’il est écrit : C’est à cause de toi qu’on nous met à mort tout le jour, Qu’on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie.

Mais dans toutes ces choses nous sommes plus que vainqueurs par celui qui nous a aimés.

Car j’ai l’assurance que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni les choses présentes ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ notre Seigneur.

Ici, Paul reprend un thème majeur de sa foi : puisque Dieu a ressuscité Jésus, comment imaginer qu’il n’ait ni la puissance ni le désir de faire de même avec nous ? Ainsi, rien, pas même la mort, ne peut nous séparer de son amour, manifesté en Jésus-Christ.

II Co 5,1-10

Nous savons, en effet, que, si cette tente où nous habitons sur la terre est détruite, nous avons dans le ciel un édifice qui est l’ouvrage de Dieu, une demeure éternelle qui n’a pas été faite de main d’homme.

Aussi nous gémissons dans cette tente, désirant revêtir notre domicile céleste, si du moins nous sommes trouvés vêtus et non pas nus.

Car tandis que nous sommes dans cette tente, nous gémissons, accablés, parce que nous voulons, non pas nous dépouiller, mais nous revêtir, afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie.

Et celui qui nous a formés pour cela, c’est Dieu, qui nous a donné les arrhes de l’Esprit.

Nous sommes donc toujours pleins de confiance, et nous savons qu’en demeurant dans ce corps nous demeurons loin du Seigneur – car nous marchons par la foi et non par la vue, nous sommes pleins de confiance, et nous aimons mieux quitter ce corps et demeurer auprès du Seigneur.

C’est pour cela aussi que nous nous efforçons de lui être agréables, soit que nous demeurions dans ce corps, soit que nous le quittions.

Car il nous faut tous comparaître devant le tribunal de Christ, afin que chacun reçoive selon le bien ou le mal qu’il aura fait, étant dans son corps.

A la différence de sa 1ère aux Thessaloniciens, Paul valorise, ici, la dimension spirituelle de la vie par rapport au « charnel ». Il oppose, de même, la vie céleste à l’existence terrestre. Enfin, il évoque le jugement divin et sa rétribution.

Il semble, dans ce passage, plus « grec » que « juif » et, malheureusement, assez loin de Jésus, quelle que soit la beauté des images utilisées.

Paul évoque les « arrhes de l’Esprit ». Il signifie par là que nous serons un jour pleinement en Dieu, vivant en Lui et par Lui. Mais, dès à présent, nous recevons une part de « l’héritage spirituel » qui nous est promis.

Ressusciter !

Autant la résurrection du Christ s’appuie sur un événement historique, constaté par des tméoins, autant la Bible évoque notre propre résurrection par des images, des symboles. Elle nous invite à une grande prudence lexicale, une espérance respectueuse de la résurrection, une mise en relation de l’au-delà avec notre vie individuelle et collective.

A) Les mots pour le dire

Les termes évoquant l’au-delà sont à ce point chargés d’images et de projections qu’il nous faut être très prudents lorsque nous en parlons.

Il me semble que les termes immortalité de l’âme (qui nie le corps) « enfer », « purgatoire » et même « paradis » sont à proscrire, au profit des quatre expressions suivantes : résurrection de la chair, royaume de Dieu, vie nouvelle.

Résurrection de la chair (Jn 5,24 ; I Co 13,8 ; II Co 4, 7-18 ; et 5,1-10 ; Ap 21)

Elle a été reprise par certains courants du judaïsme (pharisiens) au 1er s. av JC, puis par Paul.

Elle est indissociable de la foi en Dieu, puisque Il crée en nous une existence nouvelle. Elle ne présuppose pas une distinction corps-âme puisque c’est toute la personne qui ressuscite. Elle a lieu en même temps pour tout le monde, lors du dernier jour.

Le monde entier est alors transfiguré. Dieu conserve en sa mémoire éternelle ce que nous avons été et vécu. C’est pourquoi le Credo parle de « résurrection de la chair ».

Cette terminologie nous met aujourd’hui dans l’embarras. Comment notre chair pourrait-elle ressusciter alors qu’elle est promise à la putréfaction ? Et de quelle chair s’agit-elle : de ma chair d’enfant ? De jeune adulte ? De vieillard ? Ne faudrait-il pas mieux parler de résurrection de la personne, voire de résurrection de l’âme ?

Le Nouveau Testament n’emploie pas le mot « personne » parce qu’il avait une autre signification : la personne, c’était le masque, l’apparence trompeuse et non l’individualité comme aujourd’hui. « Chair » est justement employé pour désigner l’individu, chair et esprit.

Ainsi, la résurrection de la chair, c’est la résurrection de la personne (au sens moderne du terme). En croyant en la résurrection de la chair, je crois que ressuscitera ce qui constitue mon individualité, mon passé, mon histoire, mes « œuvres ».

Dans le Nouveau Testament, la « chair », c’est également ce qui, en moi, échappe à l’emprise du Christ. Vivre « selon la chair », c’est vivre sous l’emprise de mes désirs et de mes blessures.

La résurrection de la chair, selon ce second sens, c’est la promesse que ce qui est en moi est blessé, stérile sera ressuscité, travaillé, guéri, tourné vers Dieu. « Ce corps corruptible revêtira l’incorruptibilité ». un jour, cette chair ressuscitera, Dieu vaincra nos limites et en premier lieu la Mort. Un jour, Dieu récupèrera l’existence et l’histoire de chaque homme. Ce que nous aurons vécu et fait, rien de cela n’est perdu. A la résurrection, Dieu récupèrera, triera et transformera.

