La pensée de Paul : les dons spirituels

La pensée de Paul

Les dons spirituels

Le Saint-Esprit et les dons spirituels : quoi et pour quoi ?

L’Antiquité est traversée par différents courants.

Il y a la philosophie greco-latine, avec laquelle Jean et Paul dialoguent.

Il y a la pensée juive, « racine » du christianisme. Paul, dans sa lettre aux Romains, avertit les chrétiens qui prétendraient rompre avec elle: « Ce n’est pas toi qui portes la racine, c’est la racine qui te porte ».

Il y a, enfin, les phénomènes extatiques, les transes, visions, prophéties, qui agitent les populations. Ces phénomènes sont également présents dans le christianisme, notamment à Corinthe.

Paul entend avertir les chrétiens que tous ces phénomènes ne sont pas des dons du Saint-Esprit et tous ne sont pas pareillement utiles à la vie communautaire.

Pour cela, Paul situe les enjeux en partant du Saint-Esprit et de ses fruits en nous.

– Pourquoi le Saint-Esprit agit-il en nous ? Pour nous libérer de la servitude.

Le premier fruit de l’Esprit est donc la liberté intérieure.

– Que nous fait-il découvrir ? Que nous sommes des enfants aimés de Dieu.

Le deuxième fruit est la tranquille assurance d’être adoptés par Dieu, sans condition.

– Que modifie-t-il dans notre relation à autrui ? Il nous rend capable d’aimer.

C’est le 3ème fruit de l’Esprit.

Ainsi, l’Esprit saint modifie ma perception de Dieu, du prochain et de moi-même :

– de Dieu car je ne suis plus dans une relation de peur ou de dépendance infantile mais je découvre un Dieu qui m’adopte, m’accueille et m’aime avec ce que je suis.

– de moi-même car je découvre que je ne suis ni « une marionnette entre les mains des dieux » comme le pensaient les Grecs, ni une parcelle de la divinité comme l’affirmeront les gnostiques mais un fils (ou une fille!) adopté(e)

– du prochain qui devient, à mes yeux, un autre enfant adopté de Dieu et donc un frère (ou une soeur !).

Romains 8,14-18 : L’Esprit nous libère de la servitude

Tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu.

Et vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions: Abba ! Père !

L’Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.

Or, si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers : héritiers de Dieu, et cohéritiers de Christ, puisque, ayant part à ses souffrances, nous aurons part aussi à sa gloire. J’espère en effet que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous ».

Galates 5, 1; 13-25 : Etre conduit par l’Esprit pour aimer

C’est pour que vous soyez vraiment libres que Christ vous a libérés. Tenez donc fermes et ne vous laissez pas remettre sous le joug de l’esclavage…Vous, frères, c’est à la liberté que vous avez été appelés. Seulement, que cette liberté ne donne aucune prise à la chair. Mais, par l’amour, mettez-vous au service les uns des autres. Car la loi tout entière trouve son accomplissement en cette parole unique : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Mais si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde : vous allez vous détruire les uns les autres. Ecoutez-moi : marchez sous l’impulsion de l’Esprit et vous n’accomplirez plus ce que la chair désire. Car la chair, en ses désirs, s’oppose à l’Esprit et l’Esprit à la chair; les deux sont antagonistes. Aussi ne faites-vous pas ce que vous voulez. Mais si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes plus soumis à la Loi. On les connaît les oeuvres de la chair : libertinage, impureté, débauche, idolâtrie, magie, haines, discorde, jalousie, emportements, rivalités, dissensions, factions, envie, beuverie, ripailles et autres choses semblables; leurs auteurs, je vous en préviens, comme je vous le dis, n’hériteront pas du royaume de Dieu.

Mais voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi : contre de telles choses, il n’y a pas de loi.

Ceux qui sont au Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses désirs.

Si nous vivons par l’Esprit, marchons aussi par l’Esprit.

Nous l’avons vu, Paul ne propose pas une nouvelle Loi (« Si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes plus soumis à la Loi »).

Il ne fournit pas non plus une éthique, au sens laïc du terme (une réflexion rationnelle sur les comportements humains, afin de « bien faire ce qui est bien »).

Pour Paul, le chrétien agit comme Dieu a agi envers lui, avec l’assistance de l’Esprit de Dieu.

En découvrant ce que Dieu a fait pour lui, en percevant jusqu’où va l’amour du Christ, le chrétien change son échelle de valeurs et s’efforce de vivre selon ses convictions.

Ce n’est pas pour autant qu’il y arrive (rappelez-vous Romains 7, 15 : « Effectivement, je ne comprends rien à ce que je fais ; ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais je le fais« ).

Si la bonne volonté suffit pour respecter les 10 commandements ou aider les plus fragiles, elle ne permet pas d’aimer, de pardonner ou d’être dans la joie.

Seul l’Esprit me transforme intérieurement et me permet de mener une vie fructueuse.

Cette « vie nouvelle » est un élément essentiel, pour Paul, de sa « pneumatologie » (de « pneuma » : le souffle, l’Esprit et « logos : la parole » ; on parlera aussi d’une « théologie » : « discours sur Dieu », ou d’une « christologie » : enseignement sur le Christ).

