Le monde d’après (Jérémie, les attentats et la cop 21)

  1. Dimanche 29 novembre 2015

Texte biblique : Jérémie 29,1-11

Nous sommes entrés dans le « monde d’après ».

Qui aurait pu penser, il y a trois semaines, que nous vivrions en état d’alerte, que des centaines de perquisitions se dérouleraient pour trouver des armes et des ceintures d’explosifs ?

Image plus anecdotique et souriante : qui aurait pu penser, il y a 3 semaines, que les supporteurs anglais chanteraient la Marseillaise et que les paroles de celle-ci seraient mises en première page des quotidiens anglais ?

Nous sommes choqués, peinés, inquiets, parfois en deuil.

Nous sommes également tourneboulés par une quantité phénoménale d’informations qui défilent sur l’avancée des enquêtes, la formation des imams, le blocage des frontières, le salafisme, la guerre contre l’État islamique.

Nous réalisons que nous devrons nous habituer à ce nouveau monde et, peut-être, à une nouvelle façon de vivre.

Devant ces bouleversements, la tentation est forte de nous replier et de rêver à ces temps mythiques où la vie était plus rassurante, les frontières mieux gardées et les guerres exotiques.

Nous ne sommes pas les seuls à céder à ce sentiment.

Un autre peuple l’éprouvait, plus fortement encore.

Il vivait, il y a 2500 ans, à Babylone.

Israël venait de basculer en exil, les armées babyloniennes venaient de détruire le Royaume de Juda, mettant à sac Jérusalem, déportant les élites.

Pour ces juifs, exilés à 1500 kms de chez eux, le bouleversement était complet : ils avaient perdu leur pays, leur Temple, leur liberté, leur travail.

Dieu même semblait les avoir abandonnés.

Ils refaisaient le trajet d’Abraham, mais cette fois dans l’autre sens, de la terre promise à Babylone le pays d’Abraham, comme si l’histoire revenait en arrière, comme si la rivière remontait son cours.

Comment accepter pareille épreuve ?

Pour le peuple, l’Exil est un choc.

Alors, une double tentation se présente au peuple, une double tentation qui peut devenir la nôtre, une double tentation que Jérémie combat au nom de la Parole de Dieu.

Première tentation, la « tentation du saumon ».

Le saumon a une particularité : lorsqu’il est jeune, il suit le courant. Puis, devenu âgé, il s’efforce de le remonter pour revenir à la source, à l’endroit d’où il est né.

Ce qui est naturel pour un saumon est folie pour un homme ou pour un peuple.

La vie ne revient jamais en arrière.

Les exilés de Babylone ne reprendront jamais leur vie d’avant, même lorsque, des décennies plus tard, leurs descendants retourneront à Jérusalem.

Quant à nous, nous ne retournerons jamais dans le monde des 30 glorieuses, ni dans celui des frontières nationales, du franc et des colonies.

Nous sommes, pour le meilleur et pour le pire, entrés dans un monde mouvant, globalisé, multiculturel, multireligieux.

De même, notre existence personnelle ne remontera pas son cours.

Dans une nouvelle d’Edgar Poe, les humains sont frappés par une étrange malédiction.

Dès qu’ils vivent quelque chose pour la dernière fois de leur existence, un corbeau s’approche d’eux et leur dit : « Never more », « plus jamais ».

Peu à peu, les hommes sont tétanisés par la nostalgie et le sentiment de la mort et n’osent plus vivre.

Jérémiie chasse cette tentation mortifère. 

L’autre tentation, pour les exilés de Babylone comme pour nous : la tentation de l’autruche, tentation qui consiste ne pas prendre au sérieux la réalité et à fuir dans les rêves, les illusions, les nostalgies.

Certains juifs veulent croire que l’exil ne durera pas, que d’ici peu tout redeviendra comme avant.

Un Général propose même à Baruch, le scribe de Jérémie, de fuir en Egypte, et de reconstituer une armée assez forte pour battre Babylone.

« N’y songe plus » dit le Seigneur.

Et il annonce par la bouche de Jérémie que l’exil va durer longtemps, 70 ans.

Autrement dit, aucun exilé ne remettra les pieds sur la terre d’Israël.

Cet avertissement du prophète Jérémie nous concerne tout particulièrement aujourd’hui.

Nous aimerions croire que la guerre contre Daech sera bientôt gagnée, que les terroristes ne sont qu’un petit groupe isolé vite arrêté, que les mesures de sécurité nous protégeront des futurs attentats et que notre « vivre ensemble » sera de nouveau apaisé.

« Ny songe plus » nous dit Jérémie.

La lutte contre le terrorisme islamique, l’adaptation de l’islam à la culture démocratique, un dialogue religieux exigeant, mais aussi la lutte contre l’échec scolaire et le chômage massifs, l’apaisement des conflits au Proche-Orient ou au Sahel , la crise climatique : tout cela prendra du temps et les 70 ans cités par Jérémie sont peut-être une bonne échelle du temps nécessaire.

Comme tous les prophètes authentiques, Jérémie déracine les illusions pour, dans un second temps, planter l’espérance.

Après avoir annoncé que le retour au monde d’avant est impossible, il annonce une première bonne nouvelle : « Construisez des maisons et habitez-les, plantez des jardins et mangez-en les fruits, prenez femme et ayez des garçons et des filles, soyez soucieux de la prospérité de la ville, intercédez pour elle auprès du Seigneur ».

En substance, Dieu demande à son peuple exilé de vivre là où il est, d’avoir des projets d’avenir, de s’investir pour la prospérité de la société, hier comme aujourd’hui.

Au lieu de regretter le monde d’avant, au lieu d’attendre que les crises se résorbent d’elles-mêmes, nous sommes appelés à vivre, à aimer, à travailler, à nous former, à prier, et à nous investir: dans l’éducation de nos enfants, dans la prospérité économique, dans les relations humaines, dans le dialogue inter-religieux, dans l’accompagnement de ceux qui souffrent.

Il est nécessaire de préparer l’avenir plutôt que de le craindre ou de se rémémorer le passé ; nécessaire et possible car, et c’est la seconde bonne nouvelle, cet avenir ne repose pas sur nos seules épaules.

Il est porté par Dieu et ses promesses : « Je sais les projets que j’ai formés pour vous, des projets de paix et non de malheurs, pour vous donner un avenir et une espérance. Vous me chercherez et vous me trouverez ; lorsque vous me cherchez de tout votre cœur, je me laisserai trouver par vous, parole du Seigneur ».

Chers amis, je ne sais pas à quoi ressemblera le monde qui nous entoure dans 10, 20 ou 50 ans… pas même en 2016.

Je ne sais pas où en sera ma vie personnelle dans six mois ou dans six ans.

Par contre, je sais que Dieu sera là, qu’il aura, pour nous, des projets de bonheur et qu’il appellera à son service des hommes et des femmes pour que ce projet se réalise.

Alors, n’ayons pas peur de l’avenir !

N’ayons pas peur des bouleversements et des défis qui nous attendent !

Nous ne sommes pas des autruches vivant dans la peur et le déni .

Nous ne sommes pas davantage des saumons qui s’épuisent à remonter le courant.

Nous sommes des chrétiens qui se savent portés par cette promesse : « Je vais vous donner un avenir et une espérance ».

Amen