Ainsi, « résurrection de la chair » fait sentir un changement de l’être, dans son ensemble ; elle affirme clairement que la vie éternelle vient d’un acte de Dieu, elle souligne le caractère personnel de la vie éternelle (quelque chose de moi se perpétue); elle se situe dans la ligne de la création (Dieu ressuscite l’homme comme il l’a suscité ; il le relève comme il l’a relevé).

Le Royaume de Dieu

La Bible ne parle pas d’immortalité de l’âme. Cette conception est grecque (Platon). La « résurrection des morts » a une origine iranienne (parsis). Le Royaume de Dieu est, lui, spécifiquement judéo-chrétien.

Ce Royaume n’est pas spécifiquement céleste. Il n’est pas lié à une localisation mais à la réalité de la royauté de Dieu. Autrement dit, le Royaume est là lorsque Dieu règne.

Par son enseignement (cf. les paraboles du Royaume en Matthieu 13) et par sa vie, Jésus montre comment Dieu entend régner ; il annonce que tous les hommes sont au bénéfice d’un même salut, d’un même pardon ; tous peuvent les recevoir, en vivre, les répandre.

Ce Royaume de Dieu est en devenir (Dieu ne règne pas encore complètement ni partout) ; il est caché et pourtant, il est déjà là, il « pousse » telle une graine sous terre.

Le Royaume, à la fin des temps, c’est la réalisation effective de ce qui nous a été promis. C’est notre monde, recréé et transfiguré par Dieu, par sa grâce et son amour. Ce sont de « nouveaux cieux et une nouvelle terre » (Ap 21, reprise d’Es 65,17).

Cette expression affirme la résurrection ; elle est aussi une promesse pour notre vie présente.

Les chrétiens ont souvent envisagé ces deux réalités comme étanches : les « piétistes » ont vu l’existence comme un exil et l’autre comme un cantique ; certains « libéraux » la vie céleste comme mythique et la vie terrestre comme seule importante.

Or, la vie éternelle a déjà commencé. Une vie nouvelle « pousse ». Dès maintenant, l’Esprit de Dieu peut commencer à venir habiter la chair de l’homme, un homme nouveau commence à croire, à espérer et aimer.

Cette promesse confère de l’importance à la vie présente. C’est là que se vivent notre responsabilité, notre vocation ; la vie éternelle entraîne un « vivre plus » et non – comme dans beaucoup de religions – une vie tronquée ou une évasion.

Nous sommes ainsi préservés de deux écueils : penser que le Royaume peut pleinement s’instaurer sur terre ou ne plus rien attendre de neuf.

Enfin, le symbole du Royaume signifie que le salut est universel. Le salut de chacun exige le salut de tous : « Quiconque condamne quelqu’un à la mort éternelle se condamne lui-même, parce que sa propre personne ne peut pas se séparer de celle des autres ».

La vie nouvelle

Jésus ne promet pas seulement une nouvelle vie mais également une vie nouvelle.

Dès aujourd’hui, je peux naître de nouveau. La résurrection peut débuter aujourd’hui.

C’est le cas lorsque je vis dans l’éternité de Dieu.

C’est le cas lorsque je me laisse soigner, guérir, pardonner, régénérer de l’intérieur, par la puissance de Dieu. Ce « travail » de Dieu en moi ne me divinise pas mais m’humanise. Enfin, je deviens conforme à ce que Dieu avait projeté en créer l’humain. Enfin, je suis restitué dans ma capacité à aimer et à m’aimer.

Même ce qui est faiblesse et lacunes, même ce qui est mort en moi peut ressusciter. Le Dieu des résurrections est le Dieu des guérisons.

Ressusciter avec le Christ, c’est savoir que notre vie est constamment ressuscitée en nous par une sorte de miracle sans que nous y soyons pour rien. Et cette vie ressuscitée constitue les prémices de notre résurrection qui aura lieu après la mort (Rm 8,11) ; cf. aussi Ga 2,19-20 ; II Co 4,10-12.

Ainsi, la vie éternelle surgit dès aujourd’hui : « La résurrection, cela signifie la victoire d’un état de choses nouveau, la naissance d’un être nouveau à partir de la mort du vieil être, ici et maintenant. Là où il y a un être nouveau, là est la résurrection ».

Le récit de l’ascension constitue la clé de lecture : « Le Messie ne sauve pas des individus en les menant par un sentier qui les ferait sortir de l’existence historique. Son rôle est de transformer l’existence historique ». inversement, l’espérance en la résurrection se fonde sur une réalité présente. Parce qu’elle surgit et agit en nous, dès maintenant, elle suscite et nourrit l’assurance que notre décès biologique n’a pas le dernier mot.

B) Une espérance respectueuse

Les différentes représentations essaient de rendre compte d’un mystère et d’une promesse.

Un mystère … car nul n’est revenu de la mort pour nous dire ce qui s’y passait ; une espérance car nous nous fondons sur la résurrection et les promesses du Christ. Ainsi, nous ressusciterons parce que Jésus a ouvert une brèche. Nous ressusciterons parce que la puissance divine qui a ressuscité Jésus fera de même pour nous.

