La femme adultère ou deux approches de la Parole (29 janvier 2017)

Texte biblique : Jean 8, 1-11

Comment la Bible peut-elle nous faire grandir spirituellement ?

Cette question peut sembler un peu baroque, surtout lorsque c’est un pasteur qui la pose.

A priori, parce qu’elle est la Parole de Dieu, la Bible ne peut que nous faire grandir humainement et spirituellement.

Et si la Réforme s’est continûment appuyée sur la lecture et la méditation de la Bible, c’est bien parce que les Réformateurs avaient la conviction qu’elle seule peut structurer notre foi.

Pourtant, au risque de surprendre, je crois que la Bible ne conduit pas forcément à Jésus-Christ. Tout dépend ce qu’on y cherche, dans quel but nous la lisons.

Le récit de la rencontre de Jésus avec la femme adultère va même nous montrer qu’il existe deux lectures de la Bible, entre lesquelles il faut choisir. Car l’une conduit à la mort spirituelle et l’autre à la vie ; l’une nous rapetisse et l’autre nous élève.

Visualisons la scène.

Jésus revient du mont des oliviers.

Il est à Jérusalem, assis devant le Temple.

Là, il enseigne l’Ecriture devant des gens venus l’écouter.

Soudain, des scribes et des pharisiens s’interposent et placent devant lui une femme qui a trompé son mari. Et ils demandent à Jésus ce qu’il convient de faire.

Faut-il la libérer par compassion ou la lapider ?

Ne nous faisons pas d’illusions !

Les scribes et les pharisiens sont convaincus que cette femme doit être tuée.

En fait, ils veulent surtout tendre un piège à Jésus.

En effet, si Jésus relâche cette femme, il est infidèle à la lettre de l’Ecriture qui précise qu’en pareil cas, l’homme et la femme adultères doivent être lapidés.

On peut d’ailleurs se demander où est passé l’amant !

Inversement, si Jésus la condamne, il perd aussitôt son aura de maître spirituel tolérant et ami des femmes.

Quoi qu’il décide, il est perdant.

Ainsi, les scribes et les pharisiens utilisent l’Ecriture comme une arme à deux coups, pour viser la femme et Jésus.

Cette manipulation de l’Ecriture nous concerne également.

Bien sûr, en France, tout au moins, une femme ne risque pas d’être lapidée.

Il n’empêche !

Comme les scribes et les pharisiens, nous pouvons nous servir de la Bible comme d’une arme : pour défendre nos opinions et en combattre d’autres, pour attaquer des attitudes ou des comportements que nous n’apprécions pas.

Chacun d’entre nous peut ainsi choisir des versets bibliques, les sortir de leur contexte et en faire des armes au service de ses combats.

Le « traditionaliste » dénichera sans problème un verset pour condamner l’homosexualité ou l’avortement.

Le « progressiste » trouvera de quoi condamner la spéculation financière ou attaquer ceux qui refusent d’abolir les frontières.

Le problème, c’est que, dans un cas comme dans l’autre, la Bible est une arme au service de nos combats.

Pour le Christ, au contraire, l’Ecriture est une Parole de vie, c’est-à-dire une parole qui éclaire et interroge.

Pour le faire comprendre à tous ses interlocuteurs, Jésus commence par se taire.

Lors que les scribes et les pharisiens exigent de lui une réponse immédiate, Jésus prend le temps du recul, de la décantation, de la prière peut-être, pour passer du réflexe à la réflexion.

Puis, dans un deuxième temps, Jésus trace des traits sur le sol.

Pour nous, ce geste paraît bien mystérieux.

Pour un juif, la référence à Jérémie est claire : « ceux qui se détournent de moi seront inscrits sur le sol car ils abandonnent la source d’eau vie, l’Eternel » dit Jérémie.

Par cette allusion, Jésus dit en substance aux scribes et aux pharisiens : « Vous vous servez de l’Ecriture pour accuser cette femme et me piéger. Vous vous coupez ainsi de la source d’eau vive. Μais prenez garde, l’Ecriture peut aussi vous accuser. »

Alors, seulement, il leur dit : « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ».

Là encore, il fait référence à l’Ecriture : « Ceux qui jetteront la pierre seront des hommes justes qui jugeront comme on juge une femme adultère » annonce le prophète Ezéchiel.

Vous voulez condamner cette femme au nom de l’Ecriture ?

Demandez-vous plutôt ce que l’Ecriture dévoile de votre vie, de votre injustice, de vos grandes et petites trahisons.

L’Ecriture n’est pas là pour démasquer les fautes d’autrui mais les vôtres.

L’allusion a été saisie..

Scribes et pharisiens partent l’un après l’autre.

Le piège qu’ils tendaient à Jésus s’est retourné contre eux.

Pourtant, avant de les regarder de haut, reconnaissons qu’ils ont su écouter Jésus et interroger leur propre conscience.

On aimerait que ce soit toujours le cas ; or la règle la plus commune est de projeter la pierre de sa culpabilité sur son prochain.

En matière de sexe, on est parfois surpris de découvrir les frasques cachées des grands prêcheurs de vertu et des virulents dénonciateurs de luxure.

De même, nous découvrons parfois que de grands dénonciateurs de gaspillage de l’argent public ne sont pas les derniers à en profiter !

Grâce à Jésus, scribes et pharisiens ont découvert que la Bible n’est pas une arme mais un miroir.

Aujourd’hui encore, elle nous permet de nous voir tels que nous sommes.

Chaque passage de la Bible m’éclaire sur l’amour inconditionnel de Dieu.

Il m’éclaire aussi sur mes fautes, mes fragilités, ce qui, en moi, doit encore grandir.

Il démasque aussi les failles de notre vie d’Eglise et les dysfonctionnements de notre société.

Elle le fait car Dieu veut que notre vie change, que notre Eglise change, que notre société change et que, pour cela, nous soyons dépouillés de nos illusions.

La Bible est un miroir et comme tout miroir, il est parfois impitoyable.

La foule a vu les scribes et les pharisiens partir, un par un.

Maintenant, elle attend avec gourmandise de voir ce que Jésus va dire à la femme.

Car, après tout, sa culpabilité est indéniable.

Si Jésus a convaincu scribes et pharisiens de leur péché, comment pourrait-il laisser passer l’acte de cette femme ?

« Je ne te condamne pas » dit Jésus à la femme adultère.

La femme est coupable. Elle a commis un adultère et donc trahi une confiance.

Mais Jésus ne confond pas cette femme avec ce qu’elle a fait.

Il condamne la faute mais pas son auteur.

A nous, réunis ce matin, il dit, comme à la femme adultère : « Je ne te condamne pas. Tu as peut-être fait souffrir par égoïsme, par faiblesse, par manque de courage ou immaturité. Tu as peut-être insupporté ton conjoint, tes enfants ou tes parents par ton attitude. Tu as peut-être fermé les yeux sur des injustices. Tu as peut-être trahi des confiances mais je ne te confonds pas avec ce que tu as fait, je te sais capable d’autre chose ».

Du coup, une autre vie devient possible. « Va et ne pèche plus » dit Jésus à la femme adultère.

Ici, Jésus rappelle implicitement l’exigence de fidélité : « Va et ne pèche plus ».

Il est d’ailleurs regrettable que l’amant de la femme adultère, mystérieusement sauvé du flagrant délit, ne soit pas là pour apprendre, comme elle, que Dieu ouvre à son pardon et au respect des 10 commandements.

« Va et ne pèche plus » : cette parole de Jésus résonne donc comme une exigence et une promesse.

L’exigence, pour la femme, de ne plus trahir une confiance par l’adultère.

Jésus pardonne mais ce pardon n’est pas un relativisme moral selon lequel tout se vaut, et chacun fait ce qu’il veut de son argent ou de son corps.

Dans la Bible, le péché n’est pas une donnée métaphysique. Il désigne toujours ce qui abîme une relation : avec autrui, avec Dieu. C’est pour cette raison que les Réformés ont conservé l’exigence des grands commandements bibliques.

L’exigence et la promesse.

« Va et ne pèche plus » car tu n’es pas condamné à te fourvoyer toujours dans les mêmes impasses. Tu n’es pas condamné à la répétition. Tu peux produire du neuf dans ta vie, envisager de nouvelles relations avec tes proches, fondées sur la confiance et non la tromperie ou la dissimulation.

Ainsi, ce récit illustre deux façons d’approcher la Bible.

Celle où la Bible nous sert d’arme pour condamner autrui. Et celle où la Bible est un miroir, nous éclairant à la fois sur l’amour de Dieu, sur nos fautes et sur une autre façon de vivre.

« Moi non plus je ne te condamne pas » affirme Jésus, « Va et ne pèche plus ».

Amen !