Notre responsabilité prophétique (dimanche 16 février 2014)

Texte biblique : Ezéchiel 3, 1-5 ; 8-21

La mission prophétique de l’Eglise.

La mission prophétique du croyant.

Soyons francs, nous ne savons plus trop ce que ces termes recouvrent exactement.

Dans les années 60-80, l’Eglise a parfois confondu cette vocation avec un « avant-gardisme politique » quelque peu aventureux.

Aujourd’hui, dans certaines Eglises pentecôtistes, l’exaltation et la transe sont assimilées à la prophétie.

Quant à nous, depuis plusieurs décennies, nous avons sagement abandonné ce vocable et ne parlons plus guère de prophétie.

Pourtant, le ministère prophétique est l’un des ministères de l’Eglise : ministère exceptionnel, ministère non-institutionnel, ministère difficile à discerner, mais ministère quand même.

En quoi consiste-t-il ?

Le prophète a deux missions :

– Il transmet un message précis de la part de Dieu.

Le prophète est ainsi le porte-parole divin, pour un instant donné.

Par exemple, Jonas annonce aux habitants de Ninive le jugement de Dieu.

Une fois ce message transmis, il n’est plus prophète.

– Le prophète est un surréaliste avant l’heure. Il voit, il discerne, dans des événements apparemment insignifiants, des signes : signes du jugement de Dieu ou de son pardon, de son exil ou de son retour dans son pays.

Pour celà, l’Eternel convoque Ezéchiel : « Tu iras parler à la maison d’Israël ».

La première réaction d’Ezéchiel est le refus.

« Ce n’est pas moi que tu dois choisir; il y en a tellement d’autres plus intelligents, plus croyants, plus courageux ».

Une jeune femme était novice dans un monastère féminin.

Elle se pliait si parfaitement à la discipline, aux jeûnes, à la vie de prière, que la mère supérieure eût des doutes : la jeune femme était-elle une sainte ou une simulatrice ?

Elle fît venir un vieux jésuite.

Le vieil homme rencontra la novice et lui demanda : « Ma chère enfant, êtes-vous une sainte ? »

« Oui, je le crois », répondit-elle.

Le jésuite arrêta l’entretien.

La jeune femme n’était pas une sainte car, dans ce cas, elle aurait refusé de se considérer comme telle.

De même, celui que Dieu appelle à son service se sent en deçà de la tache demandée ; mais il mesure que sa force repose en Dieu, et non en lui.

De même, notre force s’enracine en Dieu. Elle repose également sur l’Ecriture, une Ecriture à manger, à assimiler, à travailler, à comprendre, une Ecriture qui mobilise le cœur, la foi mais aussi l’intelligence et la connaissance.

Et j’aime le beau rite juif de la Hanoucca qui consiste à manger des petits gâteaux en forme de lettres hébraïques, afin d’expérimenter que l’Ecriture ne s’avale pas tout rond comme le croient les fondamentalistes mais doit se mastiquer, s’assimiler.

Aujourd’hui encore, nous ne pouvons répondre à l’appel de Dieu que si nous retrouvons une vie de prière et une familiarité avec l’Ecriture.

Il nous faut maintenant décrire la mission du prophète.

Pour Ezéchiel, cette mission est celle du guetteur.

Comme le guetteur posté en haut des murailles, le prophète doit « veiller », « voir à l’avance», « alerter ».

« Veiller », « voir à l’avance », « alerter » : trois verbes, trois aspects du ministère prophétique.

D’abord veiller, dans la foi.

A l’époque d’Ezéchiel, dans le Royaume de Juda, beaucoup de croyants s’étaient détournés de Dieu. Ils n’étaient même pas idolâtres. Ils étaient formellement croyants mais pratiquement des païens.

Ils confessaient leur foi en Dieu sans que cela change quelque chose à leur existence.

Ils étaient des « croyants non pratiquants ».

Alors que beaucoup dorment spirituellement, Ezéchiel doit veiller.

Quarante années plus tard, le peuple retournera à Dieu, dans l’allégresse ; mais il ne pourra le faire que parce qu’un « noyau dur » autour d’Ezéchiel sera resté fidèle.

Aujourd’hui, il est bien difficile de maintenir l’Evangile au centre de son existence et d’ordonner les autres éléments de sa vie autour de cet axe.

Et parfois, ceux qui s’y essaient se sentent quelque peu isolés, à contre-courant.

Pourtant, notre responsabilité prophétique consiste d’abord à tenir bon, à ancrer notre foi.

Bien sûr, nous avons raison de réfléchir en Eglise sur notre communication, notre action sociale, notre ouverture culturelle; mais ce travail n’a de sens que si nous maintenons notre foi vivante.

Que peut transmettre un guetteur, s’il s’est assoupi ?

La deuxième mission du guetteur consiste à voir au-delà.

C’est le sens étymologique de « prophète », en grec.

Le guetteur était placé en haut d’une muraille pour voir avant les autres l’avancée de soldats ennemis.

