Entende qui a des oreilles !

Dimanche 12 juillet 2020 à 10 h 30

culte sans Cène, en présentiel au Centre 72

Lecture :

Matthieu 13, 1 – 23.

Prédication :

« En ce jour-là, Jésus sortit de la maison et s’assit au bord de la mer… » (Mt.13,1). … Je ne sais pas vous, mais, moi, j’imagine, en cette période de vacances estivales, le scenario suivant :

Jésus est parti en vacances, avec ses disciples ! Le soir, au coucher du soleil, ils se retrouvent à la plage, certains d’entre eux se rafraîchissent dans l’eau, font quelques brasses, se laissent bercer par les vagues. D’autres font un footing sur la plage, d’autres encore se mettent à construire des châteaux de sables – et puis, il y a aussi ceux qui s’allongent tout simplement sur leurs serviettes ou matelas de plage, en contemplant le soleil qui descend petit à petit, vers cette ligne lointaine où le ciel touche la mer.

Puis, à un moment, dans la soirée, quand le soleil s’est couché complètement derrière l’horizon, ils allument un feu autour duquel ils se regroupent, toutes et tous ensemble, pour écouter Jésus qui leur raconte des histoires. …

La réalité est, comme souvent, un peu différente et ne correspond que rarement à nos rêves romantiques :

Ainsi, les histoires – appelées « paraboles » dans les évangiles – Jésus ne les raconte pas seulement aux disciples, mais à « toute la foule qui se tenait sur le rivage » (Mt.13,2).

En effet, Jésus n’est pas seul « au bord de la mer », avec ses disciples, mais « de grandes foules se rassemblèrent près de lui » (Mt.13,1-2) au point que Jésus est obligé de monter dans une barque, pendant que la foule envahit la plage ! Cela fait plus penser à une plage surpeuplée où c’est difficile de garder les distances !, qu’un rêve de vacances entre amis, au bord de la mer, face au soleil couchant au bout d’un horizon où le ciel embrasse la mer au loin …

Quant aux histoires que Jésus raconte, elles ne se passent pas non plus dans un paysage de vacances rêvées, mais, pour celle que nous venons d’entendre, elle est issue du monde agricole. C’est l’histoire d’un « semeur qui est sorti pour semer » (Mt.13,3).  Son travail de semeur n’est pas tellement couronné de succès. …

Sans être spécialiste de l’agriculteur et de semence, on pourrait se demander, pourquoi le semeur ne sème-t-il pas ses grains tout de suite dans la bonne terre ? Pourquoi gaspiller des graines là, où, à l’évidence, elles seront perdues ? Il paraît que c’était la pratique des semences en Palestine au 1er siècle : la semence s’effectuait avant que la charrue passe sur le champ pour retourner la terre – incluant toutes les graines, quel que soit l’endroit où elles ont été semées … Il a dû y avoir des pertes ! Le semeur sème ses graines généreusement sans savoir si elles trouveront toutes de la bonne terre pour germer… Et même pour les graines tombées dans la bonne terre, le rendement n’est pas égal.

Jésus conclut sa parabole avec un appel solennel : « Entende qui a des oreilles ! » (Mt.13,9).

1 – Entende qui a des oreilles !

Cela sonne comme un avertissement, une mise en garde, un appel solennel à l’écoute ! L’écoute de quoi, au juste : que fallait-il donc écouter ?

La parabole, à première vue : la parabole du semeur, racontée à la foule… D’autres paraboles vont suivre et se succéder, d’ailleurs, tout au long de ce chapitre 13 de l’Évangile de Matthieu. En effet, nous dit le narrateur en début de notre récit : « Il leur dit beaucoup de choses en paraboles » (Mt.13,3).

