Le bon berger

Église Protestante Unie d’Argenteuil, Asnières, Bois-Colombes, Colombes Dimanche 8 mai 2022 à Bois-Colombes – Pasteur Andreas Seyboldt

Lecture biblique : Jean 10, 1 – 21.25 – 30

1 « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n’entre pas par la porte dans l’enclos des brebis mais qui escalade par un autre côté, celui-là est un voleur et un brigand.

2 Mais celui qui entre par la porte est le berger des brebis. 3 Celui qui garde la porte lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix ; les brebis qui lui appartiennent, il les appelle, chacune par son nom, et il les emmène dehors. 4 Lorsqu’il les a toutes fait sortir, il marche à leur tête, et elles le suivent parce qu’elles connaissent sa voix.

5 Jamais elles ne suivront un étranger ; bien plus, elles le fuiront parce qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers. »

6 Jésus leur dit cette parabole, mais ils ne comprirent pas la portée de ce qu’il disait.

7 Jésus reprit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis. 8 Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands, mais les brebis ne les ont pas écoutés. 9 Je suis la porte : si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé, il ira et viendra et trouvera de quoi se nourrir. 10 Le voleur ne se présente que pour voler, pour tuer et pour perdre ; moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance.

11 « Je suis le bon berger : le bon berger se dessaisit de sa vie pour ses brebis.

12 Le mercenaire, qui n’est pas vraiment un berger et à qui les brebis n’appartiennent pas, voit-il venir le loup, il abandonne les brebis et prend la fuite ; et le loup s’en empare et les disperse. 13 C’est qu’il est mercenaire et que peu lui importent les brebis.

14 Je suis le bon berger, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, 15 comme mon Père me connaît et que je connais mon Père ; et je me dessaisis de ma vie pour les brebis. 16 J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cet enclos et celles-là aussi, il faut que je les mène ; elles écouteront ma voix et il y aura un seul troupeau et un seul berger. 17 Le Père m’aime parce que je donne ma vie, pour ensuite la recevoir à nouveau. 18 Personne ne me l’enlève, mais je la donne de moi-même ; j’ai le pouvoir de la donner et j’ai le pouvoir de la recevoir à nouveau : tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père. »

19 Ces paroles provoquèrent à nouveau la division parmi les autorités juives.

20 Beaucoup parmi ces gens disaient : « Il est possédé, il déraisonne, pourquoi l’écoutez-vous ? »

21 Mais d’autres disaient : « Ce ne sont pas là propos de possédé ; un démon pourrait-il ouvrir les yeux d’un aveugle ? » …

25 Jésus leur répondit : « Je vous l’ai dit et vous ne croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père me rendent témoignage, 26 mais vous ne me croyez pas, parce que vous n’êtes pas de mes brebis. 27 Mes brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles viennent à ma suite. 28 Et moi, je leur donne la vie éternelle ; elles ne périront jamais et personne ne pourra les arracher de ma main. 29 Mon Père qui me les a données est plus grand que tout, et nul n’a le pouvoir d’arracher quelque chose de la main du Père. 30 Moi et le Père nous sommes un. »

Prédication

L’étude d’un texte, notamment biblique, relève parfois plus du travail de l’archéologue, ou d’un passionné de labyrinthes, que d’un littéraire.

Si je vous dis : « Jésus dit : je suis le bon berger », quelle image vous vient à l’esprit ? Quel dessin, quel tableau, vous imaginez-vous ? … Peut-être une de ces images pieuses et bucoliques d’un Jésus, beau berger barbu et tendre, avec un petit agneau dans les bras ? Et qui marche avec un regard doux, devant un troupeau paisible, dans une verte vallée ? … Cette image nous permet-elle d’entendre vraiment ce texte de Jean 10 ?

Regardons le texte : curieusement, une grande partie de celui-ci parle de voleurs, de bandits, « d’étrangers ». Des brigands et des voleurs, des mercenaires (tiens, un mot d’actualité, en lien avec la guerre qui fait rage en Ukraine !) et des loups s’emparent des brebis, les violent, les tuent et les dispersent !

L’accent du récit est mis sur ces éléments violents et perturbateurs et non sur le calme, la sérénité et la paix qu’inspire l’image bucolique du beau berger barbu et tendre ! Les contemporains de Jésus entendaient sans doute cet accent incroyablement polémique, plus que nous. D’autant que ce type de discours était familier à leurs oreilles.

