Le voile du deuil

le 15 octobre 2017 Culte pour les endeuillés

Le voile du deuil

Esaïe 25 v 6 à 9

« Sur le mont Sion, le Seigneur de l’univers offrira à tous les peuples un banquet de viandes grasses arrosé de vins fins — des viandes tendres et grasses, des vins fins bien clarifiés —. C’est là qu’il supprimera le voile de deuil que portaient les peuples, le rideau de tristesse étendu sur toutes les nations. Il supprimera la mort pour toujours. Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages. Dans l’ensemble du pays, il enlèvera l’affront que son peuple a subi. Voilà ce qu’a promis le Seigneur. On dira ce jour-là : « C’est lui qui est notre Dieu. Nous comptions patiemment sur lui et il nous a sauvés. Oui, c’est dans le Seigneur que nous avons mis notre espoir. Quelle joie, quelle allégresse de l’avoir comme Sauveur ! »

Chers amis,

Il y a parfois des coïncidences significatives, qui font sens. C’est le cas aujourd’hui avec ce passage du prophète Esaïe.

Nous sommes rassemblés ce matin pour un culte, un culte par nature, par définition même, ouvert à toutes et à tous. C’est à dire ouvert à tous les membres de notre communauté ; une place leur est toujours réservée. Mais ouvert aussi à tout être humain, chercheur de Dieu, chercheur de sens, chercheur de relations humaines, chercheur de vie communautaire. Un culte donc public, tout public, d’où nos portes ouvertes, pas seulement pour des questions de sécurité, d’où l’affichage extérieur, nous n’avons rien à cacher ! Mais ce culte est comme vous le savez tout spécialement destiné aux familles et personnes endeuillées de l’année écoulée. Elles ont reçu une invitation particulière. Et voilà que parmi les trois textes de ce dimanche proposés aux différentes Églises chrétiennes, il y a ce beau passage du prophète Esaïe, porte-parole de Dieu et en particulier cette promesse à accueillir, à comprendre, à saisir. Parlant de l’Éternel Dieu, le prophète dit : » C’est là qu’il supprimera le voile du deuil que portaient les peuples et le rideau de tristesse étendu sur les nations ».

 « Il supprimera le voile de deuil ».

Lorsque le prophète évoque ce voile, assurément il pense à toutes les habitudes et tous les rites funéraires qui avaient cours à son époque, dans le peuple d’Israël, lors d’un décès. Dans la Bible, plusieurs pratiques sont mentionnées. En signe de tristesse et de désolation, on peut se couvrir la tête de terre et de cendre. On peut aussi déchirer ses vêtements ordinaires, se frapper la poitrine et porter un sac à étoffe grossière, pendant plusieurs jours. On cite aussi fréquemment le port d’un voile sur la tête. Des pratiques, des usages divers selon les époques, les cultures mais qui aussi, d’une certaine manière se recoupent et se retrouvent. Le port d’un voile noir était une pratique courante, il y a quelques dizaines d’années en France et particulièrement dans nos campagnes. Se voiler pour se retrouver soi-même, se protéger du monde extérieur, s’isoler de son entourage. Se voiler pour signaler aux autres un deuil récent et en appeler à une retenue et à une attention. Une telle pratique vestimentaire aujourd’hui est de plus en plus rare. Est-ce dû à une société contemporaine de plus atomisée et anonyme ?

Lorsque le prophète Esaïe, en son temps, parle d’un voile de deuil, peut-être, pense-t-il aussi à ce voile de tristesse et de peine qui s’installe dans le regard et le cœur d’une personne endeuillée.

Un être aimé, proche est parti, parfois brutalement, trop brutalement, ce qui suscite révolte et incompréhension ; parfois, après une maladie douloureuse et éprouvante, parfois après une longue existence, en étant rassasié de jours. Pour celle ou pour celui ou pour ceux qui restent, la vie devient comme voilée. Même la grande et éclatante lumière de chaque jour est regardée avec un voile opaque fait de tristesse, de peines et de chagrins.