Cela, beaucoup de chrétiens sont prêts à le croire. Ils adhérent volontiers à l’argument de Paul dans sa lettre aux Romains : Dieu nous aime tellement qu’il n’accepte pas que la mort casse le lien qui nous relie à lui: Rien, ni la mort ni la vie … ne peut nous séparer de l’amour que Dieu nous a manifesté en Jésus-Christ » (Romains 8,31b ; 38) .

La Bible reste, par contre, discrète sur le « comment » : Jésus parle par images, métaphores (« Le Royaume sera semblable à … ») ; il se garde de décrire l’au-delà. Il ne prétend pas déchirer le voile. Alors, il évoque la résurrection par des images, des allégories, des paraboles. Après la mort, « nous serons comme des anges », « le Royaume sera semblable à un festin de noces ». Il rejette une approche trop réaliste (les Saduccéens, la veuve et ses sept maris, en Matthieu 22, 23-33).

Parler de la résurrection fait courir deux risques : se « représenter » la résurrection en y projetant nos idéaux, nos frustrations … voire nos fantasmes (cf. les 70 vierges d’un certain islam ou les tableaux de Bosh) ; se tourner vers la résurrection et le ciel et négliger la vie et la terre.

En Matthieu 22, Jésus évite ces deux pièges. Les Saduccéens (branche du judaïsme ne croyant pas en la résurrection des morts), lui posent une « question piège »: si une femme a successivement sept maris, de qui sera-t-elle l’épouse lors de la résurrection ? Jésus leur répond : « Vous êtes dans l’erreur, parce que vous ne connaissez ni les Ecritures ni la puissance de Dieu. A la résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari; mais on est comme des anges dans le ciel. Et pour ce qui est de la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu la parole que Dieu vous a dite : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob ? Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ».

Affirmant que « Dieu est le Dieu des vivants et non des morts », Jésus met l’accent sur la vie présente. La vie terrestre n’est pas une vallée de larmes en attendant la joie de la vie éternelle, elle n’est pas un lieu où nous sommes testés et « affinés » en vue du jugement et de la résurrection ; la vie terrestre est le lieu de la foi, de la vocation, de l’amour vécu, de la transmission.

Il y a bien une promesse de résurrection mais cette promesse éclaire notre vie présente, elle ne nous en détourne pas. Même les visions du jugement dernier nous renvoient à notre responsabilité présente. Dans leur jargon inimitable, les théologiens disent qu’avec Jésus, « l’eschatologie est réinvestie en éthique ». Autrement dit, le discours sur l’ultime nous renvoie à notre vie et à ses choix éthiques. Ainsi, la Bible n’est pas un guide de l’au-delà mais une bonne nouvelle pour aujourd’hui et pour demain !

C) Des représentations chrétiennes parfois moins prudentes

Les évangélistes et Paul partent de la résurrection du Christ pour envisager notre propre résurrection.

Par la suite, les théologiens feront de même. Ils s’efforceront de penser notre résurrection, à partir de la Bonne Nouvelle. Pour ce faire, ils utiliseront inévitablement des termes, des images, des présupposés provenant de leur culture ou « empruntées » à d’autres.

Nous allons présenter cinq grandes représentations.

  1. Le néant(cf. Roger Parmentier : « Pour ne pas se tromper de résurrection »)

Selon quelques penseurs chrétiens, très minoritaires, il n’y aurait pas de résurrection des morts.

Jésus proposerait une vie autre et pas une autre vie.

Selon Roger Parmentier, « Jésus a risqué sa vie, non pour nous préparer à une vie de l’au-delà mais pour nous rendre vraiment vivants, maintenant ». De plus, la possibilité d’une vie après la mort semble incroyable scientifiquement et décrédibilise le message de l’Evangile.

  1. Représentation spatiale

Pour Thomas d’Aquin, il existe trois lieux, chronologiquement simultanés et géographiquement distincts : l’enfer, le purgatoire, le paradis.

Le sort final de l’humain consiste en un parcours individuel.

Thomas d’Aquin s’appuie, par exemple, sur « le riche et Lazare » (Matthieu 16,19-39), lu comme un récit et non comme une parabole. A l’appui de cette représentation, on mentionne aussi l’affirmation de la « descente du Christ aux enfers » (I Pierre 3-4), reprise dans le Credo.

L’enfer

Il constitue un séjour définitif. On n’y sort que pour, selon Thomas, « instruire et terrifier » les humains.

Dans le poème de Dante, à la porte de l’enfer, on lit : « Vous qui entrez ici, perdez tout espérance ».

L’Eglise du Moyen Age fait des peines éternelles un article de foi. « Si quelqu’un dit ou pense que le châtiment … des impies est temporaire et qu’il prendra fin après un certain temps … qu’il soit anathème » (cf. Synode de Constantinople (543).

Origène est ici visé. Il pensait qu’à la fin des temps, Dieu récupèrerait de l’enfer tous les êtres, les sauverait et anéantirait ainsi l’enfer.

En 1254, Innocent IV écrit : « Si quelqu’un meurt sans pénitence, dans un état de péché mortel, il ne fait pas de doute qu’il est tourmenté pour toujours par les feux de l’enfer éternel ». Il n’y a donc pas de « grâce présidentielle » à attendre.

