La joie (12 février 2017)

Dimanche 12 février 2017

Texte biblique : Jean 15, 1-17

Tous, nous aspirons à la joie.

Tous, nous pensons être destinés à la joie, sur cette terre.

En même temps, nous avons le sentiment que cette joie est inaccessible.

La joie paraît inaccessible parce qu’il y a trop de souffrances dans notre vie ou parce que nous nous sommes laissé engluer dans les méandres d’une existence plus complexe que prévue.

Elle paraît inaccessible parce que nous nous inquiétons pour l’avenir de notre société, de notre planète.

Souvent, ces obstacles empêchent la joie de se diffuser en nous.

Nous pouvons alors en conclure qu’elle n’a pas sa place dans une existence normale..

Nous avons alors la tentation de la reléguer dans le Royaume de Dieu, plus tard, après notre mort.

Pourtant, il reste au fond de nous cette petite voix intérieure qui nous dit : « Je crois que je suis destiné à cette joie ».

Alors, comment atteindre cette « terre promise » ?

D’abord, mettons-nous d’accord sur les mots : lorsque Jésus parle de joie, il ne pense ni à la béatitude ni au bonheur.

La béatitude est le sentiment que l’on éprouve lorsqu’on se perd en Dieu.

C’est une expérience spirituelle temporaire, hors du monde, même si elle éclaire ensuite mon existence.

La joie, elle, s’éprouve en toute conscience.

Elle n’est pas un temps à part mais peut être la compagne de ma vie.

La joie diffère également du bonheur.

Le bonheur dépend des circonstances favorables.

Par exemple, il y a deux semaines, j’ai vécu un moment de bonheur lorsque la France a été championne du monde de handball et je n’ai pas vécu un moment de bonheur lorsque ma machine à laver le linge m’a lâché.

La joie, elle, colore toute une existence, y compris lorsque je traverse des tempêtes.

La joie peut donc être éprouvée, même au milieu des épreuves.

Elle est semblable à ces courants marins, en profondeur, qui ne laissent pas détourner par les vents dominants.

Alors, une seule question importe vraiment : comment accéder à une pareille joie ?

Lorsque Jésus promet la joie aux disciples, il sait qu’il va être bientôt arrêté et qu’il n’aura plus l’occasion de s’entretenir ainsi avec eux.

Jésus veut donc leur donner les outils nécessaires pour vivre l’Evangile même lorsqu’il ne sera plus physiquement présent.

Alors, il leur rappelle que, même absent, il permettra à leur existence d’être fructueuse : « Si vous voulez que votre vie porte du fruit » dit-il en substance « demeurez en moi, laissez-moi demeurer en vous … car sans moi, vous ne pouvez rien ».

Aujourd’hui encore, notre vie ne peut être fructueuse si elle n’est pas reliée au Christ, à son enseignement, sa vie, sa mort et sa résurrection.

Sans le Christ, notre vie perd de sa saveur et notre foi s’étiole en morale ou en tradition. Or, si tout ceci est parfaitement respectable, cela ne communique pas cette joie parfaite.

Jésus est le cep qui permet à notre vie d’être fructueuse et de produire de la joie.

Et cette joie parfaite est indissociable de l’amour.

Amour du Christ pour nous : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés ».

Amour que nous partageons : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ».

Dans notre existence, cet amour est appelé à se déployer dans trois directions.

Il y a celle de l’amour du prochain.

Les uns et les autres, nous aspirons à des relations apaisantes et fructueuses avec ceux qui nous entourent.

Pourtant, comme êtres humains, nous sommes fragiles.

Alors, lorsque nous nous sentons incompris, lorsque nous sommes mal à l’aise, lorsque l’autre nous blesse ou nous déçoit, nous abîmons peu à peu la relation.

C’est ainsi que des couples se séparent, que des parents et enfants ne se parlent plus, que des voisins s’ignorent, que nous nous replions derrière nos frontières, notre identité religieuse ou nationale.

Seulement, à mesure que nous altérons des relations, notre espace relationnel se rétrécit et la joie s’efface peu à peu de notre vie.

Alors, Jésus nous invite à faire le pari résolu de la relation.

Faire le pari de la relation, c’est poser un regard bienveillant sur ceux qui nous entourent, en faisant l’effort mental de comprendre leur point de vue.