Qu’est-ce donc qu’une parabole ? C’est une petite histoire qui attend qu’on l’interprète pour en comprendre le sens. Une image pour faire comprendre, faire imaginer, en fait, une réalité difficile à décrire, car, au fond, invisible à nos yeux, et pourtant réelle, comme peuvent l’être nos sentiments : ce qui se passe à l’intérieur de nous… Mais aussi des vécus, des expériences, des valeurs, comme l’amitié, la confiance, l’amour … et le Royaume de Cieux que Jésus a annoncé – à ces disciples, et aux foules. D’une parabole (un récit inventé, littéralement jeté à côté d’un autre récit… comme le semeur qui jette ses graines !), chacun peut tirer quelque chose pour lui – et cela peut aussi différer d’une situation à une autre. Les paraboles que Jésus racontait se situent toujours dans un moment, une situation particulière. … Nous y reviendrons un peu plus tard. …

La parabole veut donc, à travers un récit, une image révéler quelque chose : un message, une parole… Une parole qui peut en cacher une autre. …

Cependant, cette parole cachée derrière celle de la parabole ne semble pas être si facile à trouver, à être « donnée ». Quand les disciples se rapprochent de lui pour le questionner : « Pourquoi leur parles-tu en paraboles » ?,

Jésus répond : « Parce qu’à vous il est donné de connaître les mystères du Royaume des cieux, tandis qu’à ceux-là ce n’est pas donné. Car à celui qui a, il sera donné, et il sera dans la surabondance ; mais à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré » (Mt.13, 11-12).

Je me suis souvent heurté à ces versets – et de ceux qui suivent, extraits du livre du prophète d’Ésaïe : ils parlent du peuple qui s’est « bouché les yeux » (pourquoi les yeux et non pas les oreilles ?) « pour ne pas voir…, pour ne pas entendre ».

Malgré le fait que c’est le peuple qui choisit de ne pas « voir ni entendre », il y a dans ces versets quelque chose qui sonne comme une « double prédestination », cette doctrine défendue par Jean Calvin selon laquelle il y aurait les uns qui sont prédestinés au salut (ou à la « guérison » selon la prophétie d’Ésaïe) et les autres qui sont prédestiné à être perdus.

D’un côté, ceux à qui il est « donné » de « connaître les mystères du Royaume » (Mt.13,11), de l’autre côté ceux à qui « ce n’est pas donné ».

Pour Jésus, raconter des paraboles semble vouloir dire raconter des énigmes que seul un cercle restreint d’élus initiés saurait comprendre…

C’est là que nous pouvons brièvement évoquer la situation particulière dans laquelle Jésus, selon l’Évangile de Matthieu, a prononcé ces paroles.

Cette situation n’est pas celle de Jésus lui-même, du temps de sa vie avec ses disciples des années trente du premier siècle. Mais celle, cinquante ans plus tard, de la communauté, l’Église pour laquelle Matthieu écrit son évangile.

À cette époque, ou, comme l’écrit notre récit : « En ce jour-là », l’opposition entre le judaïsme traditionnel et ces premières communautés chrétiennes, composée en grande partie également des juifs confessant Jésus comme Messie, comme Christ, s’est considérablement durcie (d’où la citation d’Ésaïe des « oreilles endurcies »!)

Il y avait même des persécutions, des procès contre ces judéo-chrétiens qui allaient jusqu’à l’exclusion de la communauté (= l’excommunication dans le contexte chrétien), avec toutes les conséquences sociales et juridiques qu’une telle exclusion entraînait ! La grande majorité du Judaïsme, représentée par leurs guides religieux et spirituels, les fameux « scribes et pharisiens », évoqués dans les évangiles  comme les adversaires par excellence de Jésus, s’opposait à cette « secte des Nazaréens » (appelés selon leur maître, Jésus de Nazareth). …

Et nous aujourd’hui ?

Comment entendons-nous ces versets qui parlent, en fait, de l’échec du semeur – de l’échec du prédicateur Jésus !

Entende qui a des oreilles ! Certes, tout le monde a des oreilles … mais sommes-nous toujours bien disposés à l’écoute ? Pouvons-nous plus facilement que le peuple juif de l’époque de Jésus, entendre et recevoir sa Parole ? Sommes-nous du côté des disciples, à qui il est « donné de connaître les mystères du Royaume des cieux » ou du côté des foules « à qui ce n’est pas donné » ? (Mt.13,11).

« Entendre » sans « comprendre »… Et, de quoi s’agit-il au juste dans cette formulation « mystères du Royaume » ?

