Les petits et le jugement dernier

Dimanche 14 avril 2013

Texte biblique : Matthieu 25,31-46

« Il viendra de là pour juger les vivants et les morts ».

Lorsque nous partageons ainsi notre foi, en disant le « symbole des apôtres », nous avons du mal avec cette phrase.

« Il viendra de là pour juger les vivants et les morts ».

Comment imaginer que le Christ nous convoque à un tribunal, accepte les uns et rejette les autres ?

Comment imaginer que celui qui nous exhorte à nous aimer les autres et à pardonner à ceux qui nous ont fait du mal, condamne certains à l’enfer ?

Comment imaginer qu’il introduise une relation fondée sur la peur ?

Les artistes ont joué sur ce réflexe, de Léonard de Vinci à Jérôme Bosch, en passant par les sculpteurs de ces linteaux d’églises où l’on voit le Christ trier entrer les « sauvés » et les « perdus », et des diables fourchus agripper les condamnés.

Enfin, le jugement dernier nous pose particulièrement problème à nous, protestants : si Dieu nous aime comme nous sommes, gratuitement, si nous sauvas par grâce, comment croire au jugement dernier et à une condamnation éventuelle ?

Et pourtant !

Lorsque nous proclamons ensemble le symbole des apôtres, chacun de nous affirme : « Christ viendra de là (le ciel) pour juger les vivants et les morts ».

Pour juger les vivants et les morts !

D’ailleurs, Jésus, lui-même, a annoncé ce jugement.

Alors, quel sens donner au jugement dernier ?

Comment peut-il nourrir notre foi ?

Lorsque Jésus parle du jugement dernier, il est àJérusalem.

Il sait qu’il va bientôt être arrété.

L’heure n’est donc plus aux allusions, aux signes ambivalents ou aux demi-mesures.

D’ailleurs, autour de sa personne, les positions se sont radicalisées.

Il y a ceux qui prônent une foi centrée sur la piété et le respect littéral des règles de pureté et puis il y a ceux pour qui seuls les actes comptent.

Il y a les adeptes d’un Dieu bon et miséricordieux et ceux qui annoncent un jugement radical.

Aujourd’hui encore, nous retrouvons, parmi les chrétiens, de semblables lignes de démarcation : la piété ou les actes, la vie céleste ou l’existence présente, le pardon ou le jugement.

Alors, à eux comme à nous, Jésus raconte la parabole dite « des brebis et des boucs ».

C’est une parabole donc une histoire, pas une description réaliste.

Jésus n’écrit pas le « guide Michelin » du jugement dernier. Il raconte une parabole, plus proche du conte que du comte-rendu scientifique.

Pourquoi aborde-t-il ce sujet, si peu présent par ailleurs dans son enseignement ?

Jésus est un remarquable pédagogue.

Il part des attentes et des questions de ses contemporains, puis il les réoriente.

Aujourd’hui, il partirait de notre désir de développement personnel ou de notre peur du déclassement.

A son époque, l’une des grandes questions est le jugement dernier.

Les contemporains de Jésus attendaient avec impatience qu’à l’occasion du jugement dernier, Dieu rétablisse la justice, récompense les justes et châtie les païens.

Pourquoi une telle attente ?

Pourquoi, aujourd’hui encore, certains attendent le jugement dernier ?

Chacun le constate : la justice ne règne pas sur terre.

Certains hommes sont accablés par les malheurs tandis que d’autres sont des privilégiés de l’existence ; pire encore, des bourreaux meurent paisiblement dans leur lit alors que des gens remarquables souffrent.

Alors, ce serait vraiment trop injuste si Dieu ne compensait pas cette injustice par un jugement, si les pauvres n’étaient pas relevés et les puissants rabaissés, les hommes bons récompensés et les êtres malfaisants punis.

Pour les juifs, ce jugement ne serait pas conduit par Dieu lui-même ; il serait sous la responsabilité du « Fils de l’homme », un homme donc, mais totalement transparent à Dieu, et donc apte à juger les hommes.

Jésus connaît cette attente et il l’assume.

Il fait même davantage : il s’identifie au Fils de l’homme.

Parce qu’il est le Christ, parce qu’il est la Parole de Dieu, parce qu’il est le Fils unique de Dieu, il jugera les humains.

En affirmant qu’il sera le juge, Jésus modifie complètement notre regard sur ce jugement.

En effet, annonce-t-il par ailleurs, « le Fils de l’Homme est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus ».

