Devenir « mendiant » de Dieu

CULTE d’offrande et des confirmations

Dimanche 10 octobre 2021 à Bois-Colombes – Pasteur Andreas Seyboldt

Lecture biblique : Marc 10 / 13 – 31

13 On lui amena des petits enfants, afin qu’il les touchât. Mais les disciples reprirent ceux qui les amenaient.14 Jésus, voyant cela, fut indigné, et leur dit : Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas ; car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent.15 Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera point.16 Puis il les prit dans ses bras, et les bénit, en leur imposant les mains.17 Comme Jésus se mettait en chemin, un homme accourut, et se jetant à genoux devant lui : Bon maître, lui demanda-t-il, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ?18 Jésus lui dit : Pourquoi m’appelles-tu bon ? Il n’y a de bon que Dieu seul.19 Tu connais les commandements : Tu ne commettras point d’adultère ; tu ne tueras point; tu ne déroberas point; tu ne diras point de faux témoignage; tu ne feras tort à personne; honore ton père et ta mère.20 Il lui répondit : Maître, j’ai observé toutes ces choses dès ma jeunesse.21 Jésus, l’ayant regardé, l’aima, et lui dit : Il te manque une chose ; va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens, et suis-moi.22 Mais, affligé de cette parole, cet homme s’en alla tout triste; car il avait de grands biens.23 Jésus, regardant autour de lui, dit à ses disciples : Qu’il sera difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu !24 Les disciples furent étonnés de ce que Jésus parlait ainsi. Et, reprenant, il leur dit : Mes enfants, qu’il est difficile à ceux qui se confient dans les richesses d’entrer dans le royaume de Dieu !25 Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu.26 Les disciples furent encore plus étonnés, et ils se dirent les uns aux autres ; Et qui peut être sauvé ?27 Jésus les regarda, et dit : Cela est impossible aux hommes, mais non à Dieu: car tout est possible à Dieu.28 Pierre se mit à lui dire ; Voici, nous avons tout quitté, et nous t’avons suivi.29 Jésus répondit : Je vous le dis en vérité, il n’est personne qui, ayant quitté, à cause de moi et à cause de la bonne nouvelle, sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou sa mère, ou son père, ou ses enfants, ou ses terres,30 ne reçoive au centuple, présentement dans ce siècle-ci, des maisons, des frères, des sœurs, des mères, des enfants, et des terres, avec des persécutions, et, dans le siècle à venir, la vie éternelle.31 Plusieurs des premiers seront les derniers, et plusieurs des derniers seront les premiers.

J’aime beaucoup ce passage de l’accueil par Jésus des enfants – et de l’homme riche dans l’Évangile de Marc.

Il me rappelle d’abord et toujours ce moment inoubliable, bouleversant, où j’ai tenu pour la première fois, dans mes bras, ma fille aînée nouveau-née, il y a 26 ans…

Et je peux imaginer que pour vous, parents de Louis, de Lucile et d’Ève, au moment où vous avez tenu dans vos bras pour la première fois votre enfant, il y a une quinzaine d’année, les émotions étaient fortes aussi ?!

Pour ma part, je ne vous cache pas, que j’en ai encore les larmes aux yeux, à chaque fois que j’y pense : un nouveau-né, dans toute sa fragilité, sa vulnérabilité, sa dépendance et sa beauté, qui vous est confié, pour en prendre soin, pour veiller sur elle, sur lui, pour lui permettre de grandir, de devenir un être humain indépendant, capable de marcher sur ses propres jambes, capable d’avancer sur le chemin de sa vie avec confiance et assurance…

Et aujourd’hui, être là à ses côtés, pour l’accompagner dans son premier choix spirituel qu’est la confirmation de son baptême, quelle émotion ! …

JJ’aime beaucoup ce passage de l’accueil par Jésus des enfants – et de l’homme riche dans l’Évangile de Marc.ucoup ce passage de l’accueil par Jésus des enfants – et de l’homme riche – parce qu’il me rappelle aussi et toujours notre propre fragilité humaine, à chacun·e de nous, fragile et dépendant, vulnérable et menacé. Il a suffi de l’apparition d’un petit virus pour nous rappeler cette fragilité et cette vulnérabilité de notre vie humaine – malgré tous les progrès scientifiques et médicaux …

… qui nous avaient sans doute un peu trop bercé dans l’illusion que l’être humain sait et peut tout, que nous maîtrisons la vie…

J’aime beaucoup ce passage de l’accueil par Jésus des enfants – et de l’homme riche dans l’Évangile de Marc. – car il me rappelle le regard de Dieu sur la vie de chacun·e d’entre nous : regard d’un Père aimant et bienveillant qui ne nous demande rien en échange de son amour pour nous : lorsque l’homme riche (dans Matthieu 19,16-30, il s’agit d’un « jeune homme ») « s’en alla tout triste », devant l’impossibilité pour lui de lâcher prise, d’abandonner ses biens, « car il avait des grands biens » (Marc 10,22), je suis certain que Jésus le regarde s’en aller avec le même regard d’amour et de tendresse que vous et moi, lorsque nous regardons notre enfant !

