Le Décalogue

Dimanche 17 mars 2019

au Centre 72, Bois-Colombes

Lectures :

Exode 3 / 1 – 15 ; Deutéronome 5 / 6 – 22

Prédication :

Le Décalogue, c’est un des passages les plus lus et connus de notre Bible, bien au-delà de nos cultes et de nos Eglises. Durant les quelques 3000 ans que ces Dix Paroles ont été conservées et transmises, ils ont été lus et interprétés de multiples manières. Ils ont inspiré de multiples œuvres littéraires et artistiques.

La raison pour laquelle ils sont 10, et non pas 12, ou 9 ou 7, est sans doute lié au fait qu’ils se laissent mieux mémoriser ainsi : chaque être humain a dix doigts et dix orteils. Alors, dix paroles, comme nos dix doigts, c’est simple, c’est surtout mémorisable!

Si chaque tradition religieuse, juive et chrétienne dans la diversité des Eglises aboutit à un découpage en dix paroles, elles divergent cependant sur le découpage :

Ainsi, pour le judaïsme, le premier verset qui commence par « Je suis le Seigneur ton Dieu… » (Dtn5v6), constitue la première des dix paroles, le premier commandement, alors que pour le christianisme, toute dénomination confondue, il s’agit d’une entête, d’un préambule, d’un « pro-logue ».

D’autres points de divergence existent entre les différentes dénominations chrétiennes et le Judaïsme pour la suite du découpage.

Ainsi, par exemple, le découpage des versets 7 – 10, l’interdiction d’avoir d’autres dieux et l’interdit de se fabriquer des représentations de Dieu et de se prosterner devant elles :

pour les juifs, les catholiques et les luthériens, il s’agit d’un seul commandement, alors que pour les chrétiens orthodoxes et réformés, ce passage doit, au contraire être découpé en deux et faire donc deux commandements. …

Mais à la fin on arrive toujours au même chiffre : 10.

L’originalité des Dix Paroles n’est pas dans leur contenu concret : Tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de rapt etc., ce ne sont pas des commandements uniques, réservés à la seule culture biblique, à la seule tradition judéo-chrétienne. D’autres cultures, d’autres religions – et cela même avant la Bible – ont établi et transmis des commandements semblables.

Nous avons l’habitude de dire « Les Dix Commandements » lorsque nous parlons du Décalogue. Et, à première vue, ce texte se lit comme une collection de règles qui réclame de nous obéissance. Et en effet, pour beaucoup d’auditeurs, au lieu de renvoyer à des repères ouvrant un espace de vie, le Décalogue fait apparaître le doigt levé d’un « surmoi » écrasant.

Quand quelqu’un nous dit ce que nous devons faire ou ne pas faire et nous impose une contrainte et une entrave à notre liberté d’action et de conduite, ça, bien-sûr, nous ne le supportons pas, au point que, bien souvent, nous sommes enclins de faire le contraire.

Si vous avez des enfants (ados), vous savez de quoi je parle!

Le prologue : libération

Face à ce « joug », il est utile de rappeler que le Décalogue ne commence pas par l’énoncé d’un interdit enfermant mais, au contraire, par l’indication que Celui qui donne ces paroles est le Dieu de la libération…

Alors, si des règles, des commandements sont bien présents dans le Décalogue et à prendre au sérieux, ils sont éclairés par ce qui précède ! …

Que dit ce « pro-logue » :

« C’est moi le SEIGNEUR, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude », Ex20/2.

Le fondement, la raison d’être du décalogue ou des dix commandements, n’est pas le désir d’un prince, d’un dictateur eu d’un tyran qui réclame la soumission absolue de ses sujets. Le fondement et la raison d’être des dix commandements est l’intervention de Dieu pour la libération de « la maison de servitude ».

Petit flash-back, retour en arrière avec le récit de l’Exode.

Moïse ne sait rien de ce Dieu quand il monte à l’Horeb avec son troupeau. Il devait être instruit des divinités égyptiennes, et même des dieux des Madianites chez qui il résidait, mais son Dieu à lui ? Encore faudrait-il que Moïse sache qui il est lui-même !

En lui parlant, Dieu commence par lui dire : je suis le Dieu de ton père. Humour pour un homme entre plusieurs cultures, à qui l’on a caché son identité. Dieu lui révèle alors qui il est, de quelle famille, quels sont ses ancêtres.

Et c’est sans doute pour Moïse la libération d’une dissimilation, d’une confusion sur ses propres origines: fils d’hébreux ou fils d’Égypte? …

Comme si la première libération que Dieu accomplit dans cette apparition, c’est la libération de Moïse lui-même.

