« Il fut prit de pitié pour eux parce qu’ils étaient comme des brebis … »

Lectures :

Marc 6 / 32 – 44 (Matthieu 6 / 25 – 34)

 Prédication :

  Dimanche dernier, nous avons laissé Jésus et ses disciples « partir en vacances » , « en barque », précise le récit : en croisière pourrions-nous dire…

Mais, hélas, cela ne s’est pas passé comme prévu : les « vacances » ont été drastiquement raccourcies – pour ne pas dire carrément annulées : reportées à une date ultérieure – et cela non pas à cause des moyens de transport défectueux ou des routes encombrées; ce n’était, ni une panne à la gare, ni un accident de la route qui aurait empêché ce départ en vacances … mais des clients insatiables qui en veulent encore – au point qu’ils courent, non pas seulement pour rejoindre Jésus et son équipe de campagne d’évangélisation sur leur lieu de vacances, mais même pour les y devancer ! …

C’est que la faim du « pain de vie » ne peut pas attendre – et qu’il faut bien manger et se nourrir même quand on est en vacances !! …

En ce temps de vacances, il n’est pas bien difficile de se mettre quelques instants à la place des disciples : après avoir accompli – avec plus ou moins de succès, une mission laborieuse et fatigante, ils sont plus que « mûrs » pour un vrai temps de repos et de vacances! Ravis de l’invitation du maître, à se mettre en mode « repos », en mode « vacances », ils s’impatientent de partir avec lui en ce « lieu désert » promis, loin des foules, loin des routes encombrées, loin de tout ce ce « monde qui venait et repartait » et ne leur laissait « même pas le temps de manger » … Puis, ils ont réussi à s’embarquer effectivement avec lui : qu’est-ce que ça sent bon la brise des vacances sur ce beau lac de Galilée, avant goût de ce qu’ils imaginent rencontrer sur l’autre rive…

ET là, les foules qu’ils croyaient avoir laissées derrière eux, les ont en fait devancés et les attendent sur leur lieu de vacances! Imaginez un peu : c’est l’artisan que ses clients retrouvent sur son lieu de vacances pour lui réclamer, tout de suite et maintenant, de s’occuper du service après-vente!! Mais qui a eu l’idée de leur donner l’adresse ? … Faisons-vite demi tour et tachons de nous éloigner d’eux discrètement avant qu’ils nous aperçoivent…

MAIS, là le patron, le maître n’est pas près pour jouer à ce jeu-là: « Il fut prit de pitié pour eux parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger » (Marc6,34) …

Poussés par la détresse – plutôt morale que matérielle, les foules n’ont pas hésité à retrouver Celui qui leur a offert des « paroles de vie », des « paroles qui font vivre », qui donnent sens à leur vie, pour recevoir d’avantage! …

L’Évangile ne peut pas se mettre en mode « repos », en mode « vacances » – car même en vacances, nous avons besoin d’être nourris – et pas seulement au sens matériel ! …

Les disciples – auparavant appelés « apôtres »– puisqu’ils étaient envoyés en « mission », puisqu’ils étaient chargés d’annoncer l’Évangile au nom du maître – sont un peu dépassés : ils « redeviennent », en fait, disciples, c’est à dire, élèves du maître, dans le besoin de recevoir pour eux aussi, de nouveau, une parole d’Évangile…

Alors, ils restent encore et dans un premier temps préoccupés des soucis purement matériels – qui reflètent leurs propres soucis, leurs propres préoccupations : « … il est tard. Renvoie-les : qu’ils aillent… s’acheter de quoi manger » (Marc6,35-36). …

Mais Jésus, au lieu de renvoyer les foules, renvoie les disciples à eux-mêmes : « Donnez-leur vous-même à manger »! (Marc6,37) – et c’est, au fond, la parole d’Évangile pour eux!

Car, l’avez-vous remarqué ? Dans le récit, il n’est pas question « d’acheter de quoi manger » – comme le pensent les disciples, mais de partager ce que vous avez déjà en nourriture avec et en vous ! « Combien avez-vous de pains? Allez voir! » Et alors, même si Jésus leur avait donné comme consigne avant de les envoyer en mission, « de ne rien prendre pour la route… pas de pain, pas de monnaie, pas de sac » (Marc6,8), il se trouve qu’ils ont « cinq pains et deux poissons »… et que ce « peu de nourriture » pour nourrir une foule de « cinq mille hommes » (Marc6,44) – sans compter les femmes et les enfants ! …