Un combat spirituel

En chacun de nous, lorsque nous le laissons agir, l’Esprit apporte la liberté intérieure, une relation confiante avec Dieu et une plus grande capacité à aimer.

Ces fruits font l’objet d’un combat permanent car, spontanément, je résiste à cette action intérieure de Dieu.

Paul parle du « combat spirituel » qu’il assimile à une compétition sportive pour laquelle je dois m’entrainer, et mobiliser mon énergie si je veux remporter la victoire.

Et comme en sport, rien n’est définitivement acquis :

Philippiens 3,13 : Frères, je n’estime pas l’avoir déjà saisi (le lien intime avec le Christ). Mon seul souci : oubliant le chemin parcouru et tout tendu en avant, je m’élance vers le but, en vue du prix attaché à l’appel d’en haut que Dieu nous adresse en Jésus-Christ »

I Timothée 4,6-8 : Pour moi, voici que je suis déjà offert en sacrifice et que le temps de mon départ est arrivé. J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi. Dès maintenant m’est réservée la couronne de justice qu’en retour me donnera le Seigneur, en ce Jour-là, lui le juste juge; et pas seulement à moi mais à tous ceux qui auront aimé sa manifestation.

L’Esprit de Dieu et les dons spirituels

Le Saint-Esprit diffuse en chacun de nous des fruits comparables : paix, patience, amour etc.

Il peut aussi se manifester par des dons spirituels, spécifiques et parfois temporaires.

Il y a ainsi le don de prophétie, celui de guérison, voire le don de « parler en langues ».

I Corinthiens 12,4-11 : Il y a diversité de dons de la grâce, mais c’est le même Esprit; diversité de ministères, mais c’est le même Seigneur; diversité de modes d’action, mais c’est le même Dieu qui, en tous, met tout en oeuvre.

A chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien de tous.

A l’un, par l’Esprit, est donné un message de sagesse, à l’autre, un message de connaissance, selon le même Esprit; à l’un, dans le même Esprit, c’est la foi; à un autre, dans l’unique Esprit, ce sont des dons de guérison; à tel autre, d’opérer des miracles, à tel autre, de prophétiser, à tel autre, de discerner les esprits, à tel autre encore, de parler en langues; enfin à tel autre, de les interpréter. Mais tout cela, c’est l’unique et même Esprit qui le met en oeuvre, accordant à chacun des dons personnels divers, comme il veut.

L’amour, le plus grand des dons

Le plus important des dons spirituels est l’amour, comme il l’écrit dans cette page célèbre

I Corinthiens 13 :Quand je parlerais en langues, celle des hommes et celle des anges, s’il me manque l’amour, je suis un métal qui résonne, une cymbale retentissante.

Quand j’aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et de toute la connaissance, quand j’aurais la foi la plus totale, celle qui transporte les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien.

Quand je distribuerais tous mes biens aux affamés, quand je livrerais mon corps aux flammes, s’il me manque l’amour, je n’y gagne rien.

L’amour prend patience, l’amour rend service, il ne jalouse pas, il ne plastronne pas, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il n’entretient pas de rancune, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il trouve sa joie dans la vérité.

Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout.

L’amour ne disparaît jamais. Les prophéties? Elles seront abolies. Les langues? Elles prendront fin. La connaissance ? Elle sera abolie. Car notre connaissance est limitée, et limitée notre prophétie. Mais quand viendra la perfection, ce qui est limité sera aboli.

Lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant. Devenu homme, j’ai mis fin à ce qui était propre à l’enfant. A présent, nous voyons dans un miroir et de façon confuse, mais alors, ce sera face à face. A présent, ma connaissance est limitée, alors, je connaîtrai comme je suis connu. Maintenant donc ces trois-là demeurent, la foi, l’espérance et l’amour, mais l’amour est le plus grand.

L’amour n’est pas seulement le plus grand des dons spirituels. Il polarise les autres dons. Sans lui, ces dons deviennent inutiles voire dangereux.

Sans amour, la foi devient du fanatisme, l’espérance une fuite du réel, la générosité un moyen de se mettre en valeur.

Paul va même plus encore : sans amour, ma vie, elle-même, n’a aucun sens.

« Sans amour, je ne suis rien ».

Mais qu’entend-il par amour ?

La langue française est curieusement pauvre en ce domaine.

Elle utilise un même mot pour évoquer des relations très diverses : l’amour « amoureux », l’amour voué à ses proches, l’amour d’une langue ou d’une culture, l’amour du prochain.

L’angalis dispose de deux mots différents : like et love.

Le grec, langue du Nouveau Testament, en a quatre : porneia (relation sexuelle), eros (sentiment amoureux), philia (l’affinité intellectuelle), agape (le sentiment de bienveillance).

C’est ce 4ème sens qui s’impose ici.

Sans cette bienveillance, enracinée dans celle de Dieu pour nous, les autres dons sont inutiles ou nuisibles.

Paul nous exhorte à aimer en adulte.

Remarquons que « l’esprit d’enfance » est présenté favorablement par Jésus et négativement par Paul. C’est qu’ils n’entendent pas la même chose.

Pour Jésus, l’enfant ets celui qui fait confiance. C’est pourquoi il invite à « recevoir le Royaume comme un enfant ».

Pour Paul, l’enfant est celui qui n’a pas muri. Paul invite donc à passer d’un amour infantile, qui consiste à aimer Dieu et sonprochain pour ce qu’il peuvent nous apporter, à amour adulte, qui consiste à vouloir du bien.

Des dons pour l’édification de tous

Après avoir hiérarchisé les dons, Paul revient sur deux dons, particulièrement en vogue chez les Corinthiens, mais qui posent parfois problème : le don de prophétie et celui du « parler en langue ». .

I Corinthiens 14: Recherchez l’amour. Aspirez aussi aux dons spirituels, mais surtout à celui de prophétie. En effet, celui qui parle en langue ne parle pas aux hommes, mais à Dieu, car personne ne le comprend, et c’est en esprit qu’il dit des mystères.

Celui qui prophétise, au contraire, parle aux hommes, les édifie, les exhorte, les console.

Celui qui parle en langue s’édifie lui-même ; celui qui prophétise édifie l’Eglise.

Je désire que vous parliez tous en langues, mais encore plus que vous prophétisiez.

Celui qui prophétise est plus grand que celui qui parle en langues, à moins que ce dernier n’interprète, pour que l’Eglise en reçoive de l’édification.

Et maintenant, frères, de quelle utilité vous serais-je, si je venais à vous parlant en langues, et si je ne vous parlais pas par révélation, ou par connaissance, ou par prophétie, ou par doctrine ?

Si les objets inanimés qui rendent un son, comme une flûte ou une harpe, ne rendent pas des sons distincts, comment reconnaîtra-t-on ce qui est joué sur la flûte ou sur la harpe ?

Et si la trompette rend un son confus, qui se préparera au combat ?

De même vous, si par la langue vous ne donnez pas une parole distincte, comment saura-t-on ce que vous dites ? Car vous parlerez en l’air.

Quelque nombreuses que puissent être dans le monde les diverses langues, il n’en est aucune qui ne soit une langue intelligible ; si donc je ne connais pas le sens de la langue, je serai un barbare pour celui qui parle, et celui qui parle sera un barbare pour moi.

De même vous, puisque vous aspirez aux dons spirituels, que ce soit pour l’édification de l’Eglise que vous cherchiez à en posséder abondamment.

C’est pourquoi, que celui qui parle en langue prie pour avoir le don d’interpréter.

Car si je prie en langue, mon esprit est en prière, mais mon intelligence demeure stérile.

Que faire donc ? Je prierai par l’esprit, mais je prierai aussi avec l’intelligence ; je chanterai par l’esprit, mais je chanterai aussi avec l’intelligence.Autrement, si tu rends grâces par l’esprit, comment celui qui est dans les rangs de l’homme du peuple répondra-t-il Amen ! à ton action de grâces, puisqu’il ne sait pas ce que tu dis ?

Tu rends, il est vrai, d’excellentes actions de grâces, mais l’autre n’est pas édifié.

Je rends grâces à Dieu de ce que je parle en langue plus que vous tous ; mais, dans l’Eglise, j’aime mieux dire cinq paroles avec mon intelligence, afin d’instruire aussi les autres, que dix mille paroles en langue.

Frères, ne soyez pas des enfants sous le rapport du jugement ; mais pour la malice, soyez enfants, et, à l’égard du jugement, soyez des hommes faits.

Il est écrit dans la loi : C’est par des hommes d’une autre langue Et par des lèvres d’étrangers Que je parlerai à ce peuple, Et ils ne m’écouteront pas même ainsi, dit le Seigneur.

Par conséquent, les langues sont un signe, non pour les croyants, mais pour les non-croyants ; la prophétie, au contraire, est un signe, non pour les non-croyants, mais pour les croyants.

Si donc, dans une assemblée de l’Eglise entière, tous parlent en langues, et qu’il survienne des hommes du peuple ou des non-croyants, ne diront-ils pas que vous êtes fous ?

Mais si tous prophétisent, et qu’il survienne quelque non-croyant ou un homme du peuple, il est convaincu par tous, il est jugé par tous, les secrets de son cœur sont dévoilés, de telle sorte que, tombant sur sa face, il adorera Dieu, et publiera que Dieu est réellement au milieu de vous.

Que faire donc, frères ? Lorsque vous vous assemblez, les uns ou les autres parmi vous ont-ils un cantique, une instruction, une révélation, une langue, une interprétation, que tout se fasse pour l’édification.

En est-il qui parlent en langue, que deux ou trois au plus parlent, chacun à son tour, et que quelqu’un interprète ; s’il n’y a point d’interprète, qu’on se taise dans l’Eglise, et qu’on parle à soi-même et à Dieu.

Pour ce qui est des prophètes, que deux ou trois parlent, et que les autres jugent ; et si un autre qui est assis a une révélation, que le premier se taise.

Car vous pouvez tous prophétiser successivement, afin que tous soient instruits et que tous soient exhortés.

Les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes ; car Dieu n’est pas un Dieu de désordre, mais de paix.

Comme dans toutes les Eglises des saints, que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis d’y parler ; mais qu’elles soient soumises, selon que le dit aussi la loi. Si elles veulent s’instruire sur quelque chose, qu’elles interrogent leurs maris à la maison ; car il est malséant à une femme de parler dans l’Eglise.