Faire le pari de la relation, c’est aussi renoncer à simplifier autrui.

Seul Dieu nous connaît en profondeur.

Aimer son prochain, c’est enfin reconnaître qu’il est bien plus riche et complexe que tout ce que je peux en savoir et que je dois renoncer à le simplifier, à le définir.

Aimer son prochain, c’est même renoncer à comprendre autrui.

Parfois, même avec les très proches, je dois parfois renoncer à comprendre pourquoi ils agissent ainsi, pourquoi ils sont fragilisés par telle situation alors qu’ils étaient si forts dans telle autre.

Aimer, c’est admettre que l’autre conserve une part de mystère, d’opacité et de contradiction. C’est même chérir cette terre inconnue.

L’amour se manifeste aussi par un regard apaisé sur soi.

Notre accès à la joie est souvent barré par des interrogations incessantes sur nous : sommes-nous assez capables, assez dignes d’amour ?

Ce que Jésus a enseigné et vécu, Paul l’a résumé en une formule : le salut par grâce.

Oui, Dieu nous aime sans condition, quels que soient nos échecs, nos erreurs, nos limites. Et s’il pose ce regard sur nous, qui sommes-nous pour ne pas adopter ce même regard sur nous ?

Alors que la société fait peser une exigence formidable sur nous, nous intimant l’ordre d’être performants, musclés, compétitifs et épanouis, l’Evangile nous dit : « tu peux vivre des relations tranquilles avec toi-même car tu es aimable tel que tu es »..

Enfin, l’amour se déploie vers Dieu.

Lorsque l’une de mes filles était petite, dès qu’elle voulait obtenir de moi quelque chose, elle amorçait astucieusement cette demande par une formule du genre : « Papa, je t’aime beaucoup ». Puis suivait la demande : « Tu peux m’acheter une barbe à papa ? »

Bien souvent nous en sommes là avec Dieu.

Nous nous adressons à lui lorsque nous avons une demande à lui faire et l’oublions le reste du temps.

Le problème, ce n’est pas que c’est mal d’agir ainsi

Le problème, c’est que notre relation avec lui devient étriquée, elle s’effiloche et nous nous fermons l’accès à une joie profonde.

Là encore, nous ne progresserons pas si nous ne modelons pas notre foi sur celle de Jésus, si nous ne sommes pas reliés à lui comme les sarments avec le cep.

Sa confiance en Dieu, son écoute, sa liberté nous montrent comment vivre avec Dieu comme des enfants responsables et non comme des gosses capricieux.

L’amour du prochain, un regard apaisé sur soi, l’amour pour Dieu : autant de façons d’être qui produisent de la joie.

Je terminerai par deux questions.

Première question : comment ne pas perdre l’accès à la joie lorsque nous sommes plongés dans la souffrance ? 

Bien sûr, les épreuves peuvent nous faire grandir, nous faire comprendre combien nous pouvons compter sur des proches, elles peuvent raviver notre foi, nous obliger à faire des choix judicieux … mais nous le savons bien, ce n’est pas toujours le cas ;

Quand la souffrance enterre jusqu’à l’aspiration à la joie, il faut du temps pour que la joie remonte à la surface.

Plus nous aurons enrichi notre relation à autrui, nos résistances personnelles et notre spiritualité et plus tôt cette joie pourra émerger de nouveau et éclairer mon existence.

Seconde question : alors que des millions de personnes meurent de faim, que des exilés frappent à nos portes, que la vie sur certains lieux du globe ressemble à un enfer, n’est-ce pas indigne de rechercher la joie ?

Peut-on éprouver la joie au milieu de tant de larmes ?

Parce qu’elle est le fruit de relations riches avec autrui et avec Dieu, la joie n’est pas égoïste. Au contraire, elle est un formidable réservoir d’énergie pour aimer et servir.

Comment porter le sac d’autrui si nous sommes, nous-mêmes, surchargés ?

Comment mettre de l’énergie pour autrui si nous sommes épuisés par les ressentiments, le vide spirituel ou la fatigue d’être soi ?

Surtout, la joie est, par elle-même, un acte d’amour car elle est contagieuse !

Notre monde a tellement besoin d’êtres rayonnants, qui témoignent que la vie est belle et que la joie y a toute sa place.

Christ est notre cep pour que nous portions du fruit.

Amen !