Innover sans répéter (Dimanche 28 septembre 2014)

Dimanche 28 septembre 2014

Texte biblique : Luc 1,1-4

Maxime, tu viens d’entrer au lycée.

Tu sais donc déjà que, lorsque tu rédiges un texte, tu dois particulièrement soigner ton introduction. Les premières phrases dévoilent toujours un style et une intention.

Il en est de même avec les auteurs des Evangiles.

En introduction à son Evangile, Matthieu établit une généalogie de Jésus, en remontant jusqu’à Abraham. Ainsi, il le présente d’emblée comme l’héritier du peuple juif.

Marc fait un autre choix. Dès la première phrase du premier verset du premier chapitre, il résume son livre et sa foi : « commencement d’Evangile : Jésus le Christ, Fils de Dieu ».

Jean amorce son évangile par un poème théologique, célébrant Jésus comme « Verbe incarné » et « lumière du monde ». Pour Jean, la foi se reçoit et se transmet par des symboles, des signes, des images, de la poésie.

Luc, lui, s’adresse formellement à un interlocuteur précis, Timothée.

Mais, au-delà, il parle à chacun de nous.

Timothée, c’est toi, c’est moi.

D’emblée, il tourne nos regards vers l’oeuvre de ses prédécesseurs : « puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements accomplis parmi nous ».

Luc ne donne pas le nom de ces prédécesseurs.

Aujourd’hui, nous en identifions deux.

L’un est connu, l’autre pas.

Le connu, c’est Marc.

Marc est le premier, chronologiquement, à avoir écrit un « Evangile ».

Pour lui, l’Evangile n’est ni une simple biographie de Jésus ni une confession de foi.

A partir de paroles, de rencontres et de moments marquants de la vie de Jésus, Marc annonce la bonne nouvelle.

L’autre ressemble à un nom de code : « la source Q ».

Il s’agit d’une collection de paroles de Jésus, reprises par Luc et Matthieu : des paraboles, les béatitudes, le Notre Père etc.

Cette source était peut-être simplement orale, elle a peut-être été mise par écrit, mais, en ce cas, nous n’en avons pas retrouvé de trace.

Quoi qu’il en soit, Luc ne part pas de rien.

Il s’appuie sur d’autres sources et le revendique.

De même, notre foi ne part pas de rien.

Nous sommes au bénéfice de ceux qui nous ont précédés :

– Ceux qui ont écrit la Bible

– Les grands témoins de l’Evangile : des plus illustres – François d’Assise, Luther, Martin Luther-King – aux plus anonymes, nos proches parfois.

– Le travail de réflexion de penseurs et de théologiens,

– L’action pratique de ceux qui ont créé des institutions, ou qui, semaine après semaine, ont travaillé pour la vie de notre Eglise.

– L’imagination, à Bois-Colombes, de ceux qui ont imaginé le Centre 72, « une paroisse, 4 associations ».

Ainsi, Maxime, ta foi peut se construire sur celle de l’Eglise, sur la foi et l’engagement de tes proches.

A la suite de Luc, tu peux donc être dans la reconnaissance et penser à cette longue chaîne de témoins qui, depuis le Christ, sur 80 générations environ, ont transmis l’Evangile jusqu’à toi.

Réaliser cela, c’est être dans la reconnaissance mais aussi la responsabilité.

Le flambeau a été allumé il y a 2000 ans par le Christ, il a été transmis par beaucoup.

Aujourd’hui, il te revient, il nous revient de prendre en main ce flambeau de l’Evangile, et de faire un bout de chemin en le levant bien haut avant de le transmettre à d’autres.

Transmettre, c’est partager ce qu’on a reçu.

Transmettre, c’est indiquer une source à ceux qui ont soif.

Transmettre, ce n’est pas reproduire.

Contrairement à ce que croient les traditionalistes de tous poils, la fidélité à l’Evangile ne consiste pas à répéter ce qu’ont pensé ou fait nos aïeux.

Elle consiste à nous nourrir de ce qu’ils nous ont légué, pour créer du neuf.

Lorsqu’elle a été refondée en 72, cette paroisse a innové à partir de l’existant et, aujourd’hui, en 2014, elle n’est fidèle à ce projet qu’en continuant à innover.

De même, Maxime, tu peux t’appuyer sur la foi de l’Eglise et de ta famille pour te l’approprier, et la vivre en fonction de ce que tu es et de l’époque dans laquelle tu vis.

Pour cela, tu peux prendre exemple sur Luc.

Comment Luc innove-t-il tout en restant fidèle à l’Evangile ?

En suivant un chemin en 4 étapes.

D’abord, Luc introduit de la rigueur.

Luc est de culture grecque, il est médecin et entend associer la foi à la rigueur intellectuelle.

Bien sûr, la foi a une dimension intérieure, affective, qui déborde la raison : le sentiment de la présence de Deu, la joie de se savoir aimé, « espérer contre toute espérance ».

Bien sûr, cette foi en Christ a été puissamment annoncée et célébrée par les artistes, les écrivains, les architectes, les musiciens.

Mais Luc est convaincu que cette foi doit aussi pouvoir être pensée avec méthode et rigueur.

