Moïse et le dialogue inter religieux (9 octobre 2016)

Exode 17-18

Quand votre pasteur m’a demandé de venir vivre ce culte avec vous, il m’a aussi demandé de parler d’un sujet en lien avec la mission. Il y a plusieurs mois de cela. Depuis, plusieurs événements en lien avec la religion ont défrayé la chronique. Sans oublier ce qui se passe tous les jours en Irak ou en Syrie, je pense bien sûr aux attentats de cet été, à l‘assassinat du prêtre catholique dans son Eglise, mais aussi plus récemment aux arrestations de jeunes, dont un de 15 ans à peine, qui s’apprêtaient semble t-il à tuer pour Dieu. Cela fait naître dans notre pays toutes sortes de sentiments anti musulmans et même un sentiment contre toute religion qui n’est pas de chez nous avec tous les amalgames que vous connaissez. Au Defap, nous continuons pourtant à croire que le dialogue avec nos amis musulmans est possible. Le programme d’action 2015-2018 que les Eglises ont confié au Defap dit : « Confiants dans le message de l’Evangile, nous sommes appelés à dialoguer de façon authentique avec les personnes appartenant à d’autres religions ou celles qui n’en ont aucune, à pratiquer l’hospitalité et à témoigner humblement auprès d’elles du caractère unique du Christ. » . Mais, comme vous, au Defap nous sommes tiraillés entre la volonté de dialoguer et celle de dire « assez » ! C’était l’objet de la réflexion du Conseil du Defap qui se tenait il y a une dizaine de jours.

Pour partager avec vous un peu de notre réflexion, j’ai choisi ce texte de l’Ancien Testament que je vais vous lire et qui nous raconte l’histoire de Jéthro précédée du combat contre Amalek.

Lecture Exode 17/8 à 18/27

Je voudrais tout d’abord vous faire remarquer que ces deux textes ayant trait aux autres religions et l’attitude que l’on peut avoir à leur encontre, se situent juste avant l’alliance que Dieu va sceller avec son peuple, comme si avant de parler de l’alliance, il fallait d’abord définir la place des autres.

Avec Amaleck, nous avons la religion ennemie par excellence. Il existe, en effet, de l’inconciliable. Il y a des démarches religieuses radicalement contraires à celle de la Bible. Il faut oser le dire. Cela n’implique ni guerre, violence à leur encontre mais la reconnaissance d’un inconciliable. Dans la Bible, ces « inconciliables » tiennent plus de place que ceux avec lesquels on arrive à discuter. Il y a 4 fois plus le mot ennemi que le mot ami dans la Bible ! Amalek faisait partie de ces « ennemis ». Il faut le reconnaître, quand nos conceptions de Dieu sont radicalement opposées, quand la violence prend la place de la fraternité, le dialogue est difficile… Il est évident qu’exitent aujourd’hui des mouvements qui, comme Amaleck, se positionnent comme des ennemis.

Mais juste après Amaleck, l’ennemi, arrive Jethro. Jethro était le beau père de Moïse mais il était aussi prêtre de Madian, le représentant d’une autre religion issue d’Abraham. Madian était l’un des fils qu’Abraham avait eu avec Quetura, la femme qu’il avait prise après la mort de Sarah. La rencontre entre Jethro et Moïse est pour le moins surprenante.

Après avoir réglé quelques affaires de famille avec Moïse, Jethro reconnaît que c’est le Dieu de Moïse qui a délivré Israël de la main des Egyptiens.

Ensuite, comble de ce qui pourrait apparaître comme du syncrétisme, Jethro offre un sacrifice à Dieu avec Aaron, grand prêtre d’Israël. C’est un peu comme si un Imam ou un Rabbin venait célébrer laSainte Cène chez nous. Ils n’avaient pas la même religion mais à aucun moment, Moïse ne taxe la foi de son beau père d’idolatrie. Il la reconnaît comme valide.

