Mes amis, quelle éducation, vraiment quelle éducation !

LECTURES : Luc 15, 1-2 ; 11 – 32

PRÉDICATION :

Mes amis, quelle éducation, vraiment quelle éducation !

Dans cette famille monoparentale, il y a belle lurette que la DAASS aurait dû envoyer des « éducs spé » et des psychologues !

Vous rendez-vous compte, le gâchis qu’a fait ce père ?

Son fils cadet le plume, le dépouille, et son fils aîné le considère comme un tyran !

Ah, il manque vraiment une femme un peu raisonnable dans cette histoire. Ce pauvre père est complètement à côté de la plaque.

 

Et puis, l’histoire manque de morale : une parole qui donne un enseignement, une conclusion édifiante du genre « si le père accueille de nouveau son fils, c’est parce que celui-ci s’est convertit, qu’il a reconnu son péché ».

C’est vrai que ce chapitre 15 de l’évangile de Luc nous pousse sur cette pente « facile » … dans la suite logique de la parabole de la brebis perdue : il y aura plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui se convertit que pour 99 justes qui n’ont pas besoin de conversion.

Mais rien !

La parabole se termine sur le silence du fils aîné, suite à la dernière parole du père qui, non seulement, confirme l’accueil inconditionnel du fils « perdu », revenu, certes, mais non-répenti.

Et comme si cela ne suffisait pas, le père l’invite à fêter le retour de son frère ! …

 

Et on dit que cette parabole est un joyau de la Bible.

Charles Péguy disait de cette « parole de Jésus » qu’elle « a eu le plus grand retentissement dans le monde » …  : A moins d’avoir un cœur de pierre, mon enfant, qui l’entendrait sans pleurer ». …

C’est pour rire, ou quoi ? 

Vous trouvez que j’exagère, n’est-ce pas ? Parce que vous connaissez tellement bien ce récit que vous n’en percevez plus la provocation, l’ironie, le choquant. …

 

Imaginez la scène :

Jésus est en chemin, comme souvent. Des grandes foules se pressent autour de lui. Il s’arrête pour leur parler. Il raconte de petites histoires imagées. S’approchent aussi des gens pas comme il faut, des collecteurs de taxes, ces gens vraiment méprisés, moitié collabo moitié escrocs. Les pharisiens et les scribes murmurent entre eux : ce Jésus, il accueille n’importe qui.

Alors Jésus leur raconte des histoires : la brebis perdue, la pièce perdue : dans les deux cas, un homme, une femme, laissent tout pour chercher leur bien égaré. Et c’est la fête quand ce bien est retrouvé.

Morale : Jésus est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus. Ce sont les malades qui ont besoin d’un médecin, pas les bien-portants.

C’est assez simple et bien proclamé depuis des siècles de christianisme.

 

Arrive alors cette troisième parabole dite « du fils prodigue » et là, quelque chose me dit que – intérieurement – vous résistez à vous réjouir avec le père du retour du fils perdu.

Il y a quelque chose comme un malaise, un goût un peu amère qui reste sur le cœur. …

Parce que, quand même, ce cadet terrible, il a bien cherché ce qui lui est arrivé ! Qu’il rentre au bercail, soit, mais de là à faire la fête, faut quand même pas pousser !

Allez, c’est bien ce que vous pensez, quand même un petit peu… non ? …

 

Et je suis prêt à parier que vous avez même un peu de compassion pour ce grand benêt de fils aîné, qui s’est fait avoir sur toute la ligne. Il a travaillé toutes ces années et n’a jamais fait une seule fois la fête avec les copains !

Mais voyez-vous, dans cette histoire il y a des grains de sable qui empêchent d’avoir une lecture aussi simpliste des choses, il y a des détails qui clochent.

 

Un homme avait deux fils…

C’est le début de nombreux contes et fables. Dans les histoires précédentes, un homme avait 100 moutons, une femme avait 10 pièces. Ils en sont propriétaires.

Peut-on dire que l’on possède ses enfants ?

Certes non. On change là de registre.

 

Mais commençons donc cette pièce de théâtre !

 

Premier acte : le fils cadet

 

Regardons un peu ce qui se passe au moment où le cadet demande sa part. Il est apparemment dans son plein droit.

Ce sont des biens qui doivent lui revenir de toute façon.

Son attitude n’est pas nécessairement répréhensible.

Il devient adulte, autonome, et je connais bien des parents qui seraient très heureux que leurs enfants deviennent autonomes et prennent leur envol ! (…et j’en fais parti…).

Le petit clin d’œil du texte est bien caché dans les mots grecs.

Le fils réclame sa part de la fortune et son père lui donne du « bios », la vie. Rapidement, le fils dépense toute la fortune.