Les prophètes avaient déjà clamé haut et fort les reproches violents à l’encontre des faux bergers et des chefs iniques. Ecoutons le prophète Ézéchiel

Lecture : Ézéchiel 34, 1-16 (extraits)

2 Ainsi parle le Seigneur DIEU : « Malheur aux bergers d’Israël qui se paissent eux-mêmes ! N’est-ce pas le troupeau que les bergers doivent paître ? 3 Vous mangez la graisse, vous vous revêtez de la toison, sacrifiant les bêtes grasses ; mais le troupeau, vous ne le paissez pas. 4  Vous n’avez pas fortifié les bêtes faibles, vous n’avez pas guéri celle qui était malade, vous n’avez pas fait de bandage à celle qui avait une patte cassée, vous n’avez pas ramené celle qui s’écartait, vous n’avez pas recherché celle qui était perdue, mais vous avez exercé votre autorité par la violence et l’oppression. 5 Les bêtes se sont dispersées, faute de berger, et elles ont servi de proie à toutes les bêtes sauvages ; elles se sont dispersées. 6 Mon troupeau s’est éparpillé par toutes les montagnes, sur toutes les hauteurs ; mon troupeau s’est dispersé sur toute la surface du pays sans personne pour le chercher, personne qui aille à sa recherche.

Voilà ce que les contemporains de Jésus avaient dans l’oreille quand on parlait de berger !

La prophétie d’Ézéchiel exprime le jugement de Dieu sur les chefs corrompus d’Israël, sous la figure des bergers qui pillent et abandonnent le troupeau. Dieu lui-même va les destituer et prendre leur place à la tête du troupeau pour en prendre soin et le conduire en sécurité.

Comment expliquer que Jésus entre dans une polémique si violente ?

Pour le comprendre, il faut remettre ce discours de Jésus dans son contexte. Au chapitre précédent, le chapitre 9, le lecteur a assisté, médusé, à la guérison d’un aveugle de naissance. Cette guérison miraculeuse a déchaîné les passions, c’est le cas de le dire ! Ce pauvre homme devient un objet très embarrassant pour les pharisiens, qui ne veulent d’abord pas croire à l’authenticité de sa guérison, puis qui mettent en doute son identité même, avant de le chasser hors de la synagogue, avec cette phrase terrible :

« Toi, tu es né tout entier dans le péché, et c’est toi qui nous instruis ! », Jean 9 / 34

Il faudrait pouvoir lire l’ensemble de ce chapitre 9 pour bien sentir la tension très vive entre les pharisiens et Jésus autour de cet homme guéri. Qu’est-ce que le péché ? C’est la question centrale du texte.

Au départ, l’homme ne demande rien et ce sont les disciples qui, en passant, se demandent « qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ».

Et Jésus répond : « Ce n’est pas que lui, ou ses parents aient péché, mais c’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui ».

Et après sa guérison, les pharisiens se demandent comment un homme pécheur (Jésus) peut accomplir un tel miracle. Puis ils informent l’ex-aveugle que Jésus est un pécheur.

L’homme leur dit qu’il n’en sait rien et qu’il sait juste qu’il était aveugle et que maintenant il voit. Sur quoi il se fait insulter et jeter dehors.

Et Jésus informe les pharisiens que leur péché demeure, car ils se disent voyants.

Si je vous ai conduits dans ce long détour du chapitre 9, c’est qu’il a un lien direct avec le chapitre 10 que nous lisons ce matin : Les pharisiens chassent dehors cet homme que Jésus vient de réintégrer dans la communauté en le guérissant.

Comprenez bien ces deux mouvements opposés : Jésus guérit, il rend les malades purs, il fait en sorte qu’ils ne soient plus exclus de la synagogue par leur maladie (liée au péché dans la pensée juive de l’époque). Mais les pharisiens ne sont pas aptes à reconnaître qu’il leur revient simplement d’accueillir à bras ouverts l’homme réconcilié, guéri, purifié.

Ils se comportent en mauvais bergers, uniquement préoccupés de leur ventre et sans compassion ni attention pour la moindre de leur brebis. Ils sont plus attachés à chercher les causes d’exclusion qu’à manifester l’amour et l’accueil de Dieu.

« Où est le péché ? Cherchons les causes du péché, pointons ce qui relève du péché, pour avoir une communauté sans tâche ». On dirait que toute l’attention des pharisiens est monopolisée par cette recherche de pureté, au détriment des hommes eux-mêmes.

