Dimanche 28 juillet : je ne veux rien savoir que Christ et Christ crucifié

Dimanche 28 juillet 2013

Texte biblique : I Corinthiens 1,18-2,5

Tout va bien !

L’économie est performante, le chômage est quasiment nul, la population est multiculturelle, et en son sein cohabitent pacifiquement des adeptes de diférentes religions.

Quant à l’Eglise, elle est en forte croissance. Une foule nombreuse se presse, les dons de Dieu se manifestent de façon spectaculaire : des malades sont guéris, des hommes et des femmes prophétisent.

Bien sûr, toute médaille a son revers : la communauté chrétienne est divisée en clans, et ses membres ne sont pas solidaires entre eux. Et lors des repas communautaires, les riches mangent abondamment sans se préoccuper de partager avec les plus pauvres.

Mais il suffirait d’un peu de bonne volonté pour que tout aille pour le bien.

La base est saine. Avec un dynamisme et une foi pareils !

Vraiment, qui ne rêverait de vivre à Corinthe, à l’époque de Paul ?

« Tout cela ne vaut rien » leur écrit Paul en substance. Il vous faut tout reconstruire et repartir à zéro. Car votre manque de solidarité, vos rivalités ne posent pas un simple problème éthique. Ils manifestent que vous n’avez pas reçu, que vous vous n’avez pas compris l’Evangile. Si vous ne vivez pas le partage, la fraternité et la bienveillance au sein de votre Eglise, c’est que vous passez collectivement à côté de l’Evangile.

Pourtant, les Corinthiens se considèrent comme des chrétiens et même des chrétiens convaincus. Mais ils n’ont pas compris que le centre de l’Evangile, c’est la mort du Christ sur la croix.

« Je ne veux rien savoir que Christ et Christ crucifié » affirme Paul.

Les Corinthiens ne sont pas les seuls à se tromper ainsi.

De tous temps, la mort de Jésus sur la croix a été minorée voire niée.

Selon les gnostiques, Jésus n’aurait pas été crucifié. Au dernier moment, Simon de Cyrène ou Thomas aurait pris sa place.

Selon l’islam, Jésus ne serait pas vraiment mort sur la croix : « Seule son apparence l’a été » affirme la sourate 4.

Et ce n’est pas hasard si le symbole des apôtres devra tellement insister sur la réalité de cette mort : « Il a souffert sur Ponce-Pilate, il a été crucifié, il est mort ».

Pourquoi une telle réticence à admettre la réalité de la mort de Jésus sur la croix ?

Parce que cette mort bouscule nos repères.

Paul nous explique en quoi.

D’abord, la croix est le signe, le rappel de ce que nous aimerions tellement oublier : ce mal qui est en nous et qui nous dissocie de Dieu, de notre prochain et de notre propre personne.

Ce mal, nous voudrions le masquer ou le justifier par des considérations sociologiques, psychologiques ou politiques : si nous nous blessons mutuellement, c’est la faute à la crise, au système éducatif, à nos blessures personnelles, à l’intégrisme religieux ou au racisme.

Il y en a même qui, depuis des siècles, nous disent que l’homme est bon et que le progrès réduira le mal comme il a réduit la mortalité infantile.

Et pourtant !

Dans notre monde, dans notre vie, dans l’Eglise même, le mal est bien présent. Et ses conséquences apparaissent au grand jour.

La communauté corinthienne est divisée, signe d’une confusion entre pouvoir et service.

Dans la société de l’époque règnent le désordre moral et l’accroissement des inégalités.

Chez nous, nous évoquerons plutôt la violence urbaine, la montée parallèle du communarisme et de l’égoïsme social, ou encore notre commune difficulté à espérer.

La croix nous contraint, pour une fois, à regarder en face ce mal qui nous fait si peur.

« Je ne veux rien savoir que Christ et Christ crucifié ».

Ne nous y trompons pas !

Ce message de la croix n’a pas pour but de nous entrainer au découragement ou, pire encore, au dégout de soi.

Il nous contraint à la lucidité : nous sommes aussi capables du pire, y compris dans l’Eglise, y compris au nom des plus beaux principes.

Il nous ocnduit ainsi à la prudence : parce que tout groupe humain peut devenir maltraitant, nous devons veiller à la collégialité, à l’écoute des minoritaires, à une façon douce de communiquer;

Il nous conduit aussi à la tolérance. Comment juger autrui et lui reprocher ses défaillances si je m’en sais aussi victime ?

