Mon maître tarde à venir

Prédication Luc 12 / 35 – 48 du dimanche 12 novembre 2017

PAROUSIE qui vient également du grec : παρουσία / parousía qui signifie, littéralement : « présence » et aussi : « arrivée », « venue ». Le mot désignait dans le monde gréco-romain la visite officielle d’un prince. Dans le vocabulaire chrétien, la parousie désigne plus particulièrement la seconde venue, le retour glorieux de Jésus-Christ à la fin des temps bibliques dans le but d’établir définitivement le Royaume de Dieu sur la terre.
Voilà donc, pour l’explication de ces « gros mots » de la théologie. Est-ce plus clair ? Est-ce que ces paraboles sont devenues plus compréhensibles ? …

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais en réunion de préparation de la séance d’École et du
Jardin Biblique (qui se déroule en ce moment même autour de ce même texte !), les catéchètes et
monitrices étaient très dubitatifs !
Qu’est-ce que nous pourrions bien en dire, qu’est-ce que nous pouvons faire de ce texte avec les
enfants ? …
Et ce ne sont peut-être pas uniquement nos enfants et petits-enfants qui auront du mal à comprendre en quoi et comment ce texte pourrait leur parler ! Cependant, je crois, que, finalement, ce n’est pas si compliqué de trouver « une clé de compréhension » de ce texte qui rejoint notre vie, notre expérience, notre existence. Et c’est au tour de deux verbes qui me paraissent être au centre, au coeur même, de ce texte. Ce sont les verbes « attendre » et « veiller ».
« Pourquoi toujours attendre ? »
J’entends encore mes enfants, quand ils étaient petits et que nous leur disions « Attends ! Le goûter, ce n’est pas tout de suite. C’est tout à l’heure ». Les parents et grands-parents le savent : les enfants ne peuvent pas attendre, tout d’abord, parce que la notion du temps n’existe pas chez l’enfant : cette notion du temps, appelée « chronos » en grec et qui désigne le temps qui passe, le temps mesurable : « On part pour la garderie dans 20 minutes! »
Si pour vous, cette phrase est très claire, car vous comprenez que vous avez le temps de plier une brassée de linge et ranger le lave-vaisselle, pour un enfant de 3 ans, c’est du chinois. En fait, il ne décode qu’un seul message : « On va partir ». Pour lui, le temps est une notion très floue et très vague. Des précisions telles que « demain », «
dans une semaine », « dans trois mois » n’ont pas davantage de sens. Il sait juste qu’elles indiquent le futur, « après », par opposition au passé, « avant ». En revanche, « l’heure d’aller au lit », « la journée avec maman », « le moment où papa rentre » seront pour lui des repères plus évocateurs, plus compréhensibles. Les enfants sont – naturellement : de naissance, en fait – dans une autre notion de temps … que nous perdons un peu en devenant adulte – et pour lequel les Grecs – et le Nouveau Testament, utilise un autre mot : le « kairos » : c’est le moment – attendu ou pas, d’ailleurs.
C’est le temps « hors temps » qui peut arriver à tout instant, quelle que soit l’année, le jour ou l’heure : le temps de la rencontre, inattendue, rencontre amoureuse ou le moment de la naissance d’un enfant, justement, qui, après s’être fait attendre 9 mois, va naître à un moment que l’on n’arrive pas à prévoir au jour, à l’heure, à la minute près…
C’est le temps que l’on passe ensemble, avec un proche, avec un ami, avec son conjoint, avec son amoureuse, son amoureux…

ET là, nous le savons tous : Ce qui compte dans ce moment-là, ce n’est pas le temps mesurable, ce n’est pas la quantité du temps, mais bien plus sa qualité – et peu importe, si cela dure quelques minutes, une journée ou un week-end :

Ce temps-là, de la rencontre avec celui ou celle que nous aimons, est plus précieux, plus important,
compte plus et nous donne peut-être même parfois l’impression d’une durée plus longue, plus
intense, en tout cas, que si nous passions la même quantité de temps tout seuls, à nous ennuyer, ou
dans la salle d’attente du médecin, dans la file d’attente du boulanger, du supermarché etc. …
Parlons-en alors un peu de ce temps d’attente, et plus particulièrement, du temps d’attente de
retrouvailles avec l’ami ou la/le bien-aimé/e … ce qui est plus particulièrement l’attente dont parle
nos paraboles : le temps de l’attente, à durée indéterminée, du « retour du maître bien-aimé »…
Comment vivre ce temps d’attente ? …
Les paraboles exhortent à une attente active :
« Restez en tenue de travail, gardez vos lampes allumées… », car, « Heureux ces serviteurs que le
maître trouvera en train de veiller ». …
Et cette promesse « Heureux », promesse de bonheur pour ceux qui attentent ainsi est répété
plusieurs fois. Promesse qui évoque les Béatitudes du Sermon sur la montagne : « Heureux les
pauvres de coeurs : le Royaume des cieux est à eux » (Mt.5,3). …
Au fond, attendre le bien-aimé, attendre un heureux événement, n’est pas du temps inutile … et
nous nous en rendons peut-être compte lorsque ce temps d’attente est considérablement réduit – ou
même supprimé – par les moyens modernes de la communication et les messages publicitaires qui
nous assènent sans arrêt avec des slogans du genre :
« Pourquoi attendre ce que l’on peut avoir tout de suite ?! »
Le temps d’attente de la rencontre, des retrouvailles avec la bien-aimée, nous remplit déjà le coeur
de joie – au-delà même de toute joie, comme le dit ce dicton allemand :
« Vorfreude ist die schönste Freude » – « La joie d’avant, la joie d’attendre est la plus belle de
joie »…
Ce temps d’attente, de la « veille » change déjà notre attitude, notre façon d’être et de vivre.
« On passe une moitié de sa vie à attendre ceux qu’on aimera et l’autre moitié à quitter ceux qu’on
aime » écrit Victor Hugo.
Et encore : »Rêver, c’est le bonheur ; attendre, c’est la vie ».
Melvin Gallant, autre écrivain, d’origine canadienne né en 1932, le confirme avec ses propres
mots : « Le temps d’attendre c’est déjà du plaisir. »
Nous trouvons, entre autres, dans les lettres de Paul, un passage qui évoque cette attente, à la fois
confiante et impatiente :
Car c’est en espérance que nous avons été sauvés. Or voir ce qu’on espère, ce n’est plus l’espérer, et
ce que l’on voit, qu’aurait-on à l’espérer ?
Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec persévérance.
Épître aux Romains 8, 24-25
Alors, pourquoi faut-il attendre ? Pourquoi le maître se fait-il attendre ?
Et si ce temps d’attente – au lieu d’être une souffrance, une malédiction – était, en réalité, un temps
de grâce, un temps qui approfondit notre foi, notre espérance et notre amour – à la lumière de Celui
qui en est la source inépuisable ? Celui qui, jadis comme aujourd’hui, s’adresse à ses disciples et à ceux qui voudraient le suivre :
« Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres ; il
aura la lumière qui conduit à la vie » (Jean 8 / 12).
Amen