La vie de Paul

La folie de la Croix

 

 

Préambule

Supérieurement bien formé, introduit aux cultures grecques et juives, écrivain subtil, Paul n’est pas pour autant un universitaire, réfléchissant abstraitement à de grandes questions morales ou théologiques. Il est, de vie et de caractère, un homme d’initiatives et de combats.

Comme Augustin, comme Luther, il écrit pour traiter une question précise, concrète, réelle : une querelle interne à une communauté (I Corinthiens) ou la remise en cause de son ministère (II Co 10-13), une Eglise à encourager (Philippiens) ou à morigéner (Galates) etc.

Il écrit également pour préciser un point de doctrine à une communauté qui s’interroge ou agit en contradiction avec ladite doctrine. C’est ainsi qu’il évoque l’abaissement du Christ aux Philippiens, la résurrection du Christ et la Cène aux Corinthiens (I Co 15 et I Co 11), le retour du Christ aux Thessaloniciens etc. Sa lettre aux Romains diffère quelque peu : Paul ne connaît pas directement cette communauté et il entend rédiger une « synthèse » théologique.

Pour approcher la pensée de Paul, nous aurions pu étudier ses lettres, une par une. J’ai préféré partir de sa christologie (rappelons que la christologie n’est pas l’étude des cristaux mais un enseignement sur le Christ !), centrée sur l’événement crucial, au sens premier du terme : la mort de Jésus sur la croix. Lorsque cela sera possible, nous donnerons quelques indications sur le contenu et le contexte d’une lettre.

Paul et le Christ

Paul et les convictions du christianisme primitif

Paul ne travaille pas dans sa bulle. Il a rencontré Pierre et Jacques, même s’il affirme ne pas en avoir retiré grand chose. Il est en contact avec des communautés; il connait leurs premières confessions de foi et les cite parfois.

Voici quelques exemples :

  • I Co 15,3-6 : Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures ; qu’il a été enseveli, et qu’il est ressuscité le troisième jour, selon les Ecritures et qu’il est apparu à Céphas, puis aux douze. Ensuite, il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois, dont la plupart sont encore vivants, et dont quelques-uns sont morts. Ensuite, il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres.

  • Rms 1,3 ss : Je vous annonce l’Evangile de Dieu qui avait été promis auparavant de la part de Dieu par ses prophètes dans les saintes Ecritures, et qui concerne son Fils né de la postérité de David, selon la chair, et déclaré Fils de Dieu avec puissance, selon l’Esprit de sainteté, par sa résurrection d’entre les morts, Jésus-Christ notre Seigneur, par qui nous avons reçu la grâce et l’apostolat, pour amener en son nom à l’obéissance de la foi tous les païens, parmi lesquels vous êtes aussi, vous qui avez été appelés par Jésus-Christ,

  • Rms 4, 24b-25 : nous qui croyons en celui qui a ressuscité des morts Jésus notre Seigneur, lequel a été livré pour nos offenses, et est ressuscité pour notre justification.

  • Phil 2,6 : Ayez en vous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ, lequel, existant en forme de Dieu, n’a point regardé comme une proie à arracher d’être égal avec Dieu, mais s’est dépouillé lui-même, en prenant une forme de serviteur, en devenant semblable aux hommes ; et ayant paru comme un simple homme, il s’est humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix. C’est pourquoi aussi Dieu l’a souverainement élevé, et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père.

 

Paul et la vie de Jésus

Paul se réfère peu à la vie de Jésus, hormis la croix

Il ne dit rien sur sa naissance, sinon des évidences : « Quand est venu l’accomplissement du temps, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme et soumis à la Loi, pour payer la libération de ceux qui sont esclaves de la Loi » (Galates 4,4-5)

Il n’évoque ni miracles, rencontres ou controverses de Jésus.

Il ne parle pas davantage de son baptême au Jourdain, tournant pourtant majeur dans les Evangiles.