Mais le message de la croix ne s’arrête pas là.

Il n’est pas qu’un exercice de lucidité sur nous-même.

Car, comme en écho au mal, il y a l’incroyable pardon de Dieu.

Et ce pardon bouscule tout autant nos repères.

Vous êtes invité à un repas chez un ami, un jour où vous êtes dans de mauvaises dispositions.

Durant la soirée, vous vous comportez comme un vrai muffle, critiquant tout : le repas, le logement, les idées, la tenue de ceux qui vous invitent.

Le lendemain, vous vous réveillez, honteux de votre attitude et, parce que vous ne pouvez assumer ce que vous avez fait, vous reportez votre colère sur votre hôte. Après tout, c’est sûrement de sa faute si vous vous êtes comportés ainsi.

Soudain, la sonnerie de la porte retentit.

Votre hôte se tient sur le pas de la porte.

Et lui, victime de votre comportement, vous dit : « tu t’es très mal comporté à mon égard. Alors, en guise d’amitié, je t’apporte un cadeau ».

De deux choses l’une : c’est un être exceptionnel ou il est un peu fou.

A plus forte raison, il en est de même avec Dieu

Dans presque toutes les religions, les dieux demandent au croyant de respecter des règles, des rites, des façons de se comporter.

S’ils le font, ils sont récompensés par les dieux; dans le cas contraire, ils sont punis.

Pour éviter de l’être, ils doivent offrir des sacrifices : le sacrifice de leur argent, de leur plaisir, de leur vie.

A peu près toutes les religions fonctionnent ainsi.

Et les Corinthiens en sont probablement là. Nous aussi d’ailleurs.

La folie de la croix, c’est Dieu qui renverse cette logique.

Il n’attend pas de sacrifice pour pardonner.

Bien plus, comme l’ami offensé, c’est lui qui donne.

Chacun de nous est pardonné et couvert de dons, contre toute logique, contre toute justice.

« Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu » écrira Paul aux Ephésiens.

La folie de la croix, c’est la folie du Christ qui renonce à toute logique de dette et de réparation et qui donne, qui se donne, par amour.

Ainsi la mort de Jésus sur la croix nous renvoie à notre mal et à la grâce débordante de Dieu.

Elle est, nous dit Paul, « scandale » et « folie ».

Scandale pour ceux qui estiment que tout se mérite, à commencer par le salut.

Folie pour ceux qui se veulent si lucides qu’ils ne croient plus, n’espèrent plus et réduisent la lucidité au cynisme.

Cette folie et ce scandale peuvent changer radicalement votre vie.

Je donnerai deux exemples et terminerai par là.

Premier changement : notre générosité

Si nous sommes volontiers prêts à donner, nous attendons spontanément quelque chose en échange : pas forcément une aide en retour, mais une attitude agréable de la personne qui reçoit ou la certitude qu’elle utilisera bien cette aide, en tous cas selon nos critères.

Le scandale et la folie de la croix nous permet de donner, sans réciprocité.

La tradition juive raconte l’histoire de Maradka.

Cet homme était connu pour sa très grande générosité.

Un jour, au cours de l’une de ses visites, il rencontre un homme vivant dans un grand dénuement. Sans lui demander d’explication, il décide de lui venir en aide. Et chaque semaine, il envoie son fils lui apporter une petite somme d’argent.

Un jour, son fils revient en lui disant : « C’est un scandale : cet homme utilise l’argent que tu lui donnes pour acheter un vin de grand cru ! »

Maradka lui répond : Si cet homme pauvre achète une bonne bouteille de vin alors qu’il est démuni, c’est qu’il a été habitué dans le passé à une toute autre vie. Je vais donc doubler la somme que je lui donne chaque semaine ».

2ème exemple : notre pratique du pardon

Lorsque quelqu’un nous fait du mal, nous désirons parfois lui pardonner; pour renouer avec elle des relations acceptables ou pour que notre horizon relationnel ne soit plus entravé par ce noeud relationnel.

Mais le plus souvent, nous attendons, en échange, que ladite personne exprime des regrets ou, à tout le moins, fasse un pas dans notre direction.

La bonne nouvelle de la croix, c’est que nous pouvons, comme le Christ, pardonner unilatéralement, et libérer ainsi deux vies : celle de la personne pardonnée et la nôtre.

Oui, Paul a bien raison d’écrire aux Corinthiens comme à nous : « Je ne veux savoir que Christ et Christ crucifié ».

Amen !