Accueilli donc en tant que représentant d’une religion différente, mais qui a sa pertinence, Jethro va se permettre même de donner des conseils à Moïse en ce qui concerne l’organisation du peuple de Dieu, les ministères. Et Moïse va recevoir ces conseils. Il va les mettre en pratique. Dans le livre des nombres, nous apprenons même que la parole de Jethro était inspirée de Dieu puisque l’auteur nous dit : « Moïse rapporta au peuple les paroles du Seigneur » en faisant référence aux paroles de Jethro ! La Parole de Dieu transmise par un prêtre d’une autre religion……

Jethro est donc là, avec le peuple de Dieu, aux portes de l’alliance et ça nous arrangerait bien qu’il entre dans l’alliance, qu’il aille jusqu’au bout, bref qu’il se convertisse et qu’il rejoigne le peuple de Dieu ! Mais non, Jethro ne va pas jusqu’au bout. Il ne se convertit pas. Il reste prêtre de Madian. Juste avant de monter sur le mont Sinaï pour qu’y soit scellée l’Alliance, Moïse laisse partir son beau père. Il quitte Israël au pied de la montagne de la révélation…. Ce qu’il est important de souligner, c’est que ce départ de Jéthro à un moment aussi crucial ne remet pas en cause tout ce qu’il avait apporté au peuple de Dieu, en particulier la parole qu’il avait donnée à celui-ci concernant son organisation.

Avant que Dieu donc ne scelle l’alliance avec son peuple, nous sont données, ces deux histoires lourdes de significations : le combat contre Amaleck et l’accueil de Jéthro. Deux religions autres mais très différentes l’une de l’autre. Avec l’une, rien n’est possible. On est trop éloignés. Avec l’autre, on peut aller jusqu’à sacrifier, c’est à dire vivre un culte ensemble, on peut même recevoir une parole de Dieu par la voix de son clergé.

Voilà de quoi réfléchir, voilà de quoi poser les bases d’une théologie biblique des autres religions…. Mais n’ayez crainte, nous allons laisser le chantier ouvert !

Il va de soi que notre rôle d’Eglise ici ou dans tous les pays musulmans où le Defap accompagne des Eglises, est avant tout de prêcher l’Evangile et nous nous réjouissons chaque fois qu’un homme ou une femme entre dans le peuple de l’Alliance. Il y a aussi ceux qui comme Amalek se situent en ennemis de la foi biblique, ceux qui ont assassiné ce prêtre, par exemple. Là aussi les choses sont claires. Mais ceux qui posent question, ce sont tous les Jethros d’aujourd’hui, ceux qui sont autres tout en voulant vivre en proximité avec nous. Comment vivre la relation avec ceux qui se réclament d’une autre religion abrahamique mais restent au seuil de l’alliance sans y entrer ? Je pense à ces musulmans qui se disent  « musulman disciples de Jésus-Christ ». Dans certaines Eglises du Sénégal ou du Cameroun, ils sont nombreux. Comment accueillons nous ces hommes et ces femmes charnières, à la frontière ? Dans nos Eglises, peu nombreux sont ceux qui osent aller aussi loin que Moïse et les reconnaître comme porteurs potentiels d’une parole divine.

Jéthro est reparti. Il s’est arrêté au pied du mont Sinaï. Il n’est pas entré dans l’alliance, comme beaucoup de ceux que nous rencontrons aujourd’hui. Il n’empêche que le sacrifice qu’il a offert avec Aaron était considéré comme valide, c’est à dire adressé à Dieu et non à une idole, il n’empêche que Dieu l’a utilisé pour parler à son peuple. Pour le reste, son destin reste mystérieux, question plutôt que réponse… N’essayons pas ici d’en dire plus que le texte biblique, mais commençons par entendre ce qu’il nous dit même quand il nous dérange. Essayons d’en vivre et de le vivre. Dans le chapitre qui suit, Dieu ne va pas disserter sur le sort de Jethro, mais il va dire à son peuple : Toi, choisis la vie et sois en le témoin !

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