L’amour des ennemis

Église Protestante Unie d’Argenteuil, Asnières, Bois-Colombes, Colombes
Dimanche 19 février 2023 – Pasteur Denis Heller

Lecture biblique

Matthieu 5 v 38 à 48

38Vous avez appris qu’il a été dit : œil pour œil, et dent pour dent. 39Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre. 40Si quelqu’un veut plaider contre toi, et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. 41Si quelqu’un te force à faire un mille, fais-en deux avec lui. 42Donne à celui qui te demande, et ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi. 43Vous avez appris qu’il a été dit: Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi. 44Mais moi, je vous dis: Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, 45afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes.

46Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous? Les publicains aussi n’agissent-ils pas de même ? 47Et si vous saluez seulement vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens aussi n’agissent-ils pas de même ?48Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait.

Prédication

Parfois, on se demande, à la lecture de certains textes bibliques, pourquoi ils se trouvent dans la Bible. Je pense aux récits de guerres, de violence et de cruauté, présents dans le 1er Testament. Que font-ils dans la Bible ? La réponse est simple : ils reflètent la réalité d’un monde, notre monde, où le mal est bien présent. Ils rendent compte d’un monde, notre monde, traversé par la violence, la lutte de pouvoirs, l’ambition des puissants. La Bible n’ignore pas ce côté sombre de la réalité humaine. L’Europe, qui pensait en avoir fini avec la guerre depuis 1945, redécouvre sa dureté et son horreur.

Mais ce matin, à la lecture de ce passage de Jésus du Sermon sur la Montagne, nous pourrions nous poser la même question. Que fait ce passage biblique dans nos Bibles, une Bible qui est sensée, comme nous venons de le dire, refléter la réalité humaine dans tous ses aspects, sous toutes ses facettes.

En effet, que pensez de ces recommandations de Jésus ? : « Si quelqu’un te gifle sous la joue droite, tends lui aussi l’autre » et encore » Aimez vos ennemis » et encore un final « pire » que tout ; «  Vous serez parfaits  comme votre Père céleste est parfait » ;
Des propos surhumains, donc inhumains, monstrueux, contre nature, invraisemblables et d’autres qualificatifs pourraient se rajouter. On dit parfois de propos politiques ou idéologiques, déconnectés de la réalité qu’ils sont hors-sol. Oui, des propos hors sol, impossibles à entendre et surtout à pratiquer et à vivre. A quoi Jésus joue-t-il ? Est-il sur une autre planète, dans un monde idyllique et irréel ? A quoi bon ces paroles irrecevables à vue humaine ? Si nous nous arrêtions là, la prédication s’arrêterait là aussi.

Mais peut-être, y-a-t-il moyen tout de même de recevoir cet enseignement de Jésus, extrait du Sermon sur la Montagne, comme une parole de vie qui nous parle et nous rejoint. Pour cela 3 étapes, 3 marches à franchir pour peut- être toucher du cœur et du doigt, ce que Jésus veut dire à ses disciples, à travers 3 formules …

La première : la loi du Talion une bonne loi, nous pourrions même dire une vraie bonne loi. « œil pour œil , dent pour dent », telle est la loi du talion. Une loi du talion qui est critiquée, condamnée car elle serait par excellence la loi de la vengeance, de la « castagne ». On vient de te faire du mal à l’œil. Alors à ton tour, de faire du mal à l’œil de celui qui est la cause de ton mal. Tu aurais le droit de le faire !! Il vient par son coup de poing de te faire perdre une dent. A ton tour, du coup de te venger, de rendre la pareille. La loi du talion te permettrait de lui faire perdre une dent ! Donnant-donnant. Un bon règlement de compte, du tac au tac. Le mal que l’autre te fait, tu peux le lui faire, le lui rendre !

C’est une compréhension totalement erronée de la loi de talion : « œil pour œil, dent pour dent » Car elle est une bonne loi, une vraie bonne loi. Elle établit une justice proportionnelle, une justice en rapport avec le délit commis. Elle s’oppose à la loi de la pure vengeance. La peine décidée par le juge en bonne justice doit correspondre au délit. Le délit, par exemple qui touche l’œil, doit avoir comme peine, une peine qui correspond à la valeur d’un œil et non à la valeur d’une dent. De même, pour un délit qui concerne une dent, la peine qui est prononcée doit correspondre à la valeur d’une dent et non à la valeur d’un œil. Recherche de proportion, d’équivalence. Toute notre société par ses lois juridiques, sociales, économiques, organisationnelles est construite sur cette logique de la proportionnalité, de l’équivalence, de la correspondance. Est juste, rentre dans cette logique d’une bonne justice, ce qui respecte ces bonnes correspondances et équivalences.

Avec la réforme des retraites, nous sommes en plein dans notre sujet ! Trouver la bonne correspondance entre les heures, les années travaillées, les trimestres engrangés et le montant de la pension de retraite. De même, on crierait au scandale, si plus on travaillait moins on gagnait et de même si en travaillant moins on gagnait plus. Rappelez-vous la parabole des ouvriers de la 11éme heure. Scandale, injustice !!, celui qui a travaillé une heure, a commencé à travailler à la 11éme heure, gagne autant que celui travaille depuis le début du jour.

Merveilleuse loi du talion qui lutte contre l’arbitraire, le subjectif, l’injustice, la loi du plus fort ou tout simplement la loi de la jungle. Une loi qui dans nos sociétés contemporaines s’est avec le temps de plus en plus affinée, perfectionnée au travers de la justice pénale, de la justice sociale et des règles économiques en vigueur. Sur ce terrain, il nous faut veiller à une justice toujours plus juste.
Cette loi du talion est présente dans la loi juive du 1er testament. Comme il le fait tout au long du Sermon sur la Montagne, Jésus reprend cette loi ancienne selon la formule : « Vous avez appris qu’il a été dit, rappel de la loi juive, mais moi je vous dis «. D’ailleurs, Jésus dira qu’il n’est pas venu abolir, abroger cette loi, cette loi ancienne mais l’accomplir, c’est à dire la mener jusqu’à son aboutissement, à sa plénitude, à son dépassement. `

Quel va être l’accomplissement, l’aboutissement de cette loi du talion ? Une loi, qui en fait caractérise des relations humaines, où l’action engagée est proportionnée, fonction de l’action de l’autre rencontrée ; cela dans un échange, un donnant-donnant, quantifié, comptabilisé, commercialisé. Il me sourit, je lui souris. Il m’ignore, je l’ignore. Une relation à l’autre en fait conditionné au comportement de l’autre. Oui quel accomplissement ? Quel dépassement ?

 Après la loi du talion, une « bonne loi », une 2éme formule ; ce que j’appellerai « le mal ridiculisé » . Oui le mal ridiculisé. Lorsque que l’un gifle sur la joue droite de l’autre, il pense être maître de la situation. Il s’attend à ce que l’autre giflé, soit s’enfuit, soit le gifle à son tour. Mais non, la situation est renversée. L’autre giflée tend l’autre joue. Celui qui a giflé est désarçonné, décontenancé, oserions nous dire désarmé ! Il croyait diriger les opérations, soumettre l’autre giflé à sa violence, à sa volonté, à sa force. Non, tout le contraire. L’autre giflé, par son initiative et par son attitude le soumet à sa volonté. Il ne lui répond pas. Il ne répond pas au coup sur coup, ni au tac au tac. Il coupe le cycle de la violence. Il ouvre à une autre logique que celle du donnant- donnant, du mal répondant au malheureusement, de la réponse proportionnée au coup ou à l’action reçue.

Une logique de rupture, du surplus, du renversement. Celui qui gifle, celui qui veut prendre une tunique, celui qui force à faire mille pas, veut imposer sa force, sa loi ; il cherche à dominer. Il pense faire triompher sa volonté de faire le mal. Mais tout se renverse. Celui qui subit le mal, en fait encore plus que demandé. C’est lui qui mène la danse et prend la maîtrise des opérations. Un mal ridiculisé, renvoyé à lui -même, qui pensait être dominateur et qui est dominé par plus fort que lui !!

Jésus en donnant ces exemples fait œuvre de pédagogue. Il rajoute exemple sur exemple pour amplifier son argumentation. Des exemples et des illustrations à ne pas prendre au pied de la lettre, ni au mot mais qui viennent souligner cette nécessite de vivre autrement dans les relations interpersonnelles que le donnant-donnant même si ce donnant-donnant intègre les dimensions de proportionnalité et d’équivalence.
Le donnant-donnant nous fait rester dans le cycle infernal de la violence.

L’amour n’est pas dans la juste proportion, ni dans la juste rétribution, ni dans une attitude qui serait conditionné à ce que l’autre fait.
L’amour est dans la démesure !

Nous en arrivons à notre 3éme étape, à notre 3éme marche, au dépassement, à l’accomplissement de la loi du talion. Une autre logique est alors en marche, est alors révélée.

La pratique du bien envers l’autre ne serait pas, ne serait plus fonction de ce qu’il fait, ne serait plus conditionné comme dans la loi du talion à ce qu’il fait puisque Jésus évoque même l’amour des ennemis.
L’amour, c’est à dire cette capacité à faire le bien, à se soucier de ce qui est bon, bien, beau pour l’autre, même quand celui-ci me fait du mal. Par exemple, lorsqu’il me gifle, veut me prendre ma tunique, mais mieux encore ou pire encore je ne sais plus ce qui convient de dire, même quand celui-ci me veut du mal, cherche volontairement à me faire du mal, à savoir celui que Jésus désigne comme ennemi.

Quelle formule pour décrire cette 3éme marche, haute, très haute, qui est le summum de l’exigence évangélique, de l’ordre déjà de la perfection du Royaume ? Serait-ce une loi, une loi nouvelle, une loi parfaite, une loi surhumaine : l’amour des ennemis, cette capacité à faire le bien sans du tout le conditionner à ce qu’est l’autre, à ce que fait l’autre même quand il est mon ennemi ?

Ma formule serait alors de dire : « non pas une loi, mais une inspiration, une invitation ».
Oui une inspiration, que Dieu peut me donner dans sa grâce, une invitation que Dieu fait à prendre le chemin du Royaume, en comptant sur Lui seul. D’ailleurs Jésus, tout juste après cet appel à l’amour des ennemis invite à la prière pour ses ennemis, la prière aussi pour compter sur son Esprit et sa grâce.
Oui la perfection du Royaume, c’est l’amour des ennemis que seul Jésus a pu vivre pleinement sur la croix, lorsqu’il demandait à son Père de pardonner ceux qui le crucifiaient, « Père, pardonne leur car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Avec l’appel à l’amour des ennemis, nous sommes dans la radicalité de l’Évangile, dans l’amour le plus grand, le plus fort qui est don parfait en dehors de toute contingence et situation, même face au mal le plus absolu.

C’est de cet amour-là que Dieu nous aime et qu’il a manifesté sur la croix en Jésus-Christ.
Qu’il nous donne d’être des reflets de cet amour total et parfait.  Que par sa grâce il vienne bousculer toutes nos logiques humaines.

Amen