Le voile intérieur empêche alors de voir autour de nous les appels à la vie qui nous sont adressés. Nous devenons aveugles aux marques et aux témoignages d’affection et d’espérance. L’horizon devient incertain. C’est le voile du deuil qui assombrit alors le chemin de l’existence et qui aura besoin de temps, pour peu à peu laisser passer à nouveau la lumière de la confiance, la lumière de l’espérance, pour laisser place à la joie, à l’envie de vivre au goût de vivre encore et toujours mais autrement, en l’absence de l’être aimé.

Faire son deuil, pour que peu à peu ce voile disparaisse, quand il disparaît, ce qui n’est pas toujours le cas. Le docteur Élisabeth Kübler Ross qui a beaucoup écrit autour du deuil et de la mort, met en évidence sept étapes de ce long chemin de deuil, pour faire son deuil : ceux du choc, du déni, de la colère, de la tristesse, de la résignation, de l’acceptation et celui de la reconstruction.

Dans ce long et progressif dévoilement qui fait retrouver la vue, la vie, Dieu est à l’œuvre. Telle est l’assurance du prophète Esaïe ; telle est la promesse qui est faite ; Il supprimera, parlant de Dieu, le voile du deuil que portaient les peuples et le rideau de tristesse étendu sur les nations.

En fait, rien d’étonnant à ce que le prophète Esaïe s’exprime ainsi, lui dont le nom signifie : Dieu sauve, Dieu libère ». Il est le prophète de la consolation, de l’espérance ; appelé parfois même « l’évangéliste du 1er Testament » car porteur de bonnes nouvelles.

On peut penser qu’il s’adresse à un peuple en détresse, dans le désarroi, encore en exil à Babylone, loin de Jérusalem, encore en plein chaos car se sentant abandonné à son triste sort, en perte de vitalité, en perte de repères. Ni terre, ni temple, ni lieu où reposer sa tête.

C’est alors que Esaïe se montre visionnaire. Il annonce non seulement un redressement, un relèvement de ce peuple qui a le sentiment de mourir, de s’éteindre peu à peu mais il entrevoit un grand rassemblement de tous les peuples. Dans le proche Orient de son époque, où guerres et conflits se succèdent, malheureusement il en est encore de même aujourd’hui, il voit, il entrevoit, il espère une vie pour tous, une réconciliation pour tous les peuples.

« Il offrira, dit-il, à tous les peuples un banquet de viandes grasses arrosé de vins fins, des viandes tendres et grasses, des vins fins bine clarifiés »

Un somptueux et grand repas ouvert à tous. Symbole et image de la vie, de la vie en plénitude, là où il n’y a plus de place pour le deuil, ni la mort. Au travers de ce repas symbolique qui dit une grande espérance le voile du deuil est supprimé, la mort même est supprimée. Le grand repas est l’image même de la vie qui triomphe, qui prend le dessus sur la mort.

 Grand message d’espérance à dimension, font remarquer les exégètes, apocalyptique, c’est à dire de dévoilement visionnaire sur l’avancée de l’histoire humaine, mais aussi à dimension messianique, c’est à dire de préfiguration du Royaume de Dieu manifesté en Jésus-Christ.

Grande espérance qu’il ne faudrait pas repousser à la fin des temps, ni à l’achèvement de l’histoire. Ce grand repas de réconciliation, de victoire de la vie de Dieu sur la mort, sur nos deuils, nous pouvons déjà le vivre en partie au quotidien.

 

Et ce n’est pas pour rien que le prophète Esaïe dans sa vision, rapproche très étroitement, disparition du voile de deuil et participation au repas. Dans cette association qui peut paraître surprenante voire incongrue, que le prophète Esaïe propose, entre repas et le fait de faire son deuil, je vois trois pistes possibles pour nous de réflexions, d’appropriations, complémentaires les unes des autres. Nous terminerons par là.