De même, la vocation du prophète est de voir « avant » ou « plus tôt » … parce qu’il voit de plus haut, avec le regard de Dieu.

Ainsi, Ezéchiel annonce la défaite militaire alors que personne ne s’en soucie.

De même, il annonce le retour d’Israël à Jérusalem alors que personne n’y croit.

Ces annonces ne sont pas des prévisions, elles ne reposent pas une analyse objective de la situation. Elles semblent même irréalistes. Et pourtant, elles se réaliseront.

Aujourd’hui, cette dimension du ministère prophétique est plus urgente encore.

Car, si nous bénéficions d’un flot continu d’informations, nous avons du mal à en percevoir les enjeux profonds.

Avec le recul donné par la foi, par la prière, par une lecture attentive et informée de la Bible, nous pouvons voir de plus haut, voir en profondeur.

Nous pouvons notamment discerner un besoin de spiritualité, une soif de liens forts, une aspiration à la bienveillance, un désir d’espérance.

Un besoin de spiritualité qui donne de la profondeur à notre vie.

Il y a plusieurs siècles, les gens espéraient une vie après la mort; de nos jours, ils ne savent plus s’il y a une vie avant la mort, une vie qui ne se résume pas à travailler, à consommer et à tchatter, une vie habitée par la présence de Dieu, une vie ainsi débarrassée de la peur d’autrui et du mépris de soi.

Une soif de liens forts alors que toutes nos alliances sont fragilisées : alliance conjugale, relations de confiance au sein de l’entreprise, capacité à nous sentir membres d’une même Nation.

Oui, il y a une soif de confiance et nos Eglises doivent étancher cette soif en valorisant la fidélité, le respect des engagements pris, dans le couple mais aussi dans le monde du travail ou en politique.

Une aspiration à la bienveillance.

Notre société a ouvert l’espace des libertés.

Elle a permis à l’individu de faire ses propres choix et peu d’entre nous désireraient revenir en amont. Mais le corrolaire de la liberté personnelle est la bienveillance. Comme l’écrit l’essayiste Pascal Bruckner : « Dans les époques de censure morale, il faut défendre le droit au caprice, dans les époques de permissivité le principe de bienveillance. Puisque la société a cessé de nous contraindre … c’est à chacun de s’imposer des règles. Nos meilleures armes en la matière sont l’indulgence et la délicatesse : pardonnons-nous nos faiblesses respectives, ne blessons pas ceux que nous chérissons. Rendons-leur grâce d’exister, de nous accepter tels que nous sommes »

Enfin, le désir d’espérance.

Ce désir est d’autant plus ardent que notre pays est l’un des plus pessimistes au monde, que le catastrophisme économique, politique ou écologique est omniprésent et que courent les folles rumeurs sur de soi-disant enseignements pervers assénés à nos enfants, dès l’école maternelle.

Face à ce déluge, nous devons, comme le guetteur, voir au-delà, voir plus loin, et partager notre espérance du Royaume de Dieu, la conviction que notre monde est béni par Dieu.

A quoi sert un guetteur s’il ne voit pas d’en haut ?

Dernière dimension du ministère d’Ezéchiel : avertir.

C’est le sens étymologique de « prophète » en hébreu.

« Tu écouteras la Parole qui sort de ma bouche et tu les avertiras de ma part ».

Lorsqu’un prophète annonce une catastrophe, c’est toujours dans l’espoir que le peuple change de direction et revienne à Dieu.

Pour cela, il doit donner l’alerte, avertir le peuple qu’il court à la catastrophe parce qu’il a perdu le fil de l’alliance, parce qu’il se repose sur de fausses sécurités, parce qu’il n’a plus d’idéal, d’espérance ou de cohésion.

Dans l’Ecriture, obstinément, des prophètes préviennent Israël qu’un peuple sans idéal est un peuple sans avenir, que l’idolâtrie et l’absence de justice le condamnent plus sûrement que les armées assyriennes ou babyloniennes.

Aujourd’hui, l’Eglise peut encore assumer ce rôle ; l’Eglise, c’est-à-dire nous tous.

Elle peut, elle doit avertir que la somme des égoïsmes ne fait pas le bien-être général.

Elle peut, elle doit avertir que la priorité donnée à l’épanouissement personnel et à la carrière sur la vie conjugale et familiale provoque des dégâts sur plusieurs générations.

Elle peut, elle doit avertir qu’un monde sans foi et sans amour bascule dans l’inhumain.

Elle peut, elle doit avertir du danger d’un repli sur soi xénophobe.

Elle peut, elle doit dénoncer la montée des intégrismes, l’essor de ces discours pseudo-religieux qui confondent une morale traditionnelle – en soi respectable – et une norme qui devrait s’appliquer à tous.

A quoi sert un guetteur s’il n’avertit pas ?

Chers amis, ce texte nous remet en mémoire notre responsabilité prophétique : Veiller, prévoir, alerter.

Trois verbes d’action pour cette année.

Trois pistes pour notre mission prophétique.

Amen !