Pour évoquer la souffrance des damnés, les religieux n’ont pas manqué d’imagination : les damnés sont simultanément gelés et rôtis, ils sont écartelés et empalés etc. Le thème du feu est très présent. Il est emprunté à d’autres religions (p.e le parsisme ou le culte de Baal)

Des limbes à la rotissoire

L’enfer est constitué de sous-catégories.

La première englobe ceux qui sont damnés à cause du péché originel mais qui n’ont rien fait de mal (les bébés morts avant le baptême, les déficients mentaux) ; ils subissent la peine du dam ; elle consiste en la privation de la vision de Dieu. On parlera très vite de « limbes ».

La seconde catégorie comprend ceux qui ont commis des fautes dont ils ne se sont pas repentis. Ils subissent la peine du sens, des supplices qui font souffrir.

Dans « L’initiation théologique » (1850, 1954), manuel de base des séminaristes, les damnés souffrent d’une éternelle agonie. Nul ne sait, ni le croyant ni l’Eglise, qui va y accéder car un repentir de dernier instant peut sauver le mourant de l’enfer. Seule la présence du diable est certaine (contrairement à l’imagerie populaire, il ne dirige pas l’enfer mais y souffre).

Une Bible pourtant discrète

L’enfer est quasiment absent de l’Ancien Testament (contrairement à la plupart des autres religions, grecques, romaines, proche et moyenne orientales, égyptiennes etc.) .

Le fidèle comme l’infidèle sont voués à une même mort, sans paradis ni enfer. S’il y a une rétribution, elle est terrestre.

Les premières ébauches bibliques de l’enfer sont tardives, sous le contact d’autres cultures et religions (notamment les religions à mystères, comme le culte de Cybèle ou l’orphisme qui promet le bonheur éternel aux initiés et la damnation aux autres).

Les prophètes comme Esaïe utilisent l’image de la Géhenne. La Gehenne, « vallée de Hammmon » est située près de Jérusalem. Elle servait de décharge publique, à ciel ouvert. Un feu permanent brûlait les ordures. Dans la Bible, la Géhenne est employée métaphoriquement. Pour les prophètes, menacer de la Géhenne, revient à avertir le peuple : si vous ne changez pas de comportement, Dieu pourra vous jeter dans la Géhenne comme on jette un objet inutile. Autrement dit, les prophètes ne menacent pas de souffrances infinies ; ils avertissent le peuple que Dieu pourrait se lasser, et les laisser tomber.

Le Nouveau Testament est aussi discret. Dans les écrits de Paul, le mot enfer n’apparaît pas (sinon une fois, dans la lettre aux Philippiens pour exprimer une toute autre idée : qu’au nom de Jésus, « tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et dans les enfers » Ph 2,10).

Il en est de même avec Pierre et Luc dans les Actes.

Dans les Evangiles, il est fait mention de la Géhenne. Nous en avons déjà parlé. Jésus met en scène le riche et Lazare, moins pour décrire l’enfer ou le faire craindre que pour mettre l’accent sur la responsabilité éthique du croyant, ici et maintenant.

Enfin, l’apocalypse de Jean utilise de nombreuses images infernales, telle « l’océan de souffre et de feu ». Mais ce livre n’est pas descriptif. Il consiste en des visions métaphoriques (exemple, la succession des empires). Par ces images « brûlantes », Jean affirme que Dieu est le Seigneur de l’Histoire et qu’il renversera l’Empire romain, puissance apparemment invincible, comme il l’a fait précédemment avec les autres empires.

D’où vient alors cette profusion de représentations infernales ?

Dans les premiers siècles du christianisme, une littérature apocryphe (écrits non retenus dans le canon biblique) va combler la soif de description de l’enfer.

Des écrits apocryphes … pleins d’imagination

Dans « L’histoire de Joseph le charpentier », l’âme du défunt, escortée de nombreux démons, doit franchir de nombreux obstacles, qu’elle ne peut franchir que si elle a mené une vie pure.

Quant à « l’Apocalypse de Pierre » (rédigée entre 125 et 150), elle proposera un catalogue des souffrances, maintes fois reproduit par les artistes : « Il y a avait un grand lac rempli de fange ardente où se trouvaient certains hommes qui s’étaient détournés de la justice … d’autres encore,, des femmes, étaient suspendues par leur chevelure au-dessus de cette frange incandescente, c’étaient celles qui s’étaient parées pour l’adultère… Je voyais les meurtriers et leurs complices, jetés dans un lieu étroit, plein de reptiles malfaisants. »

Cette vision est amplifiée dans une Apocalypse apocryphe de Jean, à laquelle se réfèrera Dante. Conduit par un ange, Paul arrive à la rivière de feu et assiste à tous les supplices. Il y en a 144.000.

Remettons de l’ordre

Les pères de l’Eglise vont tenter d’encadrer et de structurer ce débordement.

Si Origène pense que l’enfer n’est qu’un lieu provisoire, et qu’en définitive, tous les hommes seront sauvés, Tertullien se réjouit à l’avance de la souffrance des damnés, en particulier des philosophes ; « C’est moi qui rirait.. quand je verrai tous les ces sages, tous ces philosophes, rôtissant avec leurs disciples à qui ils ont enseigné que Dieu ne s’occupe pas du monde ».

Saint-Augustin formalise la doctrine catholique. En réaction contre des courants indulgents, il durcit le trait. Seront condamnés à l’enfer tous les païens (victimes du péché originel), tous les enfants non baptisés, tous les chrétiens qui s’obstinent dans le péché. Il envisage un feu purgatoire provisoire pour les « pas tout à fait mauvais ».