Si l’ex aveugle a été mis à la porte par les pharisiens, Jésus annonce au chapitre 10 qu’il est la porte. Il l’affirme à plusieurs reprises, tout au long de notre texte (versets 2,3,7,9) :

Jésus entre par la porte, c’est pour lui que le gardien ouvre la porte, il mène les moutons dehors, les fait tous sortir, il est lui-même la porte, il faut entrer par lui, on entre et on sort. …

Si l’ex aveugle a été mis à la porte de la synagogue, il est entré par la porte que représente Jésus et il a acquis cette liberté extraordinaire de pouvoir entrer et sortir en toute sécurité, sans crainte du péché, puisque le salut réside dans la porte, c’est-à-dire en Jésus !

Comme si Jésus inaugurait un nouveau Temple, pour tous ceux qui auraient été jetés hors du premier.  Mais de ce Temple, nous ne pouvons plus être chassés !

Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire en français courant, pour nous ?

Les hommes cherchent toujours à mettre le doigt sur les causes du mal, les raisons du malheur, les critères du péché (les disciples demandent « qui a péché ? »).

Jésus invite à ne plus regarder au péché. Il exhorte à ne plus se perdre dans la recherche vaine des causes du malheur.

Peu importe pourquoi le mal et comment les choses se sont passées pour en arriver à cette situation tragique, abominable…

Peu importe qui est responsable de quoi dans ce malheur et quelle est ma part de responsabilité voire de culpabilité. Peu importe ce que j’aurais pu faire. Peu importe ce que j’aurais dû faire. …

Ce qui importe, c’est la porte qui est devant nous et non plus celles que nous avons ratées. Ce qui importe, c’est ce que nous allons faire de ce b… bazar/chantier en désordre… qui est notre vie, et comment les œuvres de Dieu vont se manifester en elle.

Abattre et détruire, c’est ce que font les mauvais chefs.

Donner la vie, c’est ce que fait Jésus dans l’engagement total de lui-même, par amour pour les hommes et les femmes, ses brebis.

Il est le bon berger car lui est prêt à exposer sa propre vie, à engager sa propre vie, non pas en sacrifice, qu’un dieu-juge exigerait comme « victime expiatoire pour nos péchés », mais en rempart contre le mal qui peut à chaque instant atteindre le troupeau à cause des mauvais bergers. Quels péchés auraient bien pu commettre ces pauvres brebis ?

Le péché qui est dénoncé dans ce texte concerne ceux qui se prétendent les bergers et qui délaissent le troupeau, l’abandonnent, ou le volent.

Si Jésus expose sa vie (plutôt que « se dessaisit de » comme traduit la TOB) c’est pour protéger ses moutons.  Il connaît ses moutons et ses moutons le connaissent.

La connaissance que Jésus a de nous n’est pas la connaissance superficielle des gens qui pensent tout comprendre et tout savoir de notre vie, tout expliquer et qui jugent d’un haussement d’épaule :

« Celui-là on ne peut pas compter sur lui, celle-là, quelle vie dissolue… »

Au contraire de ces jugements à l’emporte-pièce, Jésus connaît les cœurs, il connaît les chemins tortueux par lesquels nous passons, les démons contre lesquels nous luttons, les ténèbres que nous devons franchir parfois, les séductions et l’amertume, l’abattement ou la joie.

Il nous connaît et nous connaissons aussi quelle grâce réside dans son accueil sans jugement. En lui, nous trouvons la vie.

Être tout à coup délivré de la question du mal / du péché, et être réorienté vers la vie, voilà la Bonne Nouvelle de l’Évangile.

En écho au prophète Ézéchiel, l’histoire nous livre maints exemples de régimes conduits par de mauvais bergers qui ne se soucient pas le moins du monde de leur peuple.

Où que nos regards se tournent, des hommes et des femmes sont écrasés par un pouvoir inique. Des chefs d’État ou des chefs de guerre, des dictateurs militaires ou des dictateurs financiers …

Et nous contribuons bien involontairement à cet écrasement des petits par nos habitudes de consommation. Ce que nous achetons n’a-t-il pas été fabriqué par des ouvriers qui vivent dans des conditions inhumaines ? Nous pouvons avoir l’impression que jamais nous n’arriverons à nous libérer du fardeau de cette complicité.

Là encore, recevoir du Christ la vie nous donne aussi la force de nous engager contre les dictatures. Nos dictatures intérieures, comme celles qui mènent le monde.

Amen !