Notre effort été 2012

Article France Schlumberger pour Notre Effort – 5 juin 2012

ELOGE DU JEU

 

« Pouce »

« C’est pas du jeu » !

Combien de fois ne m’est-il pas remonté de l’enfance ces expressions salvatrices, propres à arrêter le temps, lorsque le cœur bat si fort, qu’il semble battre au fond de la gorge, « c’est pas du jeu ! » et « ouff ! ». Voici que ce petit monde que nous traitons de galopins, s’arrête et réfléchit … c’était quoi la règle ? et si on reprenait autrement ? Notre monde va si vite que parfois le sang nous bat aux tempes, tant et tant que même parfois on en perd le sommeil … Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Sûrement pas le tour de la cour en scandant à plusieurs : « qui – c’est – qui – veut – jouer à la marel-leu ? » « la – la – lè – reu »… En France on prend beaucoup de tranquillisants…

Des pieds de nez au temps qui passe, voilà bien des leçons que nous pourrions conserver de l’enfance …

« Laissez venir à moi les petits enfants », disait Jésus, « et ne les empêchez pas de venir à moi ; car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent » il leur imposa les mains, et il partit de là !

-tralala-

« C’est pas du jeu » disais-je, est-ce que l’on s’arrête, nous, pour se demander qui nous court après ? ou après quoi nous courons ?

Oui, parfois le temps d’une pause, on griffonne au coin d’un papier, on réfléchit, ce petit jeu inconscient nous aide à mettre de l’ordre dans nos idées, et après on trouve une solution.

Les enfants jouent et il y a mille façons de jouer. Ils jouent à regarder leurs petites mains et en même temps ils en prennent possession, ils jouent avec leur voix, ils gazouillent, ils vocalisent, déjà ils échangent avec l’autre, ils doublent les syllabes et émerge le langage. Ils secouent hochets et médailles, cela tinte cela tintinnabule, on leur chante, ils rythment avec le dos et les petites mains et surviennent la musique et la danse. Ils remplissent des contenants, ils apprivoisent le dehors et le dedans ; ils empilent et bientôt ils construisent. Ils tendent leur petit doigt ils disent « çà » « ta » « that » « oh ! » ils sortent d’eux-mêmes comme l’escargot et entrent en relation, ils montrent ce qui les captive, ils enrichissent leur vocabulaire, ils suivent de leur petit doigt la forme et le trajet et bientôt ils dessinent. Ils tirent les cheveux … l’autre crie , il continue, il arrête, c’est selon, il se construit, il apprend la vie, il se heurte à l’autre … il jouera à la poupée ? aux voitures ? se fera un cheval d’un balai ? un papier d’emballage deviendra son déguisement ? il jouera peut-être à la dînette, à la balle, au toboggan, à cache-cache, à courir le plus vite, il dansera en musique, à plusieurs ils danseront … Saura-t-il entrer dans la danse ?

Et puis çà se complique, on peut jouer aux billes, à la toupie, se raconter des histoires à plusieurs, il y a des jeux aux règles compliquées.

Dans l’antiquité lorsqu’on devenait adulte on donnait ses jeux à la divinité : noix (= billes), osselets, poupées …

Oui le jeu est bien le propre de l’enfance et à travers lui on se construit … mais après alors, est-ce qu’on joue encore ?

J’ai demandé et regardé autour de moi, et oui, à l’âge adulte on joue encore … l’informatique est très ludique, on joue au tennis, d’un instrument de musique, les jeux de rôle ont des vertus bénéfiques en psychologie, on joue au scrabble à la belote au bridge à la pétanque ou aux échecs … On envoie encore dans le ciel des cerfs volants, nos moulins à vent font de l’électricité ; les grands-pères font des barrages sur la plage, les enfants jouent dedans ; en retrouvant l’enfance, ils distribuent leur savoir, révisent les lois de la physique, pratique ! C’est incroyable le nombre de personnes qui jouent à compter ; compter les myrtilles quand on les ramasse, compter les marches d’escalier, les haricots qu’on épluche … pour éviter de se lasser. Comme si le jeu se mettait en place pour lutter contre l’ennui, la lassitude.

Mais l’inverse est vrai ; car pour jouer il faut avoir le « cœur à cela » et on ne l’a pas toujours : jouer avec une personne âgée un peu perdue, jouer bien sûr sans vouloir la « piler » ni lui « damer le pion » en la ramenant parfois vers la règle oubliée, lui donne une sensation de bien être, une bouffée d’humour, cela réorganise, cela rend confiance.

Les enfants malades eux non plus n’ont pas parfois le « cœur à çà » et des clowns viennent les voir, je pense au « rire médecin », oui, j’en suis sûre le jeu construit, le jeu soigne, il rend hardi : « t’es cap ou t’es pas cap ? ». Il est parfois dangereux le jeu. S’il relie les générations entre elles il demande aussi que les personnes plus averties veillent au jeu des plus jeunes … s’ils en comprennent le fonctionnement, ce qui n’est pas toujours évident …

« Tu es vraiment nulle » m’a lâché ma mère de plus de 80 ans en voyant que j’avais du mal à jouer à l’informatique …

« C’est plus facile que le piano, vous savez » m’a dit mon gentil professeur …

Et j’y suis allée ! L’avantage c’est que je ne me sens plus « larguée » même si je ne suis pas une championne !

Mon jeu préféré à moi ce sera toujours de trouver des formes aux nuages et aux taches des murs … et je le partage avec mon ami Léonard… de Vinci bien entendu ! « faut pas pousser mémé dans les orties ! »

France Schlumberger