Dans son enchaînement, entre l’accueil des petits enfants et la rencontre avec l’homme riche, le message est sans ambiguïté : pour hériter de « la vie éternelle », c’est-à-dire d’une vie pleine et en profondeur, il faut se défaire de ses possessions, et se reconnaître, devant Dieu, « nu » comme un nouveau-né, fragile et vulnérable, dépendant de l’amour inconditionnel d’un père, d’une mère qui m’accueille gratuitement, c’est-à-dire, sans rien demander en retour pour mériter cet amour !

Revenons au récit de la rencontre de Jésus avec l’homme (riche) : le narrateur ne dit rien sur son origine : « quelqu’un vint » qui semble avoir des possessions.

Des possessions, des biens, certes, mais aussi du savoir religieux (celui des scribes, des savants religieux), des convictions (celles qui disent « avoir la foi »), de l’intelligence, des sécurités, des identités religieuses ou nationales.

De manière générale, tout ce par quoi l’on se suffit à soi-même. C’est cela, dit Jésus, qui fait obstacle au Règne de Dieu !

L’homme met en avant sa pratique religieuse, son obéissance aux commandements que Jésus énumère :

« Maître, tout cela, je l’ai observé dès ma jeunesse »(Marc 10 v20).

Il n’y a rien d’hypocrite dans son attitude. Il cherche sincèrement, honnêtement à faire le « bien ».

On peut imaginer un engagement religieux et moral bien sincère : bénévole dans une Église.

Bref, à tout niveau, il met en pratique l’exigence de l’amour du prochain.

Jésus ne manque pas de le reconnaître, de le « voir ». Il voit tous ces efforts, il voit cette sincérité dans la recherche de la perfection : « Jésus le regarda », nous dit le récit, « et se prit à l’aimer », (Marc10 v21a). Jésus « aime » cet homme élevé dans l’obéissance à Dieu – et qui n’a pas trouvé dans cette obéissance la réponse aux questions fondamentales de son existence. …

Alors, pourrait-on s’interroger sincèrement, avec tout cela, que lui manque-t-il encore pour être heureux ?

Que lui faut-il pour être vraiment, profondément heureux ?

Peut-il exister, sur terre, une attitude encore plus correcte, plus parfaite, humainement, que la sienne ?

Que lui manque-t-il, à cet homme riche qui a tout ? …

A lui, qui a tout, une chose lui manque … et c’est peut-être, justement, le manque

Le manque qui crée le désir, le désir de vivre pleinement…

Autrement dit, le problème de l’homme ne serait-ce pas de « posséder » déjà tout, d’être, au fond, « trop plein » de sorte qu’il ne peut plus rien recevoir ?

Or la « vie éternelle » promise par l’Évangile que Jésus annonce, elle ne se laisse pas trouver dans un « avoir », dans quelque chose à « posséder », à « gagner » par nos propres efforts, par nos propres mérites. Cette vie en plénitude est « offerte » et ne peut être que « reçue » gratuitement, de façon imméritée, de façon inattendue. …

Et vous, Ève, Lucile et Louis, les confirmands de ce jour, en quoi cette histoire de l’homme riche vous concerne-t-elle ? Et nous, les parents, pasteurs, membres d’Église, en quoi cela nous concerne ? …

Je ne sais pas ce que chacun·e de vous répond pour lui-même.

Pour ma part, je pense aux confirmations qui avaient lieu dans le village où j’ai grandi : dans la génération de mes grands-parents, et de mes parents, la confirmation entre 14/15 ans marquait aussi l’entrée dans la vie active : le début d’un apprentissage, le premier salaire : une étape importante vers l’âge adulte, vers l’autonomie. Religieusement, c’était la fin du catéchisme.

Quand j’ai fait ma confirmation, au milieu des années soixante-dix, il fallait encore apprendre par cœur certains textes fondamentaux de la Bible : les Dix Commandements avec le commentaire qu’en a fait Martin Luther dans son « Petit catéchisme », la prière du Notre Père, la confession de foi officielle de l’Église, etc.

Comme le (jeune) homme riche, « … tout cela, je l’ai appris par cœur dès ma jeunesse », (selon Marc 10 v20).