Est-ce de chez vous que la parole de Dieu est sortie ? ou est-ce à vous seuls qu’elle est parvenue ?

Si quelqu’un croit être prophète ou inspiré, qu’il reconnaisse que ce que je vous écris est un commandement du Seigneur. Et si quelqu’un l’ignore, qu’il l’ignore.

Ainsi donc, frères, aspirez au don de prophétie, et n’empêchez pas de parler en langues.

Mais que tout se fasse avec bienséance et avec ordre.

Le don de la prophétie

Paul rappelle aux Corinthiens à quoi servent les dons spirituels : Dieu les dispense pour l’édification de tous, croyants et non croyants. Or, ces dons ne servent à l’édification (au sens de construction humaine et spirituelle de la personne) que si elles sont intelligibles.

En ce sens, la prophétie est préférable car elle est souvent intelligible. Par contre, du moins dans l’Eglise de Corinthe, elle est un facteur de désordre. Paul insiste donc sur la nécessité d’une écoute mutuelle et d’un déroulement ordonné des célébrations afin que les fidèles soient nourris.

Cette question traversera l’ensemble des Eglises pendant plusieurs siècles et surgira de nouveau, à certains moments de l’hhistoire de l’Eglise (les Camisards, les « brigadiers de la Drome », le pentecôtisme).

L’auteur de l’Apocalypse présente son livre comme une prophétie.

Il se revendique donc comme prophète.

Dans les premiers temps de l’Eglise, le ministère prophétique a une fonction pastorale : exhortation; mise en garde, réprimande, évangélisation.

Il n’est pas lié à un lieu.

En Asie mineure, cette liberté de l’inspiré est équilibrée (contrôlée ?) par l’évêque.

Le phénomène prophétique chrétien prend naissance à la Pentecôte et se prolonge avec Pierre, Judas et Silas, Agabus etc.

A Ephèse, les nouveaux fidèles, baptisés par Paul, reçoivent le St Esprit et prophétisent.

L’auteur de l’Apocalypse se réclame du seul titre de prophète.

Dans la Didaché (l’un des premiers ouvrages de doctrine chrétienne), les prophètes sont itinérants. Ils doivent être reçus avec respect mais en vérifiant leur désintéressement.

Ignace, Eusèbe, Irénée évoquent ce ministère ou le revendiquent.

En Occident, les charismes n’y sont reconnus qu’avec réserve.

En I Corinthiens 14, nous l’avons vu, la prophétie est un charisme désirable qui révèle des vérités inaccessibles à la nature humaine. Le prophète peut édifier, exhorter, encourager.

Ce don est donc au service de la communauté.

Les auteurs romains abordent superficiellement le sujet.

Hermas enseigne à distinguer le faux prophète du vrai : ce dernier ne prend la parole que poussé par l’Esprit. Il ne se met pas en avant et n’accepte pas d’être rémunéré. « Finalement, c’est à leur manière de vivre qu’on distingue les faux prophètes des vrais ».

Tertullien ne cite pas les prophètes parmi les ministères qui comptent.

Au final, l’Eglise occidentale minimise fortement le caractère pneumatique de ce don, en restreint la liberté première et l’identifie pratiquement à un enseignement inspiré mais soumis au contrôle de la foi commune.

Le parler en langues

Il diffère du don de la Pentecôte.

Le jour de la Pentecôte, les fidèles rassemblés louent Dieu, chacun dans sa propre langue maternelle.

Ce miracle a une dimension évidemment symbolique : désormais, l’Eglise est universelle et cette universalité n’empêche pas la communion. Les chrétiens restent différents, de personnalité, de culture et de langue mais ils se comprennent les uns les autres.

Est ainsi dépassée l’alternative mortifère de la tour de Babel, entre uniformité et diversité sans communion.

Ici, la langue dont il s’agit est céleste. Nous avons affaire à une forme de transe spirituelle. Pour Paul, qui ne peut s’empêcher de se vanter ( » Je rends grâce à Dieu de ce que je parle en langues plus que vous tous »), le parler en langues ne sert à l’édification d’autrui que s’il est interprété. Sinon, ce don ajoute au désordre, est mis au service de l’orgueil spirituel du croyant … et fait fuir les nouveaux venus.

Irénée mentionne la glossalalie (« parler en langues ») qui « manifeste les secrets des hommes et expose les mystères de Dieu ». « On appelle ces gens « spirituels » parce que leur chair est visitée par l’Esprit ».

Et les femmes ?

Dans cet extrait de la première lettre aux Corinthiens, Paul ne se démarque pas d’un bien triste présupposé. Il ne marche pas à la suite de Jésus, dont l’attitude par rapport aux femmes est révolutionnaire.

C’est d’autant plus dommageable que Paul n’aborde pas ce thème pour parler des femmes en général mais de l’attitude des femmes corinthiennes. Il y a avait parmi elles des prophétesses qui troublaient la sérénité des célébrations. Ce sont ces femmes-là que Paul invite à se taire.

Ainsi, Paul part d’une situation particulière, celle des prophétesses corinthiennes, pour sombrer dans une généralisation anti-évangélique.

La pensée de Paul

Les dons spirituels

Le Saint-Esprit et les dons spirituels : quoi et pour quoi ?

L’Antiquité est traversée par différents courants.

Il y a la philosophie greco-latine, avec laquelle Jean et Paul dialoguent.

Il y a la pensée juive, « racine » du christianisme. Paul, dans sa lettre aux Romains, avertit les chrétiens qui prétendraient rompre avec elle: « Ce n’est pas toi qui portes la racine, c’est la racine qui te porte ».

Il y a, enfin, les phénomènes extatiques, les transes, visions, prophéties, qui agitent les populations. Ces phénomènes sont également présents dans le christianisme, notamment à Corinthe.

Paul entend avertir les chrétiens que tous ces phénomènes ne sont pas des dons du Saint-Esprit et tous ne sont pas pareillement utiles à la vie communautaire.

Pour cela, Paul situe les enjeux en partant du Saint-Esprit et de ses fruits en nous.

– Pourquoi le Saint-Esprit agit-il en nous ? Pour nous libérer de la servitude.

Le premier fruit de l’Esprit est donc la liberté intérieure.

– Que nous fait-il découvrir ? Que nous sommes des enfants aimés de Dieu.

Le deuxième fruit est la tranquille assurance d’être adoptés par Dieu, sans condition.

– Que modifie-t-il dans notre relation à autrui ? Il nous rend capable d’aimer.

C’est le 3ème fruit de l’Esprit.

Ainsi, l’Esprit saint modifie ma perception de Dieu, du prochain et de moi-même :

– de Dieu car je ne suis plus dans une relation de peur ou de dépendance infantile mais je découvre un Dieu qui m’adopte, m’accueille et m’aime avec ce que je suis.

– de moi-même car je découvre que je ne suis ni « une marionnette entre les mains des dieux » comme le pensaient les Grecs, ni une parcelle de la divinité comme l’affirmeront les gnostiques mais un fils (ou une fille!) adopté(e)

– du prochain qui devient, à mes yeux, un autre enfant adopté de Dieu et donc un frère (ou une soeur !).

Romains 8,14-18 : L’Esprit nous libère de la servitude

Tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu.

Et vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions: Abba ! Père !

L’Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.

Or, si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers : héritiers de Dieu, et cohéritiers de Christ, puisque, ayant part à ses souffrances, nous aurons part aussi à sa gloire. J’espère en effet que les souffrances du temps présent sont sans proportion avec la gloire qui doit être révélée en nous ».

Galates 5, 1; 13-25 : Etre conduit par l’Esprit pour aimer

C’est pour que vous soyez vraiment libres que Christ vous a libérés. Tenez donc fermes et ne vous laissez pas remettre sous le joug de l’esclavage…Vous, frères, c’est à la liberté que vous avez été appelés. Seulement, que cette liberté ne donne aucune prise à la chair. Mais, par l’amour, mettez-vous au service les uns des autres. Car la loi tout entière trouve son accomplissement en cette parole unique : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Mais si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, prenez garde : vous allez vous détruire les uns les autres. Ecoutez-moi : marchez sous l’impulsion de l’Esprit et vous n’accomplirez plus ce que la chair désire. Car la chair, en ses désirs, s’oppose à l’Esprit et l’Esprit à la chair; les deux sont antagonistes. Aussi ne faites-vous pas ce que vous voulez. Mais si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes plus soumis à la Loi. On les connaît les oeuvres de la chair : libertinage, impureté, débauche, idolâtrie, magie, haines, discorde, jalousie, emportements, rivalités, dissensions, factions, envie, beuverie, ripailles et autres choses semblables; leurs auteurs, je vous en préviens, comme je vous le dis, n’hériteront pas du royaume de Dieu.

Mais voici le fruit de l’Esprit : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi : contre de telles choses, il n’y a pas de loi.

Ceux qui sont au Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses désirs.

Si nous vivons par l’Esprit, marchons aussi par l’Esprit.

Nous l’avons vu, Paul ne propose pas une nouvelle Loi (« Si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes plus soumis à la Loi »).

Il ne fournit pas non plus une éthique, au sens laïc du terme (une réflexion rationnelle sur les comportements humains, afin de « bien faire ce qui est bien »).

Pour Paul, le chrétien agit comme Dieu a agi envers lui, avec l’assistance de l’Esprit de Dieu.

En découvrant ce que Dieu a fait pour lui, en percevant jusqu’où va l’amour du Christ, le chrétien change son échelle de valeurs et s’efforce de vivre selon ses convictions.

Ce n’est pas pour autant qu’il y arrive (rappelez-vous Romains 7, 15 : « Effectivement, je ne comprends rien à ce que je fais ; ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais je le fais« ).

Si la bonne volonté suffit pour respecter les 10 commandements ou aider les plus fragiles, elle ne permet pas d’aimer, de pardonner ou d’être dans la joie.

Seul l’Esprit me transforme intérieurement et me permet de mener une vie fructueuse.

Cette « vie nouvelle » est un élément essentiel, pour Paul, de sa « pneumatologie » (de « pneuma » : le souffle, l’Esprit et « logos : la parole » ; on parlera aussi d’une « théologie » : « discours sur Dieu », ou d’une « christologie » : enseignement sur le Christ).