Il cite peu de paroles de Jésus, directes ou indirectes :

  • « Que l’homme ne sépare ce que Dieu a uni » (I Co 7, 10)
  • « Le Seigneur a ordonné à ceux qui annoncent l’Evangile de vivre selon l’Evangile » (I Co 9, 14),
  • Les paroles de Jésus lors de l’institution de la Cène (I Co 11, 23)
  • Une parole de sagesse, citée par Luc « Il vaut mieux donner que recevoir » (Actes 20:35).

    Cette lacune est évidemment volontaire.

    Pour Paul, l’essentiel de la foi ne réside ni dans l’imitation de Jésus ni dans une nouvelle interprétation de la Loi juive, « à la façon de Jésus ».

    Jésus centrait son témoignage sur la venue du Royaume de Dieu et sa miséricorde envers ceux qui sont perdus. Pour Paul, l’essentiel, c’est la mort et la résurrection du Christ et le salut qui en résulte.

    Pour dire les choses différemment, Jésus annonce la venue du Règne et Paul part de cette venue.

    Il comprend l’histoire de Jésus à partir de la croix et de la résurrection.

    Aux Corinthiens, enthousiastes (dans les deux sens du terme : « joyeusement dynamiques » et « vivant en Dieu »… du moins c’est ce qu’ils croient), Paul insiste sur la croix : « Je ne veux rien savoir que Christ et Christ crucifié ». C’est le socle de sa christologie.

La croix, scandale et folie

« Je ne veux savoir que Christ et Christ crucifié » (I Co 2,2)

Cette parole donne le ton à la première lettre de Paul aux Corinthiens. Présentons-là brièvement.

Contenu de la 1ère lettre de Paul aux Corinthiens

Ses textes les plus connus abordent les thèmes suivants :

  • Sagesse et folie de l’Evangile (chap 1)

  • Des relations transformées dans des structures inchangées (chap 7)

  • Liberté dans le service (chap 9, v 19)

  • Une éthique responsable (chap 10, 23 ss)

  • Institution de la cène (chap 11)

  • L’Eglise comme un corps (chap 12)

  • Les dons spirituels (chap 13-14)

  • La résurrection du Christ et des morts (chap 15)

  • La collecte pour Jérusalem et le don en général (chap 16)

Contexte de la lettre : une Eglise dynamique dans une ville en croissance

A l’époque de Paul, Athènes est le haut lieu de la culture hellénistique mais elle a perdu toute influence politique et militaire, au profit de Corinthe. Corinthe a été reconstruite par César après avoir été entièrement détruite en 146 av JC, pendant la 3ème guerre punique. Elle est devenue une ville commerciale moderne et florissante, bénéficiant d’une situation géographique favorable, à l’entrée de l’isthme. Des jeux isthmiques s’y déroulent, accentuant son influence. D’un golfe à l’autre, des bâteaux circulent sur des rails.

C’est une ville populeuse, de plus de 500.000 habitants, qui sert de trait d’union entre Rome et l’Asie mineure.

Comme souvent, quelques grandes fortunes côtoient la misère du grand nombre.

La vie est trépidante dans les temples, les bains, l’agora, les théâtres.

Quant à l’immoralité, elle est proverbiale (« vivre à la Corinthienne » signifie « vivre dans la débauche »).

Les écoles philosophiques et les religions à mystères y attirent une nombreuse clientèle. Les cultes les plus divers y sont pratiqués. Et la communauté juive est florissante.

Contrairement aux Athéniens, sceptiques (cf Actes 17) les Corinthiens manifestent un vif intérêt pour l’Evangile. La communauté chrétienne est active et zélée.

Paul connait bien Corinthe.

D’après le livre des Actes, nous savons qu’il y a passé 18 mois mouvementés mais féconds : « Beaucoup, en écoutant Paul, devenaient croyants et demandaient le baptême » (Actes 18,8).

Dans cette ville, Paul reçoit une vision qui le confirme dans sa mission : « Dans cette ville, un peuple nombreux m’était destiné« .

Convoqué devant Gallion, le Proconsul, Paul ne se laisse pas intimider et poursuit son oeuvre d’évangélisation. Au terme de ces 18 mois, Paul quitte Corinthe et va à Ephèse (Actes 19) mais il ne perd pas contact avec son ancienne communauté. ll continue son ministère de trois façons : il envoie des collaborateurs de toute confiance comme Timothée (I Co 4,17), fait des visites personnelles (II Co 12,14). Enfin, d’Ephèse, il écrit aux Corinthiens.