Mais Moïse, avec culot, ne se contente pas d’une réponse qui est tournée vers le passé, fusse-t-il le sien. Tout d’abord, il interroge encore sur lui-même. « Qui suis-je pour aller vers le Pharaon et faire sortir d’Égypte le peuple d’Israël ? » On le comprend bien. Il n’est pas en odeur de sainteté en Égypte et risque sa vie en y retournant. Dieu pourrait mieux choisir son porte-parole.

La réponse divine est une belle esquive : « Je suis avec toi ». Et comble de l’humour divin, le signe donné est simplement un rendez-vous : quand vous serez sortis d’Égypte, vous viendrez me rendre un culte sur cette montagne.

Le Dieu qui se manifeste à Moïse sur la montagne lui donne en peu de mots une identité, certes succincte, il l’assure de sa présence à ses côtés et il lui ouvre un avenir.

Il s’inscrit dans le temps, dans la vie, dans le cheminement d’un peuple. Il est aussi celui qui entend la souffrance du peuple.

A Moïse qui insiste pour connaître son nom, le Seigneur répond : « JE SUIS QUI JE SERAI », ou, encore : « JE SUIS QUI JE SUIS ».

Pourquoi ce verbe être ? Pourquoi ce flou, cette imprécision ?

Savoir le nom de quelqu’un c’est avoir un pouvoir sur lui, et nul ne peut avoir le moindre pouvoir sur Dieu. En donnant ce nom insaisissable, le Seigneur manifeste sa liberté absolue. Il dit aussi qu’il est à la source même de la vie, l’essence de l’être.

Il a accompagné nos pères, il est présent aujourd’hui et il sera avec nous également demain. Dieu est promesse de vie….

Mais revenons à notre Décalogue

Le refus de Dieu de donner son nom se retrouve dès les premiers commandements : « Tu ne te feras pas d’idole et tu ne te prosterneras pas devant ces dieux » (Dtn5,8)? …

Les idoles sont fabriquées de main d’hommes, mais ensuite elles sont des outils d’oppression. Les humains de toutes les religions et cultures se sont fabriquées des idoles au fil des siècles pour mieux dominer et oppresser leurs semblables. Un seul exemple : luthériens allemands et catholiques français se sont livrés une guerre meurtrière durant la première guerre mondiale, avec, chacun dans sa langue, la même devise sur le ceinturon : « Dieu avec nous ».

Aujourd’hui, d’autres variantes du « Dieu avec nous » ont cours de par le monde. Mais ces idoles n’ont rien à voir avec le Dieu libérateur de la maison de servitude, le Dieu qui intervient pour mettre fin à la souffrance d’un peuple. Le Dieu, non pas des bourreaux, mais des victimes !

Et c’est dans cet esprit qu’il faut lire l’ensemble des Dix Paroles.

Non pas comme des règles qui viennent restreindre notre liberté mais comme un chemin pour nous permettre d’être libres.

Libres face aux faux-dieux… quels qu’ils soient!

Libres devant l’esclavage que peut devenir le travail (« le jour du sabbat », c’est à dire du repos est la possibilité d’expérimenter la grâce de Dieu, cette vie donnée sans rien en échange)

Libres face à la violence (l’interdit du meurtre me libère de ma propre violence)

Libres face à la concupiscence (l’interdit de l’adultère me libère des tentations)

Libres face à la convoitise (l’interdit du vol me libère de l’envie)

Libres face au mensonge (l’interdit du faux-témoignage me libère des situations tordues)

Ce texte est un chemin pour ma liberté, il est aussi le chemin qui permet à l’autre d’exister à côté de moi, en face de moi, avec moi. Les limites que j’accepte sont les conditions nécessaires à l’existence de l’autre. Et sans autre, pas d’amour possible !

 « C’est moi le SEIGNEUR, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude », (Ex20/2).

C’est le Dieu qui nous libère de nos maison de servitude – qu’elles qu’elles soient et où qu’elles se trouvent sur notre terre.

Il est le Dieu qui est pour moi, qui est avec moi – et cette promesse est valable pour tous les humains…

Il est Celui qui me fait confiance et qui me porte et me supporte tel que je suis.

Il est Celui qui me libère, qui me délivre de toute oppression, de toute contrainte, de toute peur… sans condition. …

… Dans le Nouveau Testament, Jésus parle et agit au nom du même Dieu libérateur qui délivre, qui guérit les humains qu’il rencontre par un même désir d’amour et de compassion.

Dans l’épître de Jean, nous pouvons lire à propos de ce Dieu de Jésus : « Dieu est Amour : qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui », (1Jean4/16).

L’amour est le lieu de la véritable liberté.

Amen

Pasteur Andréas Seyboldt