Joseph et ses frères; prédication du 13 mai 2012

Dimanche 13 mai 2012

 

 

 

Texte biblique : Genèse 45,1-24

 

« Je suis Joseph, votre frère ! Quel juif, quel chrétien n’a pleuré à cette retrouvaille ? »

Au début du 20ème siècle, Charles Péguy s’émerveillait ainsi.

Avant lui, Victor Hugo et Dostoïevski et après lui Thomas Mann partageaient cet étonnement.

 

Il y a là, en effet, dans l’attitude de Joseph, quelque chose de profondément illogique.

En effet, Joseph a rendu jaloux ses frères; ces derniers l’ont violemment battu, jeté dans une citerne, vendu à des marchands d’esclaves. Puis ils ont fait croire à leur père, Jacob, que Joseph était mort. Il n’y a, en eux, ni regret ni remord.

Or, parce qu’il a de la chance, parce qu’il est pourvu d’un incroyable dynamisme et parce qu’il a reçu un don, celui d’interpréter les rêves, Joseph devient le « bras droit » du Pharaon.

Il conduit la politique économique du Royaume d’Egypte, la superpuissance de la région.

La revanche est plus éclatante encore lorsqu’il voit ses frères venir à lui, sans le reconnaître, et quémander un statut de réfugiés économiques en Egypte.

Lui, la victime, est en position de force.

Il a le choix :

Il peut renvoyer ses frères au pays de Canaan.

Il peut les emprisonner.

Il peut même les faire condamner à mort.

Pourtant, après avoir réuni son père et ses onze frères autour de lui, Joseph se fait reconnaître d’eux : « Je suis Joseph, votre frère ».

Depuis des générations, une malédiction semblait peser sur cette famille : la malédiction de la rivalité. Rivalités entre frères, rivalités entre femmes.

Par la seule attitude de Joseph, cette malédiction se transforme en bénédiction.

Désormais, la famille est réunie, Jacob, père de Joseph, bénit l’ensemble de ses enfants et petits-enfants et ses douze fils seront à l’origine des douze tribus d’Israël.

De ce renversement, point d’orgue du livre de Genèse, véritable point de départ du peuple juif, je tire trois enseignements, précieux pour nous.

D’abord, il n’y a pas de fatalité à la division.

Comme Joseph, il est toujours possible d’agir unilatéralement, de casser la chaine maléfique du ressentiment.

Comme Joseph, il est toujours possible de se réconcilier.

C’est vrai dans nos familles : les dissensions de génération en génération, les fractures au sein d’une même génération ne sont pas définitives.

C’est vrai dans notre société : les divisions entre les classes sociales, les religions, les quartiers ne sont pas des fatalités. Nous pouvons faire société ensemble. L’homme n’et pas condamné à être un loup pour l’homme.

Deuxième enseignement : il y a, dans toute vie, des moments propices à ce changement, à cette rupture.

Joseph attend le bon moment pour se faire reconnaître par ses frères.

Il attend le bon moment pour la réconciliation. Et le bon moment, c’est lorsqu’il est en position de force.

C’est à ce moment-là qu’il choisit de tendre la main.

Ne nous y trompons pas : la réconciliation ne peut être offerte qu’en position de force. Sinon elle n’est qu’une reddition ou une preuve de lacheté.

La réconciliaiton manifeste la force de celui qui la propose.

Force objective, force intérieure.

Force d’un Nelson Mandela, accueillant dans son gouvernement ceux qui l’avaient combattu, alors même que rien ne l’y obligeait.

Force des Alliés aidant l’Allemagne à se relever après 45.

Force de celui qui a été mal traité par ses parents, son conjoint, sa frâtrie et qui choisit de renouer des liens avec eux.

Cette force est parfois objective.

Elle est souvent intérieure et s’alimente à une source, la source spirituelle.

Nous allons bientôt célébrer la Pentecôte, le don de l’Esprit sur les disciples.

L’un des dons de l’Esprit, l’un des fruits de la présence de Dieu en nous, est la capacité de nous réconcilier.

Alimentés par cette source spirituelle, nous pouvons franchir les différentes étapes qui nous conduisent à la réconciliation : le souvenir de ce qui nous blessés, le ressentiment, la colère, le désir de se venger.

Lorsque ces étapes ont pu se vivre, nous pouvons arriver à l’étape du pardon puis celle de la réconcilation.

Parce que cette présence de Dieu diffuse en nous la paix, parce qu’elle modifie le regard que nous posons sur autrui et sur nous-mêmes, elle nous rend aptes à la réconciliation.

Troisième enseignement : par touches discrètes, le récit de la Genèse nous invite à franchir une étape supplémentaire en nous réconciliant à l’image de Dieu, comme Dieu s’est réconcilié avec nous.

Par exemple, Joseph est tellement ému en revoyant ses frères qu’il est, nous dit le texte « pris aux tripes ». Ce verbe, apparemment trivial, est pourtant utilisé dans la Bible pour parler de Dieu.

Comme le père qui voit revenir le fils cadet parti au loin, Dieu est ému par ce qui nous arrive, il est touché, « pris aux tripes ».

L’émotion, l’élan affectif sont des moteurs puissants de réconciliation, pour Dieu, pour nous.

Il en est de même avec le désir de donner.

Joseph ne se contente pas de remettre « les compteurs à zéro », avec ses frères.

Avec le concours du Pharaon, il leur donne des chariots, des vêtements de rechange, de l’argent des provisions. Tout à sa joie, il donne sans compter.

Là encore, Joseph agit à l’image de Dieu.

En effet, Dieu ne se contente pas de pardonner, de se réconcilier ; il ne se contente pas d’annuler la dette. Il donne.

Comme le père de la parabole qui revêt le fils cadet d’une robe de fête et tue pour lui le veau gras.

D’ailleurs, celui qui revient à Dieu après une période de vie accidentée, ressent intérieurement qu’il est comblé par Dieu et reçoit en abondance paix, énergie et jubilation.

Oui, parce qu’il nous aime, Dieu fait davantage que nous pardonner. Il nous attend, il nous accueille, il nous comble de dons.

C’est pour cela que Jésus est mort sur la croix.

Contrairement à ce qu’une mauvaise prédication chrétienne a fait croire, Jésus n’est pas mort sur la croix, parce que Dieu en avait besoin pour nous pardonner.

La croix n’est pas le prix que Dieu exigeait.

Dieu n’entre pas dans une logique de dette mais de réconciliation.

Jésus a vécu et prêché la réconciliation, avec Dieu et entre nous.

Heurtant trop de préjugés et de logiques de pouvoirs, il a été mis à mort par les Juifs et les Romains.

Alors, Dieu l’a ressuscité.

Par là, il a repris la main, décidé souverainement de se réconcilier avec les hommes.

Par la résurrection du Christ, il n’est pas revenu à la situation antérieure, il a été au-delà.

Il a ouvert son offre de réconciliation à tous les hommes et pas seulement à un peuple particulier.

Il a étendu cette offre à la vie éternelle et pas seulement à la vie terrestre.

Il a voulu nous faire naître de nouveau, dès maintenant, sans attendre notre mort.

Car le désir de Dieu n’est pas seulement que nous vivions après notre mort mais que nous commencions à vivre, vraiment, avant notre mort, ici et maintenant.

Aujourd’hui, il se tient à la porte, prêt à nous accueillir, désireux de nous donner au-delà de ce que nous avons besoin afin que nous puissions, à notre tour, pardonner et nous réconcilier avec ceux qui nous sont chers et nous ont fait du mal.

« C’est moi, Jospeh, notre frère ».

Amen !