Bossuet a une conception beaucoup plus spirituelle de la situation des damnés : « Je dis qu’étant séparés de cette unité (avec Dieu) ils commencent leur enfer même sur la terre et que leurs crimes les y font descendre : car ne nous imaginons pas que l’enfer consiste dans des épouvantables tourments, dans ces étangs de feu et de soufre, dans ces flammes éternellement dévorantes, dans cette rage, dans ce désespoir, dans cet horrible grincement de dents. L’enfer, si nous l’entendons, c’est le péché même ; l’enfer, c’est d’être éloigné de Dieu et la preuve en est évidente dans l’Ecriture ».

Avis personnel

Les protestants sont unanimes à refuser les sous-catégories de l’enfer. Ils le ne sont pas quant à l’existence d’un lieu de perdition.

Personnellement, je n’y crois pas. Ses bases bibliques sont faibles. Elles sous-tendent une logique de peur et une doctrine de la rétribution (selon cette doctrine, Dieu nous récompense ou nous punit selon nos bonnes ou nos mauvaises actions). De plus, je ne peux faire coïncider cette peine éternelle avec le visage de Dieu que Jésus me fait connaître. Enfin, je ne vois pas comment quelqu’un « de bien » pourrait jouir de la béatitude infinie tandis que ses congénères grilleraient au feu éternel.

Le purgatoire

Il n’apparaît qu’au XIIIème siècle dans les textes officiels. Les conciles de Lyon (1284)n de Florence (1439), de Trente (1563) définissent la doctrine le concernant. Elle a des bases bibliques très minces (interprétation contestable de I Co 3, 11-15).

Cette doctrine peut se résumer en quatre points :

  • A la différence de l’enfer ou du paradis, le purgatoire est transitoire. Il est un palier intermédiaire de purification pour ceux qui ne sont pas décédés en état de péché mortel mais ne se sont pas repentis (ou insuffisamment). Chateaubriand souligne cet aspect : « Le purgatoire surpasse en poésie le ciel et l’enfer en ce qu’il représente un avenir qui manque aux deux premiers ».

  • Les supplices sont les mêmes qu’en enfer (pour Aquin, le purgatoire est contigu à l’enfer … pour que le même feu puisse servir). Ces souffrances n’ont toutefois pas le même sens : elles sont moins un châtiment qu’une purification. Surtout, les « pensionnaires » les supportent patiemment car ils se savent destinés au paradis. Les prières des vivants peuvent adoucir le sort des âmes du purgatoire. Un jour, ce lieu n’existera plus. Tous les morts seront répartis entre le paradis et l’enfer.

Aujourd’hui, la doctrine catholique hésite à ce sujet : le purgatoire est-il un article de foi ou un élément périphérique sur lequel il serait possible de revenir ?

Les protestants ne croient pas à l’existence du purgatoire dont les bases bibliques sont trop minces.

Le paradis

Les sauvés demeurent près du Christ, en compagnie des bienheureux.

Le Royaume est un lieu de communion avec les autres humains et de révélation (au sens étymologique d’ « ôter le voile ») de Dieu. Selon l’expression de Jean, « nous le (Dieu) verrons tel qu’il est » (I Jean).

Il existe parfois des degrés au ciel suivant les mérites ou la spiritualité. Thomas d’Aquin pense que le spectacle des damnés, en train de souffrir, augmente la béatitude des sauvés.

Que se passe-t-il pour ceux qui sont morts avant Jésus-Christ ? Selon la doctrine catholique classique, ils sont destinés aux limbes ou au jugement, suivant la Loi de Moïse.

A la fin des temps, il n’y a plus d’ici-bas ni de limbes et les sauvés récupèrent leur corps, rendu glorieux, … même s’il s’agit bien de leur propre corps (Concile de Tolède, en 675 : « Nous ressusciterons dans cette chair même dans laquelle nous vivons, nous nous trouvons et nous mourons »).

Une représentation spatiale problématique

Cette représentation spatiale a profondément marqué les esprits et modifié des existences.

Elle est cohérente et structurée mais pose des problèmes de tous ordres :

  • Elle en dit beaucoup plus sur l’au-delà que le Christ. Le purgatoire, les limbes n’ont pas de bases bibliques sérieuses.

  • Elle emprunte largement à des représentations issues d’autres religions (Egypte pour le jugement dernier, parsisme pour la résurrection de la chair, mythes grecs pour l’immortalité de l’âme ou la localisation des lieux paradisiaques et infernaux etc.)

  • Elle donne un rôle décisif à la rétribution. Dieu pardonne mais pas tous les hommes, il sauve mais condamne définitivement. Le protestantisme rejettera cet élément de la doctrine chrétienne, au profit de la grâce seule mais a fait parfois de la foi la condition de l’entrée au paradis.

  • Cette figuration spatiale manque de crédibilité rationnelle. Où est ce ciel ?

  • Elle est centrée sur l’individu et son salut personnel et minore la dimension collective de la foi ; elle valorise l’au-delà aux dépens de l’ici-bas, alors que Jésus parle du ciel pour mettre l’accent sur la terre.

  1. Conception temporelle (Oscar Cullmann, « Christ et le temps »)

Si la culture grecque a une vision spatiale de la réalité (les dieux sont sur l’Olympe, les morts en Hadès, lieux représentés sur une carte), la Bible la comprend en termes temporels. Le monde et la destinée humaine sont modelés par une histoire.