Autrement dit, il y aura bien un jugement mais celui qui va vous juger, c’est celui qui vous sauve, celui qui vous délivre, celui qui vous veut du bien, celui qui vous aime, celui qui vous pardonne.

Pour lui, il n’y a aucune contradiction entre juger et pardonner.

Rappelez-vous sa rencontre avec la « femme adultère » !

Cette femme est clairement coupable, Jésus constate sa culpabilité, il lui demande de ne plus pécher, mais il lui dit : « Moi non plus , je te condamne pas ! ».

Ainsi, il juge, il déclare éventuellement coupable mais il ne prononce pas de condamnation.

Il fait grâce.

Dans ces conditions, si chacun est finalement gracié, à quoi sert le jugement dernier ?

Le jugement dont Jésus parle n’est pas un procès avec condamnation à la clé, mais la relecture de notre vie, sous la lumière de l’Evangile.

Au terme de notre vie, sous l’éclairage du Christ, nous relirons notre vie et apparaîtront nos zones d’ombre et nos tâches de lumière.

Nous découvrirons alors la vérité sur notre vie ; nous saurons, ce qui a eu du poids, du sens.

Et le risque que nous courrons, ce n’est pas de griller éternellement sur un barbecue diabolique; c’est de découvrir que nous sommes souvent passés à côté de la vie, à côté de l’essentiel.

Pour nous éviter cela, Jésus désigne cet essentiel : l’essentiel, c’est mon attitude vis-à-vis de ces « plus petits d’entre mes frères ».

Qui sont ces « plus petits » ?

Le judaïsme en dressait la liste : il y avait les malades, les prisonniers, les orphelins, les étrangers, les pauvres…

Jésus reprend librement cette énumération.

Aujourd’hui comme hier, le « petit », c’est la personne dépendante, celle qui ne peut s’en sortir seule : parce que les contraintes qui pèsent sur elle sont insupportables ou parce qu’elle n’a pas, les ressources intérieures pour s’en sortir.

Ainsi, le « petit », ce peut être l’étranger, la personne âgée, le solitaire ou le malade, ce peut être celui qui crève du chômage ou de la dépression, celui qui souffre du racisme ou de l’insécurité, ce peut être l’enfant qui manque de confiance en lui.

Enfin, le « petit », ce peut être chacun d’entre nous, à un moment donné de notre existence.

Ce sont ces « petits » que Jésus nous exhorte à rencontrer et aider, si possible efficacement et intelligemment.

L’enjeu est crucial : aider le « petit » devient le critère principal de ma vie.

La question n’est donc pas seulement morale ou diaconale, elle est aussi spirituelle.

Lorsque je me mets au service d’un de ces « petits », je me tourne vers le Christ.

Lorsque je ne le fais pas, je rejette le Christ.

« Chaque fois que vous aurez servi l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’aurez fait ».

Ainsi, je le crois, la seule condamnation à craindre n’est pas une punition éternelle mais la découverte que nous sommes trop souvent passés à côté de ces « petits » à servir et à aimer.

Pour aider ses interlocuteurs à le comprendre, Jésus emploie une image qui nous gêne beaucoup aujourd’hui : l’image de la « géhenne », ou « du feu qui ne s’éteint jamais ».

Pourtant, là encore, la géhenne n’est pas l’enfer, dans lequel un dieu sadique nous ferait rôtir ; la « géhenne » est un lieu géographique.

« Géhenne » veut dire en hébreu « vallée du Hammon ».

Dans cette vallée, à proximité de Jérusalem, il y avait une décharge publique et un feu y brûlait en permanence pour éviter les infections.

Etre symboliquement jeté dans la géhenne, c’est découvrir que sa vie n’a pas été plus utile aux yeux de Dieu qu’un objet que l’on abandonne parce qu’il ne sert à rien.

Ainsi, il s’agit moins de craindre l’enfer que de prendre au sérieux notre vie.

« Chaque fois que l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ». Amen !

Pour prolonger cette prédication, je vous invite à prendre quelques minutes pour réfléchir à deux questions, très concrètes : dans notre vie d’Eglise et d’Entraide, quels seraient les petits à aider en priorité ? Et, deuxième question, y a-t-il quelque chose que je pourrais faire personnellement ?

Un petit papier va vous être distribué. Vous pourrez y noter une idée et le mettre dans la corbeille au moment de la collecte pour l’Entraide. Si vous le souhaitez, vous pouvez mettre votre nom et/ou coordonnées