La première ; qui dit repas dit souvenirs. Souvenirs de tous ces moments partagés avec ceux qui nous ont quittés et dont nous avons d’ailleurs souvent des photos souvenirs.

 Le repas devient alors la figure même, l’image même de ce qui a été vécu avec ceux qui ne sont plus. Nous étions là autour de la table avec eux, proches les uns des autres pour des moments forts d’anniversaire, de naissances, d’événements joyeux ou plus tristes. Ensemble, avec eux dans la proximité, le partage, l’échange pour des moments d’amitié, de profondes compréhensions, de joies pleinement vécues. Le repas plutôt les repas correspondent alors à tous ces souvenirs précieux à garder en mémoire, dans la reconnaissance. Moments où nous avons reçu d’eux, où nous leur avons donné. Nous rappeler ce qu’ils ont été pour nous et ce qu’ils restent pour nous. Nous rappeler ce que Dieu nous a donné de vivre avec eux. Nous rappeler du passé dans le pardon et la reconnaissance, c’est assurément faire un grand pas sur le chemin du deuil, c’est assurément, sans oublier nos êtres aimés d’autrefois, lever le voile du deuil pour être conduits vers l’apaisement et à nouveau vers la vie.

Après cette première perspective qui nous tourne vers le passé, sans en restés prisonniers, il y a un regard à porter sur le présent. Le repas symbolise aussi le lieu de la rencontre avec les autres. Il est tout le contraire d’une vie qui se déroulerait dans le recroquevillement sur soi-même et dans la solitude de la tristesse. Bien plus que d’être simplement côte à côte, il est ce lieu par excellence du partage. Partage de la parole, par des dialogues échangés, par l’écoute mutuelle, partage de la nourriture préparée. Le repas est un lieu de vie communautaire, un lieu d’humanité. Prendre le chemin du repas, c’est prendre, reprendre le chemin de la rencontre avec les autres, le chemin de la vie. C’est quitter la solitude du deuil pour se laisser emporter par les autres rencontrés, par la vie, pour se laisser surprendre par l’imprévu, l’imprévisible, les routes nouvelles que Dieu réserve.

Les autres à retrouver, à rencontrer, à aider que Dieu met sur nos routes, constituent autant d’appels à la vie qui nous feront quitter le voile du deuil.

Après les repas du passé, après les repas du présent, enfin un dernier repas qui rassemble les trois dimensions tout à la fois du passé, du présent et de l’avenir. Un dernier repas qui est le dernier repas que Jésus prend avec ses disciples et qui est celui que nous allons prendre tout à l’heure au travers du repas de la cène.

Il est appelé communion car il nous met en communion avec Celui qui a traversé la mort, déchiré le voile du deuil pour laisser entrevoir la lumière de la résurrection, la lumière de l’espérance.

 Il est appelé communion car il nous met en communion les uns avec les autres, nous rassemblant par le Christ vivant dans la grande famille de Dieu, sans frontières, nous plaçant tous au bénéfice d’un même amour. Un grand repas pour tous, à l’image du grand banquet du prophète Esaïe par lequel nous sommes invités à vivre déjà de la victoire de la vie de Dieu sur la mort, sur nos deuils, sur tout ce qui est mortifère. Un grand repas, repas de la Cène qui est communion.

Il nous met en communion par le Christ dans la reconnaissance avec tous ceux qui nous ont précédés et dans l’espérance pour eux aussi d’une vie en Dieu plus forte que la mort.

Chaque dimanche, au travers du repas de la cène qui nous est offert, Dieu par le Christ vivant vient supprimer le voile de deuil que nous portons et le rideau de tristesse qui est sur nous.

Qu’il nous rende ainsi tous, participants à ce repas de la vie, au repas de Celui qui est le premier d’entre les morts, le Ressuscité, le Vivant.

Oui, Seigneur apaise notre peine, Donne-nous de trouver le chemin de la confiance, celui de la vie que tu veux pour nous.

Amen

Pasteur Denis Heller