Cette histoire présente trois caractéristiques :

  • Il s’agit d’une histoire linéaire et orientée, partant de la Création pour aboutir au Royaume. Dieu agit principalement à des moments précis (ex. sortie d’Egypte et don de la Torah, Jésus). Il conduit l’humanité vers l’objectif, qu’il a prévu, fixé et annoncé par avance.

  • Pour les chrétiens, cette histoire a un centre : Jésus-Christ (cf. calendrier occidental). Cette conception se distingue de la conception juive selon laquelle l’événement décisif – la venue du Messie – est encore à venir. L’histoire du salut comporte quatre périodes successives : avant la création, entre la création et la venue du Christ (Dieu agit principalement par Israël), la venue du Christ qui donne sens à ce que nous vivons ; la fin des temps avec la pleine réalisation du Royaume.

  • Cette histoire avance au milieu d’affrontements et de d’oppositions. Même si la victoire est déjà remportée, « l’adversaire » (ce qui, en nous, s’oppose au projet de Dieu) ne s’est pas encore rendu.

 

La résurrection et non l’immortalité

La mort anéantit corps et âme, détruit l’ensemble de la personne.

Il n’y a donc ni mutation, ni déplacement d’un lieu à un autre.

Au jour de la résurrection, Dieu nous ressuscite à partir de rien, il reconstitue une personne qui n’avait pas d’existence.

La mort est vaincue parce que le Christ est ressuscité. Cette victoire est la résultante d’un combat, mené par Dieu contre la mort.

Cette victoire ne deviendra manifeste qu’à la fin des temps. La résurrection ne se produira qu’à ce moment-là. Ainsi, Le Royaume n’est pas au-dessus de la terre mais après.

Toutefois, à Pâques, une résurrection a déjà eu lieu. Le monde nouveau pénètre le monde ancien, grâce à l’Esprit, il travaille les croyants comme le levain dans la pâte. Les fidèles suivent déjà quelque chose du Royaume. Paul parle des « arrhes » de l’Esprit.

Des difficultés

Que deviennent les morts avant la résurrection ? Sont-ils dans un endormissement ? Ont-ils complètement disparus ? Si oui, comment peut-on parler de continuité entre le vivant et le ressuscité ?

Autre question : que se passe-t-il pour les incroyants (ou les adeptes d’une autre religion) ? Restent-ils anéantis ? Sont-ils sauvés malgré tout ?

A quoi ressemble cette vie nouvelle ?

On ne doit pas l’envisager sur le modèle de l’existence présente. Comme le suggèrent les images bibliques du festin et des noces, la vie éternelle sera joyeuse et se caractérisera par la communion avec Dieu et les autres créatures.

d) Approche existentielle(cf. Bultmann).

L’essentiel de la foi n’est ce qu’elle est, objectivement, mais ce qu’elle produit en moi.

La foi n’est pas une doctrine mais une rencontre.

Cette approche est dite « existentielle ».

Selon cette approche, la foi surgit quand le Christ devient présent pour moi, en moi. Ainsi, le Royaume arrive, la vie éternelle me saisit, à l’instant où Dieu entre en relation avec moi.

La foi n’est donc pas tournée vers le passé (Jésus, de 0 à 33) ni vers le futur (l’attente du Royaume) mais vers le présent. Christ « se tient à la porte et il frappe ».

La résurrection se conjugue d’abord au présent

Paul l’affirme dans la lettre aux Colossiens (2,12) : « Vous êtes ressuscités avec le Christ et en lui, par la foi en la puissance de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts ». La résurrection se produit ici et maintenant lorsque je rencontre le Christ, lorsque sa parole m’atteint. Le jugement dernier, la résurrection, l’avènement d’un monde nouveau ont lieu aujourd’hui. Cette perspective donne un relief nouveau aux paroles de Jésus : « Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra quand bien même il serait mort et quiconque vit et croit en moi ne mourra pas » (Jean 11, 25-26).

La résurrection est un don

La résurrection est un présent dans les deux sens du terme : elle a lieu aujourd’hui et elle nous est donnée par le Christ. Comme l’écrit Bultmann : « Il ne s’agit nullement d’une possibilité naturelle de l’homme mais d’un événement qui lui vient du dehors ». Elle ne se mérite pas mais est donnée.

Ce don place le croyant dans une situation paradoxale : il est une nouvelle et ancienne créature, il a dépassé la mort et pourtant il est toujours destiné à mourir ; il vit de la même vie que tous les êtres humains et cependant la vie éternelle jaillit en lui. La présence en l’homme de la vie éternelle transforme son attitude, le délivre de peurs et de servitudes, suscite en lui force et confiance. Il reste sur terre, avec les problèmes de la terre mais vit selon l’Esprit.

Et après ?

Qu’y a-t-il après la mort ? Quelque chose. Ce quelque chose est la vie authentique que nous recevons de Dieu. Vivre avec Christ est l’unique chose que Paul affirme de la vie ressuscitée.

Ainsi, la foi chrétienne en la vie éternelle exclut toute représentation ; elle nous rend disponible et confiant. Cette approche se refuse à toute description de l’au-delà … au risque de nier la résurrection ou de la rendre insignifiante.

Annexes

Discours philosophiques

Les discours philosophiques sur l’au-delà, autrefois fréquents (de Platon à Descartes, de Kant à Hegel) deviennent très rares.