Car la foi en Christ n’est pas un simple sentiment; elle contient un message original sur Dieu, sur la société et sur notre propre personne.

Et ce message doit être réfléchi, pensé, structuré.

Notre Eglise a toujours voulu associer l’élan de la foi et la rigueur de la réflexion.

Elle n’a jamais voulu sacrifier la foi ou l’intelligence.

Deuxième étape : ce récit doit remonter aux origines : « après m’être informé de tout méticuleusement à partir des origines ».

A quelles origines Luc pense-t-il ?

Marc choisit de débuter son récit avec le baptême d’adulte de Jésus car rien de sa naissance et de sa jeunesse ne mérite selon lui d’être relaté.

Ainsi, pour Marc, Jésus n’est pas le Fils de Dieu parce qu’il serait né miraculeusement mais parce qu’il est « adopté » par Dieu; sur les rives du Jourdain. .

Luc n’est pas de cet avis.

Selon lui, les circonstances mêmes de la naissance de Jésus nous disent quelque chose d’essentiel sur ce qu’il est et sur la bonne nouvelle qu’il incarne.

Ainsi, il naît de Marie, une jeune femme de condition modeste, premier signe du prodigieux renversement évangélique qui fait des « derniers » les « premiers .

Il est visité par des bergers, gens méprisés par l’élite sociale et religieuse.

Quant au miracle de cette naissance, qui nous gêne davantage en tant que protestants quelque peu rationalistes, il n’est pas un miracle de foire.

Comme toutes les naissances miraculeuses dans la Bible, celle de Jésus est un signe : par l’enfant à venir, Dieu va agir dans notre histoire.

Ainsi, Luc remonte à l’origine de Jésus.

Il va même plus loin et dresse la généalogie de Jésus.

Matthieu allait jusqu’à Abraham; Luc, lui, remonte jusqu’à Adam.

Jésus n’incarne pas seulement le peuple juif mais l’ensemble de l’humanité.

Luc est universaliste. Il est convaincu que le message du Christ concerne l’humanité toute entière.

Ce n’est pas pour rien que son récit débute en terre juive pour se s’ouvrir, progressivement au reste du monde.

La dynamique de son Evangile et des Actes des apôtres est celle d’une ouverture, d’une diffusion du message au-delà de ses frontières d’origine.

La Bonne Nouvelle est pour tous les humains.

Tu peux donc la partager, simplement, avec tous ceux que tu rencontres.

Troisième étape, Luc entend rédiger un écrit « suivi ».

Luc ne se contente pas de collectionner des sentences ou des anecdotes sur Jésus.

Il va organiser son récit car la bonne nouvelle est proclamée, vécue, précisée, tout au long de la vie de Jésus, par des rencontres, des enseignements, des miracles, des confrontations, des repas, des histoires, un procès, une mort, une résurrection.

Comme autant de fils qui, tissés ensemble, dévoilent un motif, ou pour employer une image plus moderne, comme autant de pictets qui définissent une image numérique.

Ainsi, ce n’est pas un texte, une parole, un fait qui, à lui seul, contiendrait la bonne nouvelle; c’est l’ensemble de ces éléments, dans leur succession. C’est l’ensemble du récit qui nous fait apparaître le visage de Jésus.

C’est pourquoi, il est important de lire un Evangile dans son entier et non un extrait, pioché au hasard et isolé de son contexte. Lire l’Evangile de Luc prend le même temps que voir un film d’une durée standart, 90 mns environ.

4ème étape : au contact de Jésus, les disciples évoluent peu à peu.

Il leur faut du temps pour découvrir qui est Jésus; il leur faut passer par des incompréhensions, des doutes, des drames parfois, avant de comprendre qu’il est le Christ.

De même, pour recevoir, assimiler, vivre l’Evangile, il nous faut avancer dans la vie, traverser des grands bonheurs et des échecs, des temps de vie spirituelle intense et d’autres de désert.

Lorsque j’étais tout jeune pasteur, il y a bien longtemps, je prêchais sur les béatitudes : « Bienheureux ceux qui pleurent car ils seront consolés » etc.

Une vieille paroissienne, pétrie de la Bible, et qui m’aimait beaucoup, vient me voir à la sortie du culte et me dit : « Vous avez disséqué ce texte. Malheureusement, on dissèque habituellement un cadavre et non quelque chose de vivant. Ne prêchez sur les béatitudes que lorsque vous les aurez vécues ».

Quelques années plus tard, j’ai prêché de nouveau ce texte et cette personne m’a dit à la sortie : « Vous avez vécu les béatitudes ». Il m’avait fallu grandir, mûrir, pour rencontrer un texte et donc un aspect de l’Evangile.

Nous pouvons donc accueillir tout ce qui nous arrive, y compris ce que nous subissons, comme autant d’opportunités pour grandir dans la foi, mieux comprendre la bonne nouvelle, et ressentir plus intensément l’amour incommensurable de Dieu.

Alors, en ce beau jour où tu confirmes ton baptême, tu peux te laisser entraîner dans cette bonne nouvelle du Christ, qui se rencontre au fil d’une histoire, au fil de ton histoire.

Amen !