Des indices littéraires laissent supposer qu’il leur écrit même plus de deux lettres.

Paul continue donc de suivre ce qui se passe à Corinthe. Et ce qu’il apprend ne le réjouit pas.

Bien sûr, la communauté chrétienne reste importante, vivante, remuante. Mais elle est exposée aux divisions, à l’orgueil, à l’immoralité, à l’idolâtrie, au manque de solidarité des riches envers les pauvres.

Les problèmes sont aussi doctrinaux : une tendance rigoriste s’oppose à une tendance libertine, les « inspirés » prédominent et veulent imposer leur charisme comme la marque du Saint-Esprit, la résurrection éclipse la mort du Christ sur la croix, la sanctification est réduite à une sagesse.

En fait, la communauté de Corinthe ressemble trait pour trait à la cité. L’Evangile n’a pas opéré en elle de transformations.

Pour Paul, le problème n’est pas simplement éthique mais théologique. Les dysfonctionnements communautaires sont des symptômes : ils manifestent que les Corinthiens sont passés à côté du coeur de l’Evangile.

De plus, si le dynamisme des Corinthiens, qui s’exprime dans leur vie économique, culturelle et ecclésiale, les aident à structurer et à développer la communauté chrétienne, s’ils sont outillés pour devenir l’un des pôles du christianisme naissant, si Paul s’appuiera sur eux pour soutenir des Eglises plus faibles, en envoyant des missionnaires … ou de l’argent (collecte de Jérusalem), leur culte de la compétition rend plus difficile la réception de l’Evangile.

Lorsqu’on est puissant, lorsqu’on croit que la réussite se mérite et que la sagesse s’obstient par l’effort, comment admettre que le Messie est mort sur la croix ? Comment comprendre que la puissance vient de la faiblesse acceptée ?

C’est pourquoi Paul débute quasiment sa lettre par un enseignement bref et radical : bref … car il entend se concentrer sur l’essentiel; radical car il entend claquer la porte du mérite sur le nez des uns et des autres … afin qu’ils ouvrent la porte du salut, une porte en forme de croix.

Lecture de I Co 1, 18- 2,5

Questions :

Pourquoi Paul « ne veut-il savoir que Christ crucifié » ?

En quoi ce « message de la croix » est-il une folie pour les Grecs et un scandale pour les juifs ?

Pourquoi Dieu s’oppose-t-il à la « sagesse » des Grecs et aux désirs de « miracles » des juifs ?

Aujourd’hui, en 2011, la croix est-elle toujours « folie » et « sagesse » ?

Que change pour nous la mort de Jésus sur la croix ?

Verset par verset

Verset 18 : la « parole de la croix » désigne la bonne nouvelle issue de la croix. C’est par elle que Dieu manifeste sa puissance … sans que Paul précise comment.

« Perdus … sauvés » doit être traduit par « ceux qui sont en train d’être sauvés ou perdus ». Le salut et la perdition ne seront absolus que lorsque le Royaume de Dieu sera manifesté. Mais ils commencent dès aujourd’hui à faire sentir leur effet. Ils concernent notre vie présente.

Verset 19 : citation d’Esaïe 29,14 : « C’est pourquoi je vais lui continuer à lui prodiguer des prodiges, si bien que la puissance des sages s’y perdra et que l’intelligence des intelligents se dérobera« .

Ce texte condamnait initalement les savants d’Israël. Paul l’utilise pour proclamer le jugement de Dieu sur l’homme en général, aveuglé par sa sagesse.

Paul ne demande pas aux chrétiens de s’abstenir de toute recherche spirituelle. Mais il souligne un risque : rechercher la sagesse, par soi-même et pour elle-même, c’est s’approprier la connaissance de Dieu, au prix d’un effort rationnel. C’est rester dans la la démarche religieuse (effort de l’homme poru se isser jusqu’à Dieu) qui s’oppose à celle de la foi en Christ.