Un combat spirituel

En chacun de nous, lorsque nous le laissons agir, l’Esprit apporte la liberté intérieure, une relation confiante avec Dieu et une plus grande capacité à aimer.

Ces fruits font l’objet d’un combat permanent car, spontanément, je résiste à cette action intérieure de Dieu.

Paul parle du « combat spirituel » qu’il assimile à une compétition sportive pour laquelle je dois m’entrainer, et mobiliser mon énergie si je veux remporter la victoire.

Et comme en sport, rien n’est définitivement acquis :

Philippiens 3,13 : Frères, je n’estime pas l’avoir déjà saisi (le lien intime avec le Christ). Mon seul souci : oubliant le chemin parcouru et tout tendu en avant, je m’élance vers le but, en vue du prix attaché à l’appel d’en haut que Dieu nous adresse en Jésus-Christ »

I Timothée 4,6-8 : Pour moi, voici que je suis déjà offert en sacrifice et que le temps de mon départ est arrivé. J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé la course, j’ai gardé la foi. Dès maintenant m’est réservée la couronne de justice qu’en retour me donnera le Seigneur, en ce Jour-là, lui le juste juge; et pas seulement à moi mais à tous ceux qui auront aimé sa manifestation.

L’Esprit de Dieu et les dons spirituels

Le Saint-Esprit diffuse en chacun de nous des fruits comparables : paix, patience, amour etc.

Il peut aussi se manifester par des dons spirituels, spécifiques et parfois temporaires.

Il y a ainsi le don de prophétie, celui de guérison, voire le don de « parler en langues ».

I Corinthiens 12,4-11 : Il y a diversité de dons de la grâce, mais c’est le même Esprit; diversité de ministères, mais c’est le même Seigneur; diversité de modes d’action, mais c’est le même Dieu qui, en tous, met tout en oeuvre.

A chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien de tous.

A l’un, par l’Esprit, est donné un message de sagesse, à l’autre, un message de connaissance, selon le même Esprit; à l’un, dans le même Esprit, c’est la foi; à un autre, dans l’unique Esprit, ce sont des dons de guérison; à tel autre, d’opérer des miracles, à tel autre, de prophétiser, à tel autre, de discerner les esprits, à tel autre encore, de parler en langues; enfin à tel autre, de les interpréter. Mais tout cela, c’est l’unique et même Esprit qui le met en oeuvre, accordant à chacun des dons personnels divers, comme il veut.

L’amour, le plus grand des dons

Le plus important des dons spirituels est l’amour, comme il l’écrit dans cette page célèbre

I Corinthiens 13 :Quand je parlerais en langues, celle des hommes et celle des anges, s’il me manque l’amour, je suis un métal qui résonne, une cymbale retentissante.

Quand j’aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et de toute la connaissance, quand j’aurais la foi la plus totale, celle qui transporte les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien.

Quand je distribuerais tous mes biens aux affamés, quand je livrerais mon corps aux flammes, s’il me manque l’amour, je n’y gagne rien.

L’amour prend patience, l’amour rend service, il ne jalouse pas, il ne plastronne pas, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il n’entretient pas de rancune, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il trouve sa joie dans la vérité.

Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout.

L’amour ne disparaît jamais. Les prophéties? Elles seront abolies. Les langues? Elles prendront fin. La connaissance ? Elle sera abolie. Car notre connaissance est limitée, et limitée notre prophétie. Mais quand viendra la perfection, ce qui est limité sera aboli.

Lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant. Devenu homme, j’ai mis fin à ce qui était propre à l’enfant. A présent, nous voyons dans un miroir et de façon confuse, mais alors, ce sera face à face. A présent, ma connaissance est limitée, alors, je connaîtrai comme je suis connu. Maintenant donc ces trois-là demeurent, la foi, l’espérance et l’amour, mais l’amour est le plus grand.

L’amour n’est pas seulement le plus grand des dons spirituels. Il polarise les autres dons. Sans lui, ces dons deviennent inutiles voire dangereux.

Sans amour, la foi devient du fanatisme, l’espérance une fuite du réel, la générosité un moyen de se mettre en valeur.

Paul va même plus encore : sans amour, ma vie, elle-même, n’a aucun sens.

« Sans amour, je ne suis rien ».

Mais qu’entend-il par amour ?

La langue française est curieusement pauvre en ce domaine.

Elle utilise un même mot pour évoquer des relations très diverses : l’amour « amoureux », l’amour voué à ses proches, l’amour d’une langue ou d’une culture, l’amour du prochain.

L’angalis dispose de deux mots différents : like et love.

Le grec, langue du Nouveau Testament, en a quatre : porneia (relation sexuelle), eros (sentiment amoureux), philia (l’affinité intellectuelle), agape (le sentiment de bienveillance).

C’est ce 4ème sens qui s’impose ici.

Sans cette bienveillance, enracinée dans celle de Dieu pour nous, les autres dons sont inutiles ou nuisibles.

Paul nous exhorte à aimer en adulte.

Remarquons que « l’esprit d’enfance » est présenté favorablement par Jésus et négativement par Paul. C’est qu’ils n’entendent pas la même chose.

Pour Jésus, l’enfant ets celui qui fait confiance. C’est pourquoi il invite à « recevoir le Royaume comme un enfant ».

