Isaak, le rire de Dieu

Lecture : Genèse 18 / 1 – 15 (Genèse 21 / 1 – 8. 9 – 16)

Prédication :

Dieu, autorise-t-il le rire ?

Il y a très peu d’occurrences du verbe Rire dans la Bible.

En hébreu, on trouve 2 racines différentes :

« Lahag » se moquer, qui est toujours pris dans un sens négatif (ce sont les méchants qui se rient du malheur des justes, ou Dieu qui se moque des méchants), et« Sahaq ».

Ce verbe « Sahaq », Rire, se déploie au livre de la Genèse, au chapitre 18.

Peut-être vous souvenez-vous de cette scène : Abraham est devant sa tente, en plein midi. Il voit trois hommes et se précipite pour les inviter à s’arrêter chez lui pour se restaurer….

 Le rire a une place importante dans le récit de Gense 18 – et plus particulièrement le rire de Sarah !

Pourquoi rit-elle ? N’est-ce pas quelque part scandaleux – voir même blasphématoire ce rire de Sarah en face de ces trois messagers de Dieu – et dont le message n’a rien d’une blague !! …

Il faut la comprendre : depuis des années, elle suit par monts et par vaux son Abraham d’époux et elle l’écoute raconter ses rêves, ses lubies… la promesse de ce Dieu qu’elle ne connaît pas.

Combien de fois l’a-t-elle entendu raconter ses visions d’une descendance plus nombreuse que les grains de sable, que les étoiles du ciel.

Bien sûr, au début, elle y a cru. Elle aussi, elle a espéré.

Elle aussi, elle a guetté les signes d’un enfant, dans son corps.

Mais mois après mois, la déception était chaque fois plus cruelle.

Elle avait espéré, oh combien ! Mais maintenant, l’âge aidant, elle était entrée dans un autre temps.

Elle avait cessé de guetter des signes qui n’existent plus.

Elle était guérie de l’espoir. Elle avait fait le deuil de ce désir fou d’enfant.

Elle était apaisée.

Abraham, lui, revenait sans cesse sur le sujet.

Dieu lui avait parlé, Dieu lui avait promis, Dieu lui avait dit…

Que du bla-bla, pensait Sarah, comme si elle n’était pas concernée.

Et en effet, elle n’était pas concernée. Dieu ne s’était jamais adressée à elle.

La parole ne l’avait pas atteinte personnellement.

Mais ce jour-là, les choses se sont passées autrement. Les visiteurs se tenaient là, tout près de l’entrée de sa tente.

Ils ont demandé « Où est Sara, ta femme ? ».

Elle n’a pas pu ne pas entendre l’annonce. Elle a reçu directement la parole du visiteur, comme un coup de poignard :

« Dans un an, je reviendrai chez toi ; Sara, ta femme, aura un fils. »

Tout à coup, ce n’est plus une promesse en l’air, mais une annonce, datée, précise.

En Sara, le rire monte.

Elle l’étouffe tant bien que mal, ce rire qui dit son désespoir réveillé, le ridicule de ces paroles et en même temps qui lui rappelle cette si longue attente, et l’envie folle d’espérer.

« Non, non, je n’ai pas ri » proteste-t-elle, devant ce visiteur qui devine les cœurs.

Pourtant, c’est bien de ce rire que va naître son fils Isaac.

Il fallait que la promesse prenne corps, il fallait qu’elle s’incarne, il fallait que Dieu parle enfin à la femme pour que l’enfant soit accueilli.

Finalement, si Dieu avait parlé plus tôt à Sara, au lieu de passer son temps à s’entretenir avec Abraham, les choses seraient allées peut-être plus vite… Enfin,  c’est ce que dit ma femme ! …

J’aime beaucoup ce rire de Sarah !  Il est communicatif… Il suscite la rencontre, le dialogue … Le rire de Sarah permet au SEIGNEUR d’affirmer et de préciser, de concrétiser sa Promesse. Il est, ce rire de Sarah, la façon dont la promesse de Dieu rencontre le corps.

Car le rire a tout à voir avec le corps, il est l’expression du corps tout entier, une certaine façon de faire vibrer le souffle qui nous anime.

Il ne peut être séparé du corps.

Est-ce pour cela que ceux qui détestent le corps, qui veulent le contraindre, le maîtriser, le voiler, détestent aussi le rire ?

Mais revenons à notre récit … où le rire a un prolongement troublant …

Le récit se poursuit Genèse 21 / 1 – 8.

La promesse a pris corps en Sara et de ce rire est né Isaac, dont le nom signifie « Rire ».

Comment voulez-vous prendre au sérieux un Dieu qui fait des choses pareilles ?

Non seulement, la pauvre Sara est partagée entre la joie de cet enfant « Dieu m’a suscité du rire !! » et la peur d’être l’objet de moqueries « Quiconque l’apprendra rira à mon sujet ».

Pourquoi les choses ne peuvent-elles pas être simples ?

Pourquoi l’être humain est-il toujours soumis à des sentiments contradictoires, toujours partagé ?

Avant l’enfant, Sara était partagée entre l’envie d’espérer et la raison qui lui suggérait de cesser d’espérer.

Avec l’enfant, Sara est partagée entre la joie de cette venue et la peur du ridicule.

Le nom de son enfant : « Rire », est comme un rappel permanent, devant ses yeux, de son incrédulité, de sa réticence à croire, de sa difficulté à accepter dans son corps la réalisation de cette promesse si tardive.

Pour toutes les générations, Dieu est le Dieu d’Abraham, de Rire (Isaac) et de Jacob !

Pourtant, dans un même temps, ce rire est naissance, réalisation de la promesse, marque de fidélité de Dieu et par-dessus tout, signe que rien n’est impossible à Dieu. Y a t-il rien qui soit étonnant de la part de Dieu, demande le visiteur ?

L’irruption de la vie, l’irruption de l’Esprit saint, l’irruption de la Bonne Nouvelle quand elle prend corps parmi les humains, provoque rires de joie et moqueries sarcastiques.

Comme s’il fallait toujours exercer son discernement et décider de quel côté se tourner : croire ou ne pas croire.

Et enfin, je ne peux pas passer sous silence la triste chute « provisoire » de ce récit et de ce rire.

Lecture Genèse 21 / 9 – 16.

Triste chute…

Sara craint tout à coup qu’un autre rire que le sien (son fils) prenne la place. Comme si elle se voulait la seule à se réjouir, avec son enfant. Rire qui exclut, rire qui veut garder la joie de la promesse pour lui seul. Déjà avant la naissance d’Ismaël, Sara avait brutalisé Hagar qui s’était enfuie dans le désert. Dieu était intervenu auprès d’Hagar en larmes, pour la consoler et lui promettre sa bénédiction pour son fils. …

De nouveau, Dieu intervient et protège Hagar et Ismaël, mais en séparant les deux femmes, incapables de vivre ensemble leur joie, de mêler leurs rires.

Pourtant, par-delà l’ambiguïté de ce rire qui est tour à tour et à la fois, joie, désespoir, moquerie et exclusion, Isaac, le fils de la promesse, marquera à jamais l’histoire de Dieu avec son peuple.

Pour toujours, Dieu est le Dieu d’Abraham « Père d’une multitude »,

le Dieu d’Isaac « Rire »…

Pour toujours, la promesse de Dieu est liée au corps de Sara, à cet éclat de rire qui résume la peine et l’incrédulité.

« Heureux, vous qui pleurez maintenant, vous rirez » (Luc 6 / 21b), dit Jésus dans son fameux sermon dans la plaine…

 

Que nous sachions nous réjouir et rire par avance de cette promesse !

 

Amen