Comme lui, je pouvais « faire valoir » ce que j’avais appris par cœur – et pourtant, cet apprentissage ne m’a pas donné la foi … ce que l’homme riche nomme « la vie éternelle en partage » (Marc 10,17). …

La foi, je l’avais trouvé quelques années plus tard, de façon complètement inattendue, inespérée même – à l’écoute d’une prédication d’un vieux pasteur.

En le voyant monter au pupitre, je m’étais dit : Mais qu’est-ce qu’un vieux Monsieur comme lui peut bien m’apporter à moi, jeune homme en quête d’un sens dans ma vie ?

Et pourtant, ses paroles m’ont touché, m’ont bouleversé … je ne me rappelle plus leur contenu, et même pas sur quel texte biblique a porté sa prédication. Mais je me rappelle encore très bien de l’effet que ses paroles m’ont fait !

C’est cela, recevoir la foi : un bouleversement inattendu, et, surtout, non-mérité : cadeau, don, gratuit, grâce à une rencontre (ou plutôt plusieurs rencontres) qui nous poussent à changer de regard sur notre vie, présente et à venir, qui nous font comprendre que l’essentiel, ce qui donne sens à notre vie, la foi, la confiance, n’est pas à mériter, à gagner, mais uniquement à recevoir ….

C’est le don, c’est la gratuité, et non pas ce que nous pouvons obtenir par nos propres moyens et capacités, qui donne sens à notre vie…

C’est ce dont nous nous souvenons à chaque fois lorsqu’au culte, nous invitons au moment de l’offrande : le don gratuit !

La foi ne se laisse pas posséder comme un bien que nous pourrions acheter…

… L’Évangile tel que Jésus l’annonce, consiste justement, à se reconnaître « pauvre », à reconnaître un manque.

Rien à « faire valoir », rien à « mériter » … afin de pouvoir « recevoir » – gratuitement, gracieusement.

À se reconnaître – non pas propriétaire – mais « mendiant » devant Dieu.

Car, posséder du bien – matériel ou moral – c’est être tenté par l’illusion du plein … au point d’en être esclave, de ne plus pouvoir s’en séparer. …

De même, le devenir « comme un enfant », que Jésus recommande à ses disciples, comme une juste et bonne attitude permettant l’accès au Royaume, consiste – dans le contexte de l’époque – à se reconnaître – non pas riche, mais pauvre, pauvre en bien « matériel et spirituel ».

C’est justement parce qu’ils sont dans l’impossibilité de comprendre par eux-mêmes quoi que ce soit de Dieu et de la foi en Dieu qu’il est possible aux enfants d’entrer dans le Royaume de Dieu.

Seuls ceux qui se reconnaissent enfants, c’est-à-dire incapables et incompétents, sont à même d’accueillir et d’entrer dans le Règne de Dieu, car la seule attitude possible est celle de la confiance totale et unique en Dieu.

De se savoir reconnu, de se savoir aimé par LUI, par pure grâce, par pure bienveillance – et non pas par mérite de ce que nous faisons ou ne faisons pas.

Cela est valable aussi – et le récit le dit clairement – pour celles et ceux qui sont les plus « proches » du Seigneur : les disciples qui, au fond, sont dans la même revendication que l’homme riche quand ils disent, par la voix de Pierre, à Jésus : « Eh bien ! Nous, nous avons tout laissé pour te suivre », (Marc 10 v28).

Ils se croient ainsi être naturellement « premiers ».

Or Jésus les avertit qu’ils pourraient se trouver les « derniers », devancés par celles et ceux, qui se reconnaissent « pauvres » devant Dieu.

Une dernière remarque encore à propos de la parole de Jésus qui parle de l’abandon de « maison, frères, sœurs, mère, enfants et champs ».

Il ne s’agit, évidemment, pas d’abandonner sa propre famille, de la laisser tomber – cela serait contraire à l’exigence de l’amour.

Il s’agit de ne plus mettre en avant – dans nos relations aux autres – nos « liens naturels » :

Nos liens de sang ou sociaux, mais de mettre en avant le seul lien qui peut nous lier de façon « vraie » et sincère, authentique et profonde les uns aux autres :

Le lien de l’Amour du Christ, gratuit et inconditionnel qui ne tient compte, ni de nos origines culturelle, sociales, familiales, ni de nos mérites, mais qui nous est donné gratuitement, sans conditions et qui fait de chacun·e de nous un fils, une fille aimée du Père céleste – et un frère, une sœur aimée. …

Et là où, parfois, cela nous semble être impossible, irréalisable, Jésus nous rappelle et nous encourage, nous permet d’aller de l’avant, malgré tout, avec cette parole libératrice :

« Aux hommes, c’est impossible, mais pas à Dieu, car tout est possible à Dieu », (Marc 10 v27) : le possible de Dieu peut rencontrer l’impossible des humains.

Amen.