Le seul texte marquant du XXème siècle a été écrit par Bergson (« L’âme et le corps »).

Pour Bergson, le cerveau ne produit pas de la pensée mais lui donne les moyens de s’extérioriser, un peu comme une radio permet à la musique de se faire entendre. De même que la disparition d’un poste de radio n’entraîne pas celle de la musique, la disparition du corps n’entraîne pas celle de l’esprit. Si « l’immortalité en elle-même ne peut-être prouvée expérimentalement, la survivance apparaît si vraisemblable que l’obligation de la preuve incombera à celui qui nie plutôt qu’à celui qui affirme ».

Plus généralement, la survie après la mort repose sur l’existence de « quelque chose » en l’homme, transcendant le biologique. S’il existe, il peut ne pas être affectée par la mort. Cette transcendance, ce peut être l’âme, l’esprit, ou tout simplement la conscience que l’homme a de lui-même.

Le philosophe Jankélévitch pose ainsi le problème : « Au point de vue scientifique et philosophique, la survie paraît irrationnelle, elle n’est pas prouvée, elle ne peut pas être expérimentée et elle semble même contredire la réalité qu’est la déchéance de l’être humain. Mais d’un autre côté, du point de vue philosophique, comment concevoir qu’une pensée qui pense la mort puisse être détruite par la mort puisqu’en la pensant, elle lui est supérieure ?».

A Jacquard en arrive à la même conclusion : « Une vie éternelle peut être évoquée, tout en restant pleinement réaliste, à condition de considérer non la vie de l’organisme mais celle de la conscience ».

Qu’est-ce qui ressuscite ? La vérité de ce que nous avons vécu. Comme l’écrit Jankélévitch : « Celui qui a été ne peut plus désormais ne pas avoir été ; désormais, ce fait mystérieux et profondément obscur d’avoir vécu est son viatique pour l’éternité ».

Sous quelle forme ?

Le passage de cette vie à une autre serait semblable à la métamorphose de la chenille en papillon. Nous trouvons cette image chez Pythagore et Platon. Lorsqu’une chenille se liquéfie dans son cocon, elle semble morte. Pourtant, dans ce liquide qui en résulte se trouvent les éléments capables d’en tirer un papillon. On pourrait ainsi supposer qu’après cette vie qui meurt, il y en a une autre, sur un tout autre plan de l’être et de la réalité.

 

b) La science et les NDE (« Near Death Experience », « les expériences aux confins de la mort »)

Le psychiatre américain Raymond Moody a publié « La vie après la vie », puis « Lumières nouvelles sur la vie après la vie ». Il constate que les témoignages de ceux qui sont restés au « seuil » de la mort, se ressemblent étrangement. Les « revenants » entendent une lumière stridente, puis une sortie de corps.

Le défunt « voit » le cadavre qu’il vient de quitter ; il perçoit la présence d’amis et de parents déjà morts. Enfin, il rencontre un être de lumière et d’amour et en éprouve un immense bonheur.

Moody ne prétend rien prouver, il expose et analyse des témoignages. Or, ces personnes ne sont pas cliniquement mortes ; de plus, il existe toujours un décalage entre l’événement réel, l’événement vécu et l’événement raconté. A partir de ces témoignages, il est donc difficile de prouver une vie après la mort et encore moins de la décrire.

Plus généralement, l’au-delà échappe à l’investigation scientifique. Les neurobiologistes se bornent à expliquer l’origine des « visions » des NDE

c) L’enseignement des religions

Les religions, anciennes et actuelles, ont des représentations de l’au-delà souvent très différentes les unes des autres. Il est néanmoins possible de les regrouper en quelques affirmations, parfois antagonistes, parfois « combinables » :

  • Il n’y a pas de frontière absolument étanche entre l’au-delà et l’ici-bas.

Ce que je vis dans l’au-delà est un écho de ce que j’ai vécu ici-bas.

Il s’agit davantage d’une transformation de l’être que d’une vie radicalement nouvelle.

Alain Houziaux l’exprime en termes poétiques : « l’au-delà moissonne et recueille ce qui, dans ma vie, peut être gardé pour l’éternité ».

  • La mort est une purification.

Les « déchets » de la vie sont laissés ici-bas (la chair, par la corruption ou la réduction à l’état de cendres).

La vie dans l’au-delà est diminuée.

Cette « diminution » peut être envisagée positivement : l’homme est « désencombré » des soucis et des désirs de la chair. Mais, le plus souvent, il s’agit d’une perte de vitalité.

L’Odyssée (Chant XI) décrit des êtes fantomatiques, dépourvus de consistance, éprouvant la nostalgie de leur existence passée. Les décédés sont réduits à l’état de spectateurs à moitié endormis, au sort guère enviable. Ainsi, dans l’Hadès, Achille dit-il à Ulysse : « Mieux vaut être le dernier des petits cordonniers sur terre plutôt que le grand Achille dans les ténèbres ».

L’Ancien Testament propose souvent cette vision de l’au-delà.

  • La vie dans l’au-delà est une exagération

Le décès apporte à l’homme une intensité supérieure : les morts connaissent un bonheur (paradis) ou un malheur (enfer) beaucoup plus importants que durant leur vie terrestre.