Pour Paul, l’enfant est celui qui n’a pas muri. Paul invite donc à passer d’un amour infantile, qui consiste à aimer Dieu et sonprochain pour ce qu’il peuvent nous apporter, à amour adulte, qui consiste à vouloir du bien.

Des dons pour l’édification de tous

Après avoir hiérarchisé les dons, Paul revient sur deux dons, particulièrement en vogue chez les Corinthiens, mais qui posent parfois problème : le don de prophétie et celui du « parler en langue ». .

I Corinthiens 14: Recherchez l’amour. Aspirez aussi aux dons spirituels, mais surtout à celui de prophétie. En effet, celui qui parle en langue ne parle pas aux hommes, mais à Dieu, car personne ne le comprend, et c’est en esprit qu’il dit des mystères.

Celui qui prophétise, au contraire, parle aux hommes, les édifie, les exhorte, les console.

Celui qui parle en langue s’édifie lui-même ; celui qui prophétise édifie l’Eglise.

Je désire que vous parliez tous en langues, mais encore plus que vous prophétisiez.

Celui qui prophétise est plus grand que celui qui parle en langues, à moins que ce dernier n’interprète, pour que l’Eglise en reçoive de l’édification.

Et maintenant, frères, de quelle utilité vous serais-je, si je venais à vous parlant en langues, et si je ne vous parlais pas par révélation, ou par connaissance, ou par prophétie, ou par doctrine ?

Si les objets inanimés qui rendent un son, comme une flûte ou une harpe, ne rendent pas des sons distincts, comment reconnaîtra-t-on ce qui est joué sur la flûte ou sur la harpe ?

Et si la trompette rend un son confus, qui se préparera au combat ?

De même vous, si par la langue vous ne donnez pas une parole distincte, comment saura-t-on ce que vous dites ? Car vous parlerez en l’air.

Quelque nombreuses que puissent être dans le monde les diverses langues, il n’en est aucune qui ne soit une langue intelligible ; si donc je ne connais pas le sens de la langue, je serai un barbare pour celui qui parle, et celui qui parle sera un barbare pour moi.

De même vous, puisque vous aspirez aux dons spirituels, que ce soit pour l’édification de l’Eglise que vous cherchiez à en posséder abondamment.

C’est pourquoi, que celui qui parle en langue prie pour avoir le don d’interpréter.

Car si je prie en langue, mon esprit est en prière, mais mon intelligence demeure stérile.

Que faire donc ? Je prierai par l’esprit, mais je prierai aussi avec l’intelligence ; je chanterai par l’esprit, mais je chanterai aussi avec l’intelligence.Autrement, si tu rends grâces par l’esprit, comment celui qui est dans les rangs de l’homme du peuple répondra-t-il Amen ! à ton action de grâces, puisqu’il ne sait pas ce que tu dis ?

Tu rends, il est vrai, d’excellentes actions de grâces, mais l’autre n’est pas édifié.

Je rends grâces à Dieu de ce que je parle en langue plus que vous tous ; mais, dans l’Eglise, j’aime mieux dire cinq paroles avec mon intelligence, afin d’instruire aussi les autres, que dix mille paroles en langue.

Frères, ne soyez pas des enfants sous le rapport du jugement ; mais pour la malice, soyez enfants, et, à l’égard du jugement, soyez des hommes faits.

Il est écrit dans la loi : C’est par des hommes d’une autre langue Et par des lèvres d’étrangers Que je parlerai à ce peuple, Et ils ne m’écouteront pas même ainsi, dit le Seigneur.

Par conséquent, les langues sont un signe, non pour les croyants, mais pour les non-croyants ; la prophétie, au contraire, est un signe, non pour les non-croyants, mais pour les croyants.

Si donc, dans une assemblée de l’Eglise entière, tous parlent en langues, et qu’il survienne des hommes du peuple ou des non-croyants, ne diront-ils pas que vous êtes fous ?

Mais si tous prophétisent, et qu’il survienne quelque non-croyant ou un homme du peuple, il est convaincu par tous, il est jugé par tous, les secrets de son cœur sont dévoilés, de telle sorte que, tombant sur sa face, il adorera Dieu, et publiera que Dieu est réellement au milieu de vous.

Que faire donc, frères ? Lorsque vous vous assemblez, les uns ou les autres parmi vous ont-ils un cantique, une instruction, une révélation, une langue, une interprétation, que tout se fasse pour l’édification.

En est-il qui parlent en langue, que deux ou trois au plus parlent, chacun à son tour, et que quelqu’un interprète ; s’il n’y a point d’interprète, qu’on se taise dans l’Eglise, et qu’on parle à soi-même et à Dieu.

Pour ce qui est des prophètes, que deux ou trois parlent, et que les autres jugent ; et si un autre qui est assis a une révélation, que le premier se taise.

Car vous pouvez tous prophétiser successivement, afin que tous soient instruits et que tous soient exhortés.

Les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes ; car Dieu n’est pas un Dieu de désordre, mais de paix.

Comme dans toutes les Eglises des saints, que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis d’y parler ; mais qu’elles soient soumises, selon que le dit aussi la loi. Si elles veulent s’instruire sur quelque chose, qu’elles interrogent leurs maris à la maison ; car il est malséant à une femme de parler dans l’Eglise.

