Les deux fils perdus et retrouvés (Luc 15, 11-32)

Texte biblique : Luc 15, 11-32

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Qui est Dieu pour nous ?

Quelle image avons-nous de Lui ?

Au cours d’échanges ou d’entretiens, j’entends parfois les propos suivants : « Dans la religion, ce qui est important, ce sont les valeurs qu’elle véhicule » ; j’entends aussi : « Je crois qu’il existe une force au-dessus de moi, mais je ne crois pas que Dieu s’intéresse personnellement à moi » ; ou, à l’inverse : « Dieu nous juge ».

Enfin, dans la plupart des religions, une idée domine : notre vie est écrite à l’avance.

Dieu tirerait les ficelles comme un marionnettiste manipule ses créatures.

Ainsi, Dieu serait, au choix, un manipulateur, un juge ou une force cosmique sans prise sur notre réalité

Nous serions donc, au choix, prisonniers du destin, scrutés, jugés ou abandonnés.

Comment, dans ces conditions, ne pas se sentir écrasés, anxieux ou impuissants ?

Questions sur Dieu. Questions sur nous.

Que faisons-nous de notre vie ?

Comment lui donner du sens, du poids ?

Moins que jamais, la philosophie semble capable de répondre à ces questions ; pire encore, les frontières sont de plus en plus floues entre l’humain et la machine.

Qui est Dieu pour nous ?

Qui sommes-nous ?

Devant ces questions vertigineuses, nous avons la chance inouïe de pouvoir nous tourner vers Jésus.

Lorsque l’Eglise dit, dans son langage théologique, que Jésus est à la fois vrai homme et vrai Dieu, elle signifie par là que Jésus nous éclaire et sur nous et sur Dieu.

Jésus est le chemin qui nous conduit à Dieu et à nous-mêmes.

Ainsi, lorsque nous avons le sentiment que nos repères vacillent et que nous ne savons plus très bien qui nous sommes et qui est Dieu, nous pouvons nous tourner vers Jésus-Christ, sa vie, ses rencontres, son enseignement, et notamment cette parabole.

Remettons-nous son contexte en mémoire.

Au fur et à mesure que Jésus enseigne et guérit, il attire à lui les personnes exclues par le pouvoir religieux ou politique.

Il y a, parmi eux, des femmes, méprisées et humiliées.

Il y a également des collecteurs d’impôts, triplement rejetés : comme … percepteurs, collaborateurs des Romains, impurs religieusement.

Au lieu de chasser ces femmes et collecteurs d’impôts, Jésus les accueille et les invite à partager un repas, signe de leur accueil spirituel.

Les scribes et les pharisiens s’indignent de cette ouverture.

Alors, aux uns et aux autres, aux pécheurs comme aux pharisiens, Jésus raconte trois paraboles, trois illustrations de la bonne nouvelle, trois façons de dévoiler Dieu.

Par la parabole de la brebis perdue, Jésus évoque un Dieu à la recherche des égarés et des blessés par la vie.

Par la parabole de la pièce perdue, il leur parle d’un Dieu qui nous cherche.

Dans notre parabole des deux fils, Jésus révèle que Dieu nous aime sans condition.

Le début de cette histoire résonne étrangement : le fils cadet annonce à son père qu’il quitte le domicile familial. Il exige de surcroît la moitié de l’héritage.

Cette demande est contraire aux usages de l’époque, aux usages de n’importe quelle époque.

La loi juive n’autorise le partage de l’héritage, avant la mort du père, que sous des conditions très strictes. Il faut que le père soit gravement malade ou menacé ; et il doit pouvoir jouir de ses biens jusqu’à sa mort.

Toutes les règles juridiques sont donc enfreintes.

Toutes les coutumes sociales le sont également.  

Ainsi, le père devait refuser de laisser partir son fils et plus encore, de lui donner la moitié de ses richesses.

Le père le pouvait, le père le devait, mais il ne le fait pas.

Il ne s’oppose pas à son fils et lui donne même les moyens de son autonomie.

Première leçon de ce texte : Dieu ne contraint pas.

Le marionnettiste manipule, le juge sanctionne ; parce qu’il n’est ni l’un ni l’autre, Dieu nous laisse libres : libres de venir à lui et libres de le quitter, libres de le suivre et libres de lui tourner le dos.

Nous nous demandons parfois pourquoi notre monde est ainsi, pourquoi notre vie est si décevante, pourquoi Dieu semble « laisser faire ».

Jésus nous répond : Dieu nous laisse libre parce qu’il nous aime.

Car, et les parents le savent bien, il faut beaucoup aimer ses enfants pour les laisser se heurter à la vie, plutôt que de les protéger.

Seconde bonne nouvelle : Dieu laisse partir ses enfants mais il guette leur retour.

Nous imaginons volontiers un Dieu impassible.

Ici, le Dieu de Jésus-Christ s’inquiète pour nous, s’attriste lorsque nous nous perdons et se réjouit lorsque nous revenons à lui.

Il ne réagit ni comme un monarque lointain ni comme un comptable mais comme un père ou une mère, qui espère, qui s’engage, qui attend.

Dans la parabole, le père voit de loin son fils sur le chemin de retour, il se précipite vers lui, il lui ouvre ses bras et sa maison ; il lui fait mettre l’anneau, la robe et les sandales.

Là encore, il n’agit pas conformément à la tradition de son époque ; Il aurait dû mettre son fils à l’écart jusqu’à ce que dernier ait remboursé ses dettes.

A tout le moins, et c’est ce que j’aurais fait, il aurait pu le sermoner.

Seulement, Dieu ne nous met jamais à l’écart, quoi que nous ayons fait.

Il ne nous demande même pas de payer le prix de nos erreurs, que ce soit sous forme de rites, d’argent, de prière ou de souffrances endurées.

Il n’est pas le Dieu de la dette mais de la grâce.

C’est ce que n’a pas compris le fils cadet.

Il quitte son père dans l’espoir de posséder … ce que son père mettait à sa disposition. Et au retour, il espère, au mieux, devenir l’un de ses employés.

Le fils aîné n’a pas davantage compris.

Il a joué le rôle du « bon élève », de « l’enfant modèle », du croyant pieux, du bon citoyen, celui qui respecte les règles, qui se dévoue, qui se sacrifie.

Seulement, comme le prouve sa réaction indignée à la fin de la parabole, il a agi sans l’attente d’une récompense, matérielle ou symbolique.

Comme le fils cadet, il est dans une logique du devoir et du mérite.

Il est notre reflet.

Il est le reflet de ces enfants qui croient pouvoir mériter l’amour de leurs parents.

Il est le reflet de ces parents qui estiment que leurs rejetons leur doivent quelque chose : « Après tout ce que j’ai fait pour toi ! ».

Il est le reflet de ces croyants qui se pensent plus près de Dieu que les « autres ».

Il est le reflet de ces citoyens qui se croient meilleurs citoyens que les autres car ils mangent bio et circulent en vélo électrique.

La parabole devrait s’appeler « les deux fils perdus et retrouvés ».

Perdus car tous deux se sont égarés, loin de l’amour du père, loin de la grâce ; retrouvés car, à l’un comme à l’autre, le père dit son amour.

 » Mon fils que voici était mort et il est revenu à la vie » dit-il à son fils cadet.

« Tout ce qui est à moi est à toi » dit-il à son fils aîné.

Quelle que soit notre personnalité, nous avons notre place dans la maison du Père. Nous pouvons donc faire nos choix de vie, les assumer, sans jalousie ni ressentiment et revenir nous réjouir, auprès de Dieu, avec nos frères de chair et d’esprit.

Amen