2 – Les mystères du Règne des cieux

À l’opposé des foules qui « entendent » sans « comprendre », les disciples sont appelés à « écouter la parabole du semeur » (Mt.13,18) dans une version éclairée, explicative, mode d’emploi.

En fait, il s’agit d’une autre, d’une deuxième parabole dans laquelle la semence devient « la parole du Royaume ». Tout se joue sur le rapport de l’homme à cette « parole du Royaume ». Tous ont été au bénéfice de la Parole.

Sur tous les terrains, elle a été entendue ; mais les obstacles sont nombreux et elle ne fructifie que chez quelques-uns.

L’échec de la proclamation de la Parole est donc bien une caractéristique essentielle du mystère dévoilé aux disciples : la Parole est semée dans le monde, et elle fructifie malgré de nombreux refus.

Le seul secret, le seul mystère à dévoiler est le caractère inexplicable de l’écoute improductive pour les uns et fructueuse pour les autres.

Par ailleurs, la distinction entre « élus » et « gens du dehors », entre « foule » et « disciples » n’est pas si nette qu’il n’y paraît : Jésus raconte ses paraboles, tantôt aux foules, tantôt aux seuls disciples – qui, soit dit en passant, ne sont pas dans les évangiles toujours ceux qui ont le mieux compris le message de leur maître !

Dans l’évangile de Marc, ils occupent même la première place de ceux qui n’ont rien compris de l’Évangile : de cette Parole vivante de Dieu révélée en Christ crucifié !

Voilà ce qui est le véritable mystère, difficile à comprendre, à concevoir, et même véritablement « scandaleux » pour l’homme pieux, une « folie » pour la raison humaine (comme l’écrit l’apôtre Paul dans 1 Corinthiens 1, 22ss.).

Nous avons l’habitude d’invoquer dans certains de nos confessions de foi un Dieu « tout-puissant ».

Certains textes bibliques nous suggèrent aussi d’envisager Dieu comme souverain et doté d’une puissance illimitée qui règne sur l’univers en monarque absolu.

Dans cette optique, envisager un échec de Dieu paraît absurde et blasphématoire. Un Dieu qui échoue n’est pas vraiment un Dieu.

Or, en Jésus, le Christ crucifié, Dieu se révèle justement dans un échec, un homme qui a échoué !

3 – Quand il n’y a qu’à semer !

Parole d’un Dieu qui se révèle dans l’échec violent et tragique de celui qui est venu l’incarner ? Comment l’entendre et la comprendre – et même l’accueillir avec joie ? Dieu, peut-Il vraiment échouer ?

C’est la question posée comme titre à une méditation du théologien et pasteur André Gounelle (un de mes profs préférés de Fac, il y a presque 30 ans!) Sa méditation se termine avec une double réponse :

« Oui et non !

Oui, Dieu subit des défaites lourdes et douloureuses pour lui et pour nous.

Non, car ces défaites ne sont jamais définitives. En toute situation, Dieu poursuit la lutte, continue son œuvre, va et nous entraîne plus loin. Ainsi la foi comporte-t-elle trois éléments : une sérénité née de la confiance en la puissance de Dieu ; une conscience aiguë des tragédies et des détresses de l’heure ; un engagement actif pour que le projet de Dieu réussisse »

Le semeur est sorti pour semer. Et il sème partout, n’importe où, n’importe comment, à tort et à travers, sans calculer à la dépense. Son geste est inconsidéré, immodéré, démesuré. Il sème à tous vents, à Dieu va !

Et le grain tombe comme la grâce, sans savoir si elle sera reçue, entendue, accueillie.

Notre Dieu, encore et toujours, invite chacun à se déposséder de tout savoir, de toute auto-justification, pour accueillir dans une terre libre, le grain de sa parole. Il invite chacun à lui confier inquiétudes et fardeaux pour pouvoir accueillir le grain de sa parole dans un esprit libéré.

Le semeur est sorti pour semer. Et cette parole est vie pour chacun de nous. Au-delà des diverses interprétations de la parabole, aujourd’hui pour moi, le sens se situe dans cette première phrase : le semeur est sorti pour semer. Nous sommes tous au bénéfice du geste auguste du semeur, qui en rencontrant nos cœurs, nous a donné la vie.

Amen 

Andreas Seyboldt.