De l’enfermement à la paix (Pâques 2017)

Prédication du dimanche de Pâques 2017

Texte biblique : Jean 20,19-23

Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité !

Christ est ressuscité, mais les disciples n’en ont pas encore tiré les conséquences.

Pourtant, Pierre et Jean ont vu le tombeau vide.

Pourtant, Marie de Magdala a témoigné, auprès des onze, de sa rencontre avec le Ressuscité.

Néanmoins, les disciples se sont terrés dans une maison, non loin de Jérusalem.

Ils se sont claquemurés, refermant portes et volets.

Ils se sont recroquevillés dans leur peur, une peur d’autant plus prégnante qu’elle est multiple.

Il y a la peur physique : les disciples craignent d’être arrêtés puis crucifiés. Il est, en effet, peu probable que les Juifs et les Romains se contentent de Jésus.

Il y a la peur spirituelle.

Pendant trois années, les disciples ont suivi Jésus parce qu’ils le croyaient Messie. Quoi qu’il se passe, ils se trouvent en « porte-à-faux » : si Jésus est bien le Messie, ils l’ont abandonné ou renié ; s’il ne l’est pas, ils ont suivi un faux prophète.

Dans les deux cas, comment l’Eternel ne réagirait-il pas avec colère ?

Peur de la persécution ; peur de Dieu ; peur d’eux-mêmes, enfin.

Désormais, les disciples se savent capables du pire.

Pierre a renié Jésus à trois reprises. Il a sorti l’épée pour trancher l’oreille du garde venu arrêter Jésus.

Quant aux autres disciples, ils ont pris la fuite au moment crucial.

Les disciples ont bien des raisons d’avoir peur.

Et cette peur a un fruit amer : l’enfermement, le repli sur soi.

Jésus les appelait à vivre « au grand large », à partager la Bonne Nouvelle. Les disciples sont restés dans la capitale, repliés géographiquement, humainement, spirituellement.

Deux mille ans plus tard, nous vivons aussi dans la peur.

Bien sûr, aujourd’hui, en France, nous ne craignons plus les persécutions religieuses; mais la peur prend d’autres formes : peur de la violence, du chômage, du déclassement, de l’islamisme.

Peur aussi du résultat des prochaines élections présidentielles et des résultats désastreux auxquels pourraient conduire la peur et la colère.

Comme les disciples, nous avons également peur de ce mal, tapi en nous, qui semble toujours pouvoir nous submerger.

Enfin, il y a la peur d’être abandonné de Dieu : « Et s’il ne m’écoutait plus ? Si je le décevais tellement qu’il finissait par se détourner de moi ? »

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la peur nous recroqueville sur nos réseaux familiaux ou amicaux ou sur une quête identitaire mortifère.

Nous nous calfeutrons, nous voulons fermer les portes et fenêtres de notre vie comme de notre pays, pensant ainsi calmer notre peur alors que cet enfermement ne fait que la renforcer.

« La paix soit avec vous »

Les disciples croyaient s’être protégés de toute intrusion.

Pourtant, le Christ ressuscité est bien là, présent, au milieu d’eux.

« La paix soit avec vous » 

A deux reprises, le Christ prononce cette bénédiction, afin que la paix fasse son chemin dans l’esprit des disciples.

Au premier abord, ces mots semblent en décalage avec la réalité.

Comment être en paix en pareille situation ?

Pourtant, désormais, la paix devient envisageable, parce que le Christ est là.

Les disciples ont toujours des raisons d’avoir peur mais, désormais, ils ne sont plus seuls.

Aujourd’hui encore, la paix est possible, quelles que soient nos situations de vie, parce que le Christ est présent dans nos vies.

Même lorsque nous sommes recroquevillés sur nous-mêmes, le Christ est là.

Même lorsque nous barricadons notre vie, le Christ est là.

Même lorsque, à vue humaine, il n’y a plus d’espoir, le Christ est là.

Nous pouvons donc lui confier nos peurs. Et toute peur partagée perd de son pouvoir ; la paix peut alors prendre la place laissée vacante.

Seconde brèche dans le mur de la peur : Jésus montre aux disciples ses mains et son côté, encore marqués par les clous et la lance du soldat.

Ce geste a une dimension pédagogique, Christ atteste qu’il est bien Jésus de Nazareth.

Surtout, il veut les contraindre à regarder en face ce qui leur fait tellement peur : la violence des autres mais aussi la leur, la lâcheté de la foule mais aussi la leur.

Les disciples doivent admettre la réalité de l’injustifiable qui a conduit des croyants à mettre à mort le Fils de Dieu et qui conduit, aujourd’hui encore, à la négation de l’autre.

La situation des disciples n’a pas changé.

Ils sont toujours menacés par les Juifs et les Romains ; ils sont toujours conscients de leur faiblesse et de leur violence.

Mais, maintenant, accompagnés du Christ, ils regardