« Je ne vaux pas mieux que mes pères » (Dimanche 26 juin 2016)

Texte biblique : I Rois 19, 1-18

Elie est découragé, abattu.

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En mettant le feu au bûcher, il a triomphé des prophètes de Baal.

Elie est décidément le champion de l’Eternel.

Cependant, Elie n’a remporté qu’une victoire en « trompe l’oeil ».

Bien sûr, le peuple s’est converti en masse … mais que vaut la conversion d’une foule, surtout lorsqu’elle est suscitée par la peur ou par des miracles spectaculaires ?

Il ne faudra pas attendre longtemps pour que le peuple se tourne vers une autre divinité.

Le roi, lui aussi, s’est converti mais par opportunisme.

En bon politique, il ne fait que suivre le peuple et sa religion dominante.

Jérusalem vaut bien un culte !

Quant à Elie, sa foi est évidemment sincère.

Le prophète est prêt à donner sa vie pour l’Eternel.

Seulement, sa fougue prend le dessus sur une écoute attentive de la Parole de Dieu.

Dès lors, les rôles sont inversés.

Ce n’est plus Dieu qui parle et le prophète qui transmet. C’est Elie qui prend des initiatives et Dieu qui est sensé les soutenir.

Paradoxalement, pour cet homme si croyant, Dieu s’est éclipsé.

Elie ne laisse plus d’espace disponible à la présence de Dieu en lui.

Alors, dès que les circonstances ne sont plus favorables et qu’il faut fuir la colère de la reine Jézabel, Elie se décourage.

Tous les symptômes d’une dépression sont présents.

Elie se sent abandonné de tous : « les fils d’Israël ont abandonné ton alliance… je suis resté seul ».

Elie se sent fatigué, existentiellement fatigué : « Je n’en peux, Seigneur, prends ma vie  ».

Elie se sent indigne, spirituellement et humainement : « Je ne vaux pas mieux que mes pères ».

Elie traverse une épreuve que bien des chrétiens connaissent.

Au nom de leur foi, ils s’investissent dans la vie d’Eglise, le monde associatif, la vie professionnelle, la famille.

Ils sont au taquet, actifs, responsables, disponibles.

Mais, peu à peu, ils perdent leur capacité d’analyse, ils ne parviennent plus à prendre du recul.

Ils en oublient pourquoi ils se sont pareillement investis.

Ils parlent et agissent au nom de Dieu mais ne prennent plus le temps de se ressourcer auprès de Lui.

Alors, inévitablement, il suffit une épreuve ou d’un simple surcroît d’épuisement pour que le découragement s’installe.

Comme Elie, ils se sentent seuls dans leur combat et en ressentent de l’amertume : « Ce sont toujours les mêmes qui font quelque chose ! « 

Comme Elie, ils ressentent une fatigue chronique : »Je n’en peux plus, j’ai le sentiment de toujours courir »

Et comme Elie, cette remise en cause les atteint intimement : « Je passe à côté de l’essentiel. Pourquoi est-ce que je vis ? ».

Pour qualifier cet état psychique, les psychologues parlent de dépression.

Depuis longtemps, la spiritualité chrétienne a forgé un autre terme : l’acédie.

L’acédie, c’est le sentiment que plus rien ne vaut la peine d’être vécu, que même Dieu s’est retiré de notre vie. C’est la maladie spirituelle par excellence.

Dans ces moments, le croyant oscille entre découragement et colère et se croit enfoncé dans une nuit sans fin.

Elie fournit un indice supplémentaire de son effondrement intérieur : « Prends ma vie car je ne suis pas meilleur que mes pères ».

Ne plus croire en la possibilité de faire mieux que ses pères !

Comment remonter de tels abysses car n’est-ce pas notre moteur intime le plus fort ?

Les adolescents surmontent leur mal-être par la conviction qu’ils feront mieux que leurs parents, qu’ils seront mieux que leurs parents.

A contrario, lorsque l’une de mes filles, un soir où elle était particulièrement exaspérée, nous a sorti « J’espère que je ne deviendrai jamais comme vous » j’en ai conclu qu’elle était en bonne santé mentale !

De même, les réfugiés affrontent les épreuves les plus terribles, portés par l’espoir leurs enfants vivront mieux qu’eux.

Pendant longtemps, la société occidentale a cru la même chose.

Et, de fait, à chaque génération, le niveau de vie augmentait, la condition des femmes s’améliorait, l’éducation se diffusait.

Aujourd’hui, cette croyance n’existe plus.

Chacun craint le déclassement, le déclin. Et notre société tombe dans une sorte de déprime collective, avec de brefs accès de colère.

Nous sommes dans l’état psychique du prophète Elie.

Paradoxalement, pour Elie comme pour nous, c’est là, dans cette situation, qu’un nouveau départ est enfin possible.

Pour Elie, ce nouveau départ prend la figure d’un envoyé.

Alors qu’il est assis sous un genêt, Elie est visité par un ange, autrement dit, par Dieu lui-même.

Elie fait ainsi une première découverte : alors qu’il se croyait seul et abandonné, le prophète découvre la proximité de Dieu.

Dieu est là ; non parce que le prophète a fait quelque chose – ne serait-ce que l’invoquer – mais parce que Dieu est venu à lui.

Il n’a pas eu besoin d’agir, de parler, de combattre : il n’a eu qu’à accueillir cette présence de Dieu.

Dieu est là.

Même et surtout dans les phases de découragement, de remises en cause radicales.

Dieu est là. Et Dieu prend soin de ses enfants.

C’est la deuxième découverte du prophète.

Elie avait combattu, guéri, tué, exhorté au nom de Dieu.

Il avait beaucoup agi mais avait oublié de lui faire confiance.

Sous son genêt, il découvre qu’il peut aussi se laisser porter, nourrir, par la présence de Dieu. « Lève-toi et mange » lui dit l’ange.

Si cette nourriture évoque métaphoriquement la Parole dont Elie doit se rassasier,  elle se comprend aussi dans son sens premier.

Elie doit laisser Dieu prendre soin de lui physiquement.

Parce qu’il en a besoin avant de repartir : « Autrement, le chemin serait trop loin pour toi » lui dit l’ange.

Parce qu’ainsi, il expérimentera la tendresse de Dieu. Or, comment témoigner d’un Dieu dont on n’aurait jamais ressenti personnellement les bienfaits ?

Dieu prend du soin de nous.

Il nous donne le repos intérieur dont nous avons besoin.

Il nous donne le ressourcement nécessaire.

Il nous donne la clairvoyance qui nous permet de faire les bons choix.

Il nous donne le repos du corps, de l’esprit et du coeur.

Oui, Dieu prend soin de nous.

Il nous suffit de laisser agir en nous.

Troisième découverte d’Elie : Dieu se fait connaître… et il est bien différent des idées préconçues du prophète.

Elie se veut le champion de Dieu.

Il est convaincu de détenir un savoir sur Dieu.

Parce qu’il est tout puissant et qu’il gouverne la Création, Dieu ne peut que ressembler à un tremblement de terre, un ouragan, un éclair.

« Mais l’Eternel n’était pas dans le tremblement de terre ».

Ni dans l’ouragan. Ni dans l’éclair.

Peu à peu, Elie abandonne ses fausses images de Dieu.

Il sait maintenant que Dieu ne ressemble pas à ce qu’il avait imaginé mais qu’il est semblable à un « souffle léger ». ou, pour reprendre la traduction de Lévinas, à « une voix de fin silence ».

Ce travail spirituel n’est pas propre à Elie.

Il nous appartient de laisser nos idées préconçues sur Dieu, pour le laisser se présenter à nous. Dieu peut se rencontrer dans la prière.

Comme chrétiens, nous croyons aussi que Dieu se rencontre en Jésus-Christ.

En lisant et en méditant la Bible, nous épurons nos fausses images de Dieu et nous nous tournons vers Jésus-Christ.

Le récit ne se termine pas là.

Elie a eu besoin d’un temps de retraite et de rencontre avec Dieu.

Il a eu besoin de se ressourcer de reprendre des forces, d’épurer sa représentation de Dieu.

Il a eu besoin de laisser Dieu venir à lui, agir en lui ;

Mais le but d’une retraite n’est pas de nous écarter du monde mais de nous équiper pour y agir, porté par la présence de Dieu.

Ce qu’Elie a découvert et expérimenté, il peut maintenant le vivre.

« Va, reprends ton chemin en direction du désert de Damas. Là, tu oindras Hazaéel comme roi sur Aram ».

Il peut oindre Elisée, son successeur, parce qu’il sait maintenant que seul Dieu est indispensable, pas lui.

Il peut oindre un nouveau roi, sûrement imparfait, parce qu’il sait que tous les hommes que Dieu accompagne sont également imparfaits.

Elie s’en va, riche d’une promesse de Dieu.

Toi aussi, tu n’es pas seul, dans tes lassitudes et découragements.

Toi aussi, tu peux reprendre des forces, et découvrir la tendresse de Dieu.

Toi aussi, tu peux te ressourcer en Dieu et vivre résolument ta foi dans une société aussi païenne que celle du prophète Elie.

Va, reprends ton chemin !

Amen !