Combien de fois avons-nous aussi fait l’expérience qu’un simple repas paroissial, où chacun partage ce qu’il a, est largement suffisant pour rassasier chaque convive  – et même ceux qui n’avaient rien prévu, car ils étaient arrivés spontanément au culte sans avoir reçu l’information d’un repas prévu après le culte ? C’est qu’au fond, nous nous rendons bien compte que lors de ces repas « partagés » la véritable nourriture – ce qui nous nourrit véritablement au point d’en être rassasié – sans être « alourdi » par un trop « plein » – n’est pas tellement ce que nous pouvons mettre dans nos assiettes, mais ce que nous avons pu partager les uns avec les autres, dans la rencontre autour de la table…

Dimanche dernier, nous avons réfléchi sur le nécessaire et salutaire « temps de repos » du shabbat : temps d’arrêt de toute activité « productiviste » et « commerciale », un temps où l’on arrête de vendre et d’acheter … même le pain, comme dirait ma mère dans son refus radical de transgresser « le repos du dimanche »… pour ouvrir un espace et se donner le temps de la rencontre et du partage dans lequel chacun est invité, à la fois, à donner, mais aussi à recevoir, car il y a toujours de la réciprocité dans le don !

Cependant, l’esprit de partage, l’ouverture aux autres, la disponibilité à la rencontre ne vont pas de soi … et, bien-sûr, il y a bien des moments dans le quotidien de nos vies, où il nous faut un temps vraiment à l’écart, vraiment à « l’abri des foules » … dans la tranquillité de notre « chez nous », d’une sieste digestif ou du sommeil réparateur de la nuit ou du temps d’une détente avec un bon livre, p.ex. … Et je suis le premier à le réclamer aussi pour moi !

Le récit lui-même ne met pas en question ce besoin fondamental de notre « corps humain » : le désir de départ de Jésus : emmener les disciples « à l’écart » pour se reposer est tout à fait sincère et « inscrit au programme »

Et Jésus et ses disciples sont bien partis « à l’écart » … au repos et en vacances, mais ils n’y sont pas restés « enfermés » dans un « entre soi exclusif »qui mettrait l’annonce de Évangile en mode « Stand by », mais, grâce à Jésus, grâce à l’appel qu’il leur adresse et qui, au fond, est une marque de confiance :

« Donnez-leur vous-mêmes… », sous-entendu, vous pouvez le faire, et même le « peu » que vous avez entre vos mains – et en vos cœurs – peut nourrir bien au-delà de ce que vous imaginez!

Et en effet, grâce à Jésus, grâce à sa confiance, grâce à sa foi en eux, ils sont capables de nourrir toute une foule de gens en quête de « pain béni », c’est à dire, fermenté par l’esprit du partage et cuit à la chaleur de la bienveillance, de l’amitié et de l’amour.

(Comme le dit le proverbe : « Mieux vaut un morceau de pain sec et la tranquillité qu’une maison pleine de festin à disputes »– Proverbes17/1).

Mais alors, qui nourrit finalement, dans ce récit?

La nourriture vient bien des mains des disciples, mais elle est, auparavant, passée entre les mains du maître. Les disciples ne sont qu’intermédiaires entre Jésus et la foule qui, elle, est le « pivot du récit »!

Intermédiaires indispensables, car l’Évangile ne passe jamais autrement que par nos paroles et gestes humains ! Et entre ses mains, il devient une véritable « parole de vie » que nous ne pouvons pas « produire » par nous-mêmes, ni vendre ou acheter, mais seulement, recevoir gratuitement et de façon imprévu et inattendu – et qui est aussi essentiel comme nourriture pour notre vie que l’est le « pain quotidien » !

Certes, le pain et les poissons viennent de leurs sacs – mais ils sont en quelque sorte « augmentés » (transformés) par le geste/parole de bénédiction et de partage de Jésus – ce que nous vivons et expérimentons chaque fois quand nous célébrons ensemble la Sainte Cène !

C’est de cela que nous parle, au fond, le récit de la « multiplication des pains » : pour nourrir toute une foule de gens en quête de « pain de vie », de « pain spirituel » pour nourrir notre faim de « sens de vie », de fraternité, de communion véritable avec l’autre et les autres, pas besoin de « grands moyens », pas besoin d’autre chose que de ce que vous avez déjà entre vos mains, de ce que vous avez déjà vous mêmes reçu.

Et alors, du partage de ce que chacun apporte pour l’offrir aux autres, toute une foule de convives trouvera de la nourriture – même en abondance, de « surcroît », comme le dira Jésus dans un de ses discours les plus célèbres et les plus emblématiques : « Voilà pourquoi je vous dis: Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez… Cherchez d’abord le Royaume et la Justice de Dieu, et tout cela vous sera donné par surcroît » (Matthieu6/25.33).

 Amen!

Pasteur Andréas Seyboldt