Quand les choses se passent bien, le défunt, débarrassé des vicissitudes de l’existence, devient un bienheureux et jouit de la présence divine. Dans le cas contraire, le défunt souffre éternellement.

  • Le décès sépare le corps et l’âme (ou esprit).

Cette distinction permet à la mort de ne pas atteindre l’être tout entier ; une partie y échappe.

La mort délivre l’âme du corps et cette dernière réintègre son domaine propre, le monde spirituel.

Pour l’âme, le décès constitue un événement heureux. Platon défend cette thèse dans « Le Phédon ».

Pour d’autres, l’âme ne peut rester sans corps ; elle a besoin d’une demeure et transmigre, par un processus de réincarnation ou de métempsycose.

Ainsi, l’opposition entre corps et âme n’est pas toujours radicale.

Selon ces mythes relatifs à la réincarnation, l’âme reprendra corps. Pour le christianisme (et le judaïsme tardif) c’est l’inverse : le corps ressuscité devient spirituel.

 

  • La goutte isolée rejoint la source.

Le passage à l’au-delà se fait, sous forme d’une fusion dans un « tout ».

Aristote affirme l’immortalité de l’âme, réunissant en elle toutes les âmes particulières. Les éléments de notre être subsistent, seule disparaît ce qui délimitait mon « moi », le centrait sur lui-même. Je suis en quelque sorte absorbé par le Transcendant (Dieu ?); il s’opère ainsi une sorte de divinisation de l’être, au prix de la perte de la personnalité.

  • La résurrection de la personne

Le décès anéantit l’ensemble de la personne – corps et esprit. Notre être forme un tout, indissociable. La mort nous détruit donc intégralement. Ensuite, un acte de Dieu nous recrée totalement.

Cette résurrection des morts s’insère dans une régénération de la terre et des cieux, que Dieu transforme et renouvelle. Ce thème n’est pas seulement chrétienne; elle imprègne aussi le parsisme (Note : cette religion est aussi appelée Mazdéisme ou Zoroastrisme. Originaire d’Inde et de Perse, elle est dualiste car elle postule l’existence de deux principes antagonistes voire de deux divinités. Zarathoustra réformera cette religion qui sera malgré tout submergée par le christianisme, le manichéisme, puis l’islam ). Il postule l’unité de l’être humain, sa solidarité avec le monde et pose le problème de la continuité entre la personne qui meurt et celle qui ressuscite. Entre la mort et la résurrection, il y a un « entre deux », une sorte de « vie diminuée ».

d) La foi juive

Un séjour des morts vide

Dans l ‘Ancien Testament, à quelques exceptions près, il n’y a pas de croyance en l’immortalité.

Notre unique existence est terrestre, charnelle. Notre vie est limitée et fragile : « L’homme ! Ses jours sont comme l’herbe : il fleurit comme la fleur des champs : que le vent passe, elle n’est plus, et la place où elle était l’a oublié » (Psaume 103, 15-16).

Cette précarité de l’existence met en lumière, par contraste, la permanence de la fidélité de Dieu : « …mais la fidélité du Seigneur est depuis toujours et pour toujours sur ceux qui le craignent » poursuit le Psaume 103.

Elle incite le fidèle à vivre, ici et maintenant, dans la foi, selon la volonté de Dieu.

Selon un judaïsme plus tardif, marqué par les cultures perses et hellénistiques, elle invite également à profiter pleinement de l’existence, que Dieu nous a donné: : « tout est pareil pour tous, un sort identique échoit au juste et au méchant … il en est du bon comme du pécheur … C’est un mal dans tout ce qui se fait sous le soleil qu’un sort identique pour tous; aussi le coeur des fils d’Adam est-il plein de malice, la folie est dans leur coeur pendant leur vie, et après… on s’en va vers les morts. En effet, qui sera préféré ? Pour tous les vivants, il y a une chose certaine : un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort. Car les vivants savent qu’ils mourront; mais les morts ne savent rien du tout; pour eux, il n’y a plus de rétribution, puisque leur souvenir est oublié. Leurs amours, leurs haines, leurs jalousies ont déjà péri; ils n’auront plus jamais de part à tout ce qui se fait sous le soleil. Va, mange avec joie ton pain et bois de bon coeur ton vin, car déjà Dieu a agréé tes œuvres … Goûte la vie avec la femme que tu aimes durant tous les jours de ta vaine existence, puisque Dieu te donne sous le soleil tous tes jours vains … Tout ce que ta main se trouve capable de faire, fais-le par tes propres forces; car il n’y a ni oeuvre, ni bilan, ni savoir, ni sagesse dans le séjour des morts où tu t’en iras». (Ecclésiaste 9, 2-10).

Qu’y a-t-il après la mort ?

Ce passage de l’Ecclésiaste le montre bien : l’après-mort est défini négativement : « Il n’y a ni œuvre ni bilan ni savoir ni sagesse dans le séjour des morts où tu t’en iras ».

Le séjour des morts est un « lieu » ou un « temps » dont Dieu, lui-même, est absent.

L’éternité est l’apanage de Dieu.

Israël peut ressusciter (cf. vision des ossements desséchés, Ezéchiel 37), pas l’homme.

Une fraction du judaïsme tardif (2ème s. av JC – 1er s. ap JC) intègre néanmoins la croyance en la résurrection. Au dernier jour, Dieu ressuscitera les « justes », à commencer par les martyrs.

A l’époque de Jésus, les Pharisiens partagent cette croyance.