Verset 20 : Paul paraphrase la citation par des questions. Il constate que Dieu a réalisé la prophétie d’Esaïe.

Verset 21 : Pourquoi Paul déclare-t-il la guerre à la sagesse ?

Dieu a créé l’homme en le dotant de la sagesse, la faculté de raisonner. En tant que telle, la sagesse est donc bonne. Mais l’homme l’a utilisée pour se détourner de Dieu ou pour l’annexer. Comme la Loi, la sagesse devient un outil pour rompre avec Dieu.

Dieu a donc décidé que l’Evangile serait folie, rupture avec la sagesse humaine.

Versets 22-24 : explication du verset 21

Les juifs demandent des signes : la requête des Juifs rappelle celle des contemporains de Jésus (cf. Mt 12, 38-42). Eux aussi demandaient des signes et Jésus les avait renvoyés au signe de Jonas, autrement dit à la repentance et à la croix.

Le signe, c’est Jésus crucifié.

Les Juifs qui refusent ce signe voient leur demande de miracles insatisfaite.

« Les Grecs recherchent la sagesse » : en Matthieu 12,42, Jésus a aussi décelé cette quête.

Il cite en exemple la reine de Saba qui va écouter Salomon et sa sagesse, qui est la sagesse même de Dieu. « Et pourtant, il y a ici plus que Salomon ».

Les Corinthiens sont déçus. Ils attendaient autre chose. Les dieux de l’Olympe et la mythologie grecque ne répondaient plus aux aspirations de nombreux Corinthiens. La religion juive faisait des prosélytes.

La quête de sagesse est, pour eux, une démarche spirituelle qui doit permettre de ne pas souffrir et d’obtenir pour les « parfaits » une bienheureuse immortalité.

Il n’y a pas de différence de nature entre la sagesse des Grecs et les miracles pour les Juifs. Tous deux sont une protection, une sécurité devant Dieu. Chacun soumet Dieu à son critère, utilisant contre Dieu la pseudo-connaissance qu’il a de Lui.

Bien entendu, les propos de Paul nous concernent également.

La culture, la morale, les discours sur les « valeurs », les rites, la raison, les miracles : tout peut devenir un moyen de se passer de Dieu ou de le mettre à notre service. Selon Karl Barth, la religion est même l’outil le plus performant inventé par les hommes pour faire l’impasse sur Dieu.

Paul rompt avec cette démarche. Il ne désigne qu’un chemin, car lui seul conduit à l’Evangile : Christ crucifié.

La croix rend évidentes les limites de la puissance et de la sagesse humaines.

En elle, et en elle seule, Dieu se donne à connaître.

Une foi à vivre

La demande des Juifs et celle des Grecs sont semblables dans leur visée profonde.

Cette visée est double : accéder à Dieu par ses propres mérites (sagesse, Torah … mystères religieux); échapper au mal, à la souffrance et à la mort (autrement dit être sauvé) sans passer par le Christ crucifié.

A ceci, Paul rappelle que la rencontre avec Dieu est pas l’objet d’une quête réservée à quelques-uns mais un don; qu’elle n’est pas seulement destinée au salut individuel mais à une vie communautaire, qu’elle ne nous préserve pas de la souffrance mais peut lui donner un sens.

Pourquoi Paul ne parle-t-il pas de la résurrection ?

Dans cette même lettre, Paul mettra la résurrection au coeur de la Bonne Nouvelle (I Co 15).

Mais, ici, il craint que la résurrection n’efface trop tôt le scandale et la folie de la croix

Verset 23 : la croix va à l’encontre de l’espérance messianique des Juifs et de la sagesse grecque.

Paul tranche ainsi un conflit interne à la communauté de Corinthe (les « Juifs » et les « Grecs » sont aussi des tendances de l’Eglise de Corinthe, divisée entre judéo-chrétiens et hellénistes), en rejetant les deux options.

Le langage de la croix dépasse et rend dérisoire les attente des uns et des autres.

Paul ne critique ni l’attente de miracles des Juifs ni la quête de la sagesse chez les Grecs mais le fait que cette recherche et cette attente les aient empêchés de recevoir le seul vrai miracle et la seule vraie sagesse : la croix du Christ.