Entre nous, il lui reste encore la vie, que son père lui a donnée.

Et ce n’est pas sa faute si une famine survient dans le pays et met en danger sa vie !

Ce n’est pas parce qu’il a dépensé tous ses biens, ni qu’il a mené une vie dissolue que survient la famine !

C’est la faute à pas de chance.

Le garçon a faim, il va mourir de faim.

 

Et quand il repense à son père, ce n’est pas pour se souvenir de sa gentillesse, il n’a pas de remords de l’avoir quitté, lui.

Il pense simplement à sauver sa vie.

Les employés chez le père, ils n’ont pas de biens, mais ils vivent, eux ! Ils ont du pain.

Le fils revient par intérêt, absolument, intérêt pour sa vie !

On peut penser que ce n’est pas très joli.

Mais il n’y a aucun jugement moral à poser là-dessus : c’est une question de vie ou de mort, pas de morale.

Et qu’on n’aille pas mettre en avant le repentir supposé du brave garçon. Il n’est absolument pas question de repentir ici, mais de ventre affamé.

Premier acte donc : le fils cadet, entre avoirs et être.

 

Deuxième acte : le père

 

C’est là qu’on découvre la femme qui se cache dans cette histoire. Et elle se cache bien, même dans les traductions sérieuses qui ne traduisent pas sérieusement le verbe « splanknisomai ».

… « Comme il était encore loin, son père le vit et fut ému. »

Baliverne. Il ne fut pas ému !

Il eut la matrice, les entrailles retournées.

Pour un père, c’est bien étrange !

D’abord cette sensibilité qui le fait réagir alors que le fils est encore loin, ensuite la course et les embrassades.

Tout cela est terriblement féminin !

Cette attitude marque combien les discours sont inutiles.

L’état du fils montre assez qu’il est en danger de mort.

Face à cela, la perte des biens n’a aucune importance. Ça ne pèse pas un gramme dans la balance !

Le père n’a jamais été intéressé par la fortune. Seule compte, pour lui la vie, qu’il a donnée dès le début.

C’est ainsi qu’il s’exclame :

Mangeons, faisons la fête, car mon fils que voici était mort, et il a repris vie !

C’est bien là le scandale de cette histoire, ce banquet organisé pour le fils immédiatement ré-adopté, auquel le père remet en plus les fameux biens dépensés : la robe, l’anneau, les chaussures…

 

Le père est l’image de Dieu : il est celui qui donne la vie.

Peu importe les biens, ils ne pèsent rien dans la balance.

Mais savoir en qui ma vie est ancrée, sur qui elle est construite, voilà qui est le plus important.

Et s’il faut partir loin pour découvrir l’importance de cette vie et revenir à elle, alors ce voyage et la perte de tous les biens ont été absolument nécessaires. …

 

Mais une pièce compte trois actes, n’oublions pas le frère aîné !

Lui n’est pas une femme, il n’est pas ému aux entrailles.

Il n’a pas passé son temps à se faire du souci pour son frère, pour ne pas dire qu’il s’en moque… Aucune solidarité.

L’état exsangue du frérot ne le touche pas.

Mais sa réaction froide et jalouse nous permet de mieux comprendre ce que veut dire le Père :

Toi tu es toujours avec moi et tout ce qui est à moi est à toi.

On retrouve l’être et l’avoir.

Tu es avec moi, par conséquent mes biens sont à toi.

L’être est fondamental.

 

Faisons un petit bilan de notre lecture de cette parabole, « joyau » du Nouveau Testament !

Je vais vous livrer mon point de vue :

J’aimerais tellement que le fils aîné prenne sa part de la fortune et s’en aille à son tour ! Il n’y a que dans le départ vers soi-même que l’être humain peut avoir une chance de découvrir qui il est et d’où il tient sa vie.

Le voyage du cadet est devenue l’occasion magnifique de la vraie rencontre avec son être profond, seule possibilité de devenir fils d’un Dieu père.

Il faut que l’aîné parte pour comprendre combien il a toujours été aimé.

Il faut qu’il connaisse la famine pour apprendre ce qu’est la vie et la fête.

 

Alors frères et sœurs, quand parmi nous arrivent des hommes et des femmes qui ont pris de nombreux chemins de traverse avant de s’asseoir sur ces bancs, ne prenons pas un air de commisération, ne fronçons pas les sourcils à l’écoute d’un passé de patachon. Réjouissons-nous et faisons la fête, car Dieu se laisse trouver dans des chemins creux et mal famés !

C’est la famine qui fait naître la faim du pain véritable.

Amen.

Pasteur Andréas Seyboldt