Est-ce de chez vous que la parole de Dieu est sortie ? ou est-ce à vous seuls qu’elle est parvenue ?

Si quelqu’un croit être prophète ou inspiré, qu’il reconnaisse que ce que je vous écris est un commandement du Seigneur. Et si quelqu’un l’ignore, qu’il l’ignore.

Ainsi donc, frères, aspirez au don de prophétie, et n’empêchez pas de parler en langues.

Mais que tout se fasse avec bienséance et avec ordre.

Le don de la prophétie

Paul rappelle aux Corinthiens à quoi servent les dons spirituels : Dieu les dispense pour l’édification de tous, croyants et non croyants. Or, ces dons ne servent à l’édification (au sens de construction humaine et spirituelle de la personne) que si elles sont intelligibles.

En ce sens, la prophétie est préférable car elle est souvent intelligible. Par contre, du moins dans l’Eglise de Corinthe, elle est un facteur de désordre. Paul insiste donc sur la nécessité d’une écoute mutuelle et d’un déroulement ordonné des célébrations afin que les fidèles soient nourris.

Cette question traversera l’ensemble des Eglises pendant plusieurs siècles et surgira de nouveau, à certains moments de l’hhistoire de l’Eglise (les Camisards, les « brigadiers de la Drome », le pentecôtisme).

L’auteur de l’Apocalypse présente son livre comme une prophétie.

Il se revendique donc comme prophète.

Dans les premiers temps de l’Eglise, le ministère prophétique a une fonction pastorale : exhortation; mise en garde, réprimande, évangélisation.

Il n’est pas lié à un lieu.

En Asie mineure, cette liberté de l’inspiré est équilibrée (contrôlée ?) par l’évêque.

Le phénomène prophétique chrétien prend naissance à la Pentecôte et se prolonge avec Pierre, Judas et Silas, Agabus etc.

A Ephèse, les nouveaux fidèles, baptisés par Paul, reçoivent le St Esprit et prophétisent.

L’auteur de l’Apocalypse se réclame du seul titre de prophète.

Dans la Didaché (l’un des premiers ouvrages de doctrine chrétienne), les prophètes sont itinérants. Ils doivent être reçus avec respect mais en vérifiant leur désintéressement.

Ignace, Eusèbe, Irénée évoquent ce ministère ou le revendiquent.

En Occident, les charismes n’y sont reconnus qu’avec réserve.

En I Corinthiens 14, nous l’avons vu, la prophétie est un charisme désirable qui révèle des vérités inaccessibles à la nature humaine. Le prophète peut édifier, exhorter, encourager.

Ce don est donc au service de la communauté.

Les auteurs romains abordent superficiellement le sujet.

Hermas enseigne à distinguer le faux prophète du vrai : ce dernier ne prend la parole que poussé par l’Esprit. Il ne se met pas en avant et n’accepte pas d’être rémunéré. « Finalement, c’est à leur manière de vivre qu’on distingue les faux prophètes des vrais ».

Tertullien ne cite pas les prophètes parmi les ministères qui comptent.

Au final, l’Eglise occidentale minimise fortement le caractère pneumatique de ce don, en restreint la liberté première et l’identifie pratiquement à un enseignement inspiré mais soumis au contrôle de la foi commune.

Le parler en langues

Il diffère du don de la Pentecôte.

Le jour de la Pentecôte, les fidèles rassemblés louent Dieu, chacun dans sa propre langue maternelle.

Ce miracle a une dimension évidemment symbolique : désormais, l’Eglise est universelle et cette universalité n’empêche pas la communion. Les chrétiens restent différents, de personnalité, de culture et de langue mais ils se comprennent les uns les autres.

Est ainsi dépassée l’alternative mortifère de la tour de Babel, entre uniformité et diversité sans communion.

Ici, la langue dont il s’agit est céleste. Nous avons affaire à une forme de transe spirituelle. Pour Paul, qui ne peut s’empêcher de se vanter ( » Je rends grâce à Dieu de ce que je parle en langues plus que vous tous »), le parler en langues ne sert à l’édification d’autrui que s’il est interprété. Sinon, ce don ajoute au désordre, est mis au service de l’orgueil spirituel du croyant … et fait fuir les nouveaux venus.

Irénée mentionne la glossalalie (« parler en langues ») qui « manifeste les secrets des hommes et expose les mystères de Dieu ». « On appelle ces gens « spirituels » parce que leur chair est visitée par l’Esprit ».

Et les femmes ?

Dans cet extrait de la première lettre aux Corinthiens, Paul ne se démarque pas d’un bien triste présupposé. Il ne marche pas à la suite de Jésus, dont l’attitude par rapport aux femmes est révolutionnaire.

C’est d’autant plus dommageable que Paul n’aborde pas ce thème pour parler des femmes en général mais de l’attitude des femmes corinthiennes. Il y a avait parmi elles des prophétesses qui troublaient la sérénité des célébrations. Ce sont ces femmes-là que Paul invite à se taire.

Ainsi, Paul part d’une situation particulière, celle des prophétesses corinthiennes, pour sombrer dans une généralisation anti-évangélique.