Verset 24 : Paul n’introduit pas l’idée de prédestination. Il affirme que Dieu a l’initiative.

Le croyant adhère à une bonne nouvelle paradoxale : la puissance est sous forme de faiblesse apparente (le Messie arrêté, battu, tué comme un misérable) et la sagesse sous forme de folie (Dieu laisse mourir son envoyé, le Messie).

Verset 25 : conséquence : notre sagesse – ce que nous croyons savoir sur Dieu – est détruite.

Versets 26-30

Paul met en relation la parole de la croix avec la communauté de Corinthe. Le contenu de la prédication détermine la forme de la communion.

Verset 26 : « ceux qui ont été appelés » : manière dont la révélation s’est faite cf. Matthieu 11,25-26 (« Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits … nul ne connaît le Père sinon le Fils »)

« Selon la chair » : nature humaine indépendante de la relation avec Dieu.

A l’Evangile qui abolit nos attentes et projections correspond l’élection. Cette élection ne répond pas aux critères humains de réussite (autrement dit, les riches ne sont pas forcément appelés par Dieu à diriger la communauté).

Les classes dominantes forment une minorité au sein de l’Eglise de Corinthe mais elles jouent un rôle majeur … ne serait-ce que parce qu’elles possèdent de vastes demeures dans lesquelles se déroulent les rencontres d’Eglise.

Pas davantage que Jésus, Paul ne les critique, en tant que riches, mais il leur reproche de rechercher une expérience religieuse personnelle détachée de l’éthique et du sens communautaire. Les riches prennent l’Eglise pour un espace de développement personnel !

Ces riches doivent être convertis … et non rejetés

Versets 27-28 : Dieu intervient librement et souverainement pour confondre les puissants.

Verset 29 : Dieu déclare nul ce qui est quelque chose … ou prétend l’être.

« S’enorgueillir » n’est pas péjoratif en soi. Paul n’est pas un moraliste grec, dressant une liste des valeurs bonnes ou mauvaises. Seule la relation à Dieu « polarise » ses valeurs, et notamment l’orgueil. Quel est l’objet de mon orgueil ? Moi ou Dieu ?

Les versets 26-30, avec le rejet de la sagesse et de la puissance, entrent en résonnance avec les versets 30-31.

Verset 30 : tout provient de Dieu

« Justice », « sanctification », « rédemption » : contenu donné au salut.

Christ, notre sagesse, nous apporte le bien nécessaire, à savoir le salut.

« La sanctification » : si la justification est l’action de Christ en nous, la sanctification est Christ en nous.

Verset 31 : condensé de Jérémie 9,22ss.

Dieu renverse notre langage. La glorification n’est pas pour nos mérites mais se tourne vers Dieu pour le louer.

La vraie sagesse a pour corollaire :

  • la justification (oeuvre de Dieu, tourné vers le passé)

  • la sanctification (présent)

  • la délivrance (futur).

I Co 2, verset 2 : La réalité d’une mort

Les quatre Evangiles racontent longuement l’arrestation de Jésus, son procès, ses interrogatoires, sa mise en croix, son agonie. Ils citent les noms des principaux protagonistes : les autorités juives et romaines : Ponce Pilate, Anne, le Sanhédrin.

Pourquoi une pareille insistance ? Pourquoi le Credo mentionne-t-il la mort et l’ensevelissement, aussi inéluctables l’un que l’autre pour quiconque était crucifié ?

Pourquoi Paul le met-il au centre de son message ?

Il y a bien sûr les raisons invoquées plus haut : la nécessité de réduire à néant la sagesse et la recherche de signes et de miracles.

Il y a aussi la réalité historique de cette mort, contestée car elle réduit à néant notre prétendu savoir sur Dieu.

Dès les premiers temps du christianisme, et jusqu’à nos jours, des gens ont estimé que Christ n’a pu mourir sur la croix. Ils invoquent deux raisons : Jésus étant d’essence divine, il ne pouvait mourir ; Jésus étant un « juste », Dieu ne pouvait le laisser ainsi souffrir et mourir.

Alors, ils ont trouvé plusieurs explications pratiques :

  • Jésus a souffert sur la croix, les Romains l’ont cru mort alors qu’il n’était que dans le coma. Dans le tombeau, une grotte fermée, Jésus a repris connaissance.

  • Jésus n’a pas été crucifié. Au dernier moment, Simon de Cyrène ou Thomas a pris sa place (écrits gnostiques, Evangile selon Thomas. Pour les amateurs de BD « le triangle secret »)

  • « Jésus n’a pas été crucifié, seule sa ressemblance l’a été » (Coran, Sourate 4,157-159)

  • Selon les Docètes (du verbe grec dokein : « sembler »), Jésus est bien mort sur la croix mais pas le Christ. Autrement dit, seule nature humaine est morte tandis que l’Esprit est retourné à Dieu.

Devant tant de dénégations, Paul insiste sur la réalité de la crucifixion : Jésus, le Christ a bien été arrêté, il a réellement souffert, il est vraiment mort. On se demande d’ailleurs pourquoi les compagnons de Jésus auraient inventé cette crucifixion, qui représentait un tel scandale et un tel échec;

Ainsi, la foi chrétienne oblige à prendre au sérieux cette nouvelle tragique : Jésus, le Christ, est mort.

Verset 5 : la force nait de la faiblesse

Paul a dû choquer ses lecteurs en faisant état de la faiblesse de Dieu. Dieu rejoint l’homme dans sa faiblesse, dans sa souffrance, pour l’accompagner et lui donner en échange grâce, libération et salut.

Lorsque le Christ accepte cette faiblesse, il reçoit de Dieu la force.

Dans sa lettre aux Philippiens, Paul reprendra cette idée à partir d’un hymne de l’Eglise ancienne

Paul en est convaincu : Jésus n’est pas seulement le sauveur parce qu’il est ressuscité, en « happy end ».

Il y a quelque chose de profondément salvifique dans sa mort même.

Elle manifeste, en effet, son obéissance, son amour pour l’humanité, son refus du pouvoir et de la puissance. Paul invitera les chrétiens et les communautés à entrer dans cette dynamique, non pas doloriste (aimer la souffrance pour elle-même), mais ouverte sur la réconciliation, la liberté, la vie.

Annexe : pourquoi Jésus devait-il mourir sur la croix ?

Dans l’extrait que nous venons de lire, en I Co 1,18-2,5, Paul donne une réponse : Jésus meurt sur la croix pour « rendre folle la sagesse du monde ». Dans la Bib le, d’autres réponses sont proposées.

Tous unis pour dire « non » !.

Si Jésus est mort sur la croix, c’est d’abord … parce qu’on la mis à mort.

Juifs et Romains se sont ligués pour maintenir un équilibre politique instable.

Les autorités religieuses ont également voulu faire taire le message du Christ, cette invitation au Royaume lancée à tous, ce pardon accordé sans condition etc.

Les premiers acteurs de cette dramatique sont les humains. Religieux et politiques, monothéistes, polythéistes et athées, tous sont d’accord pour rejeter Jésus et son offre.

La mort de Jésus met en évidence le péché des humains. Elle nous oblige à prendre au sérieux notre violence, notre rejet de l’autre, notre refus, instinctif, de la Bonne Nouvelle, annoncée et incarnée par Jésus.

Le christianisme n’est pas rousseauiste (même si Rousseau se voulait chrétien)… et Paul encore moins

Il ne croit pas l’homme naturellement bon. Bien sûr, l’homme est aussi capable de bonté, mais ses peurs, sa violence et son rejet de l’autre prennent souvent le dessus. Selon la terminologie paulienne, l’homme est pécheur.

Cette anthropologie n’est pas désespérée car Dieu ne nous laisse pas ainsi. Il nous rejoint en Christ, « travaille » en nous par son Esprit. Il fait ainsi de nous une « nouvelle créature », capable, au moins par instants, d’amour, de foi et d’espérance (I Co 13).

Malgré tout, le « vieil homme » a la vie dure.

L’humanité devra en tenir compte.

En limitant tous les pouvoirs (du fait du péché, tout pouvoir peut devenir abusif ou idolâtre).

En relativisant toutes les morales, surtout religieuses. En ne prétendant détenir aucune vérité, qu’elle soit politique, philosophique ou religieuse.

Jésus, victime sacrificielle ?

L’affaire est entendue : Jésus est condamné par des hommes.

Pour Jésus, cette mort n’est pas une surprise. Il sait que son message et ses actes le condamnent.

Jésus croit même qu’il doit mourir. La croix n’est donc pas seulement la conséquence de son message et de ses actes (comme la torture et la déportation pouvaient l’être pour des résistants). Elle fait partie de la Bonne Nouvelle. Jésus doit mourir.

Quant à Dieu, « au mieux », il consent à cette mort et laisse mourir Jésus, sans le secourir.

« Au pire », cette mort fait partie de son projet. Au jardin de Gethsémané, la nuit de son arrestation, Jésus sous-entend que son arrestation fait partie du projet de Dieu : « Non pas ce que je veux mais ce que tu veux » dit-il à son Père.

Pourquoi Dieu désirerait-il la mort de Jésus ?

Depuis 2000 ans, plusieurs réponses ont été proposées, à partir des letrtes de Paul.

Commençons par les doctrines de l’expiation, de la substitution ou de la rétribution.

Dieu serait en colère contre les hommes, pécheurs, désobéissants, en rupture avec Lui.

Pour les pardonner, il aurait « mis en place » un sacrifice, le plus précieux de tous, celui de Jésus.

Un échange aurait ainsi eu lieu : Jésus aurait subi à notre place la colère de Dieu afin que nous soyons pardonnés. Il se serait substitué à nous, aurait payé à notre place.

Envisagé sous le seul angle d’une annulation de dette, cette doctrine est illogique et scandaleuse.

Illogique car, habituellement, c’est le débiteur qui « règle la note » !

Scandaleuse car un Dieu qui exige la mort de son « fils bien aimé » pour pardonner, ressemble davantage à une idole perverse qu’à Dieu, tel que Jésus nous le donne à connaître.

Nietzsche, petit-fils de pasteur, fulmine contre cette interprétation : « Dieu a offert son fils en sacrifice pour la rémission des péchés. D’un seul coup, c’en était fini de l’Evangile … Le sacrifice et sous sa forme la plus répugnante, la plus barbare, le sacrifice de l’innocent pour les péchés des coupables. Quel effroyable paganisme ! ».

Paul et l’auteur de la lettre aux Hébreux reprennent cet axe sacrificiel mais approfondissent la réflexion : Jésus aurait bien été offert en victime sacrificielle. Seulement, dans la lignée des sacrifices de l’Ancien Testament, ce sacrifice ultime n’a pas pour but de calmer la colère de Dieu mais de renouer la communion entre Dieu et les hommes.

Par la mort de Jésus sur la croix, Dieu contraint l’homme à réaliser où le conduit le péché … dans l’espoir qu’il réagisse enfin (de même que la seconde guerre et ses horreurs était peut-être nécessaire pour que les Européens prennent conscience de l’absurdité de les conflits nationaux et de la nécessité d’une unité européenne).

Par la mort de Jésus sur la croix, l’homme réalise qu’à son refus de l’Evangile, Dieu répond par un « oui ».

Le « oui » de Dieu aux humains

Il y a une paradoxale convergente entre la volonté bonne de Dieu et la volonté mauvaise des hommes.

Christ se donne complètement au moment même où l’homme le rejette complètement. Aucune révolte humaine ne peut écarter Dieu et l’empêcher de nous aimer.

Dieu pardonne la foule qui hurle « à mort »

Juifs et Romains refusent sa proposition : Il l’étend à toute l’humanité.

Les hommes font œuvre de mort ? Dieu ouvre les portes de la résurrection.

Il y a une dissymétrie absolue entre les humains et Dieu.

Ainsi, le salut est le fruit de la grâce, de l’amour inconditionnel de Dieu, et non des mérites ou œuvres des humains.

Cette interprétation, au coeur du christianisme, le différencie radicalement d’autres religions de l’humanité. Dieu n’est pas juste, il est amour ; il ne nous punit pas (et ne nous récompense pas) selon nos actions, notre fidélité ou infidélité. Il répond à la haine par l’amour et au rejet par la grâce.

Dieu au cœur de la souffrance

Jésus a souffert : physiquement, moralement (sa mort signe le refus par les hommes de son offre d’un monde nouveau et d’une foi nouvelle), spirituellement (il s’est cru abandonné de Dieu).

Le Credo confesse même que Jésus « est descendu aux enfers ».

Rappelons que dans le premier testament, la mort, le shéol, est le lieu où Dieu n’est pas et où l’homme est irrémédiablement seul … c’est pourquoi certains hommes sont morts … avant leur disparition biologique.

Jésus a connu et vécu cette solitude absolue.

Les Eglises d’Orient vont donner à cette « descente » une portée extraordinaire. Jésus descend aux enfers comme la police fait une descente : pour combattre un pouvoir malfaisant. Il brise les verrous des portes de la mort, vainc Satan et libère ses prisonniers. Puis il remonte auprès du Père en tirant derrière lui les morts qu’il a libérés. Ainsi, le Christ descend aux enfers pour libérer ceux qu’il aime de l’emprisonnement. Cette « descente » n’est pas seulement la suite logique de la crucifixion ; c’est les prémices de la résurrection : Jésus manifeste sa victoire en allant prendre possession des enfers.

Eph 4, 8-10 : « Celui qui est descendu, c’est le même que celui qui est monté au-dessus de tous les cieux afin de remplir toutes choses ».

Ainsi, il n’y a plus de shéol, de lieu de souffrance où Dieu n’est pas.

Désormais, toutes nos souffrances sont accompagnées.

Nos morts aussi. Dieu est présent dans nos morts, grandes ou petites, par exemple lorsque nous faisons l’expérience du remord, de la culpabilité, de la souffrance.

I Co 1, 18- I Co 2,5

Car la prédication de la croix est une folie pour ceux qui périssent ; mais pour nous qui sommes sauvés, elle est une puissance de Dieu.

19 Aussi est-il écrit : Je détruirai la sagesse des sages, Et j’anéantirai l’intelligence des intelligents.

20 Où est le sage ? où est le scribe ? où est le raisonneur de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse du monde ?

21 Car puisque le monde, avec sa sagesse, n’a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication.

22 Les Juifs demandent des miracles et les Grecs cherchent la sagesse:

23 nous, nous prêchons Christ crucifié ; scandale pour les Juifs et folie pour les païens,

24 mais puissance de Dieu et sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs.

25 Car la folie de Dieu est plus sage que les hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes.

26 Considérez, frères, que parmi vous qui avez été appelés il n’y a ni beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles.

27 Mais Dieu a choisi les choses folles du monde pour confondre les sages ; Dieu a choisi les choses faibles du monde pour confondre les fortes ;

28 et Dieu a choisi les choses viles du monde et celles qu’on méprise, celles qui ne sont point, pour réduire à néant celles qui sont,

29 afin que nulle chair ne se glorifie devant Dieu.

30 Or, c’est par lui que vous êtes en Jésus-Christ, lequel, de par Dieu, a été fait pour nous sagesse, justice et sanctification et rédemption,

31 afin, comme il est écrit, Que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur.

1 Pour moi, frères, lorsque je suis allé chez vous, ce n’est pas avec une supériorité de langage ou de sagesse que je suis allé vous annoncer le témoignage de Dieu.

2 Car je ne veux rien savoir d’autre, parmi vous, que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié.

Moi-même j’étais auprès de vous dans un état de faiblesse, de crainte, et de grand tremblement ;

4 et ma parole et ma prédication ne reposaient pas sur les discours persuasifs de la sagesse, mais sur une démonstration d’Esprit et de puissance,

5 afin que votre foi fût fondée, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu.

Quelques livres

Nouveau testament interlinéaire grec – français

L’avorton de Dieu, Alain Decaux, DDB

La folie de Dieu, lettre de Paul aux chrétiens d’aujourd’hui (I Co 1-4), éd du moulin

De Jésus à Paul, l’éthique du Nouveau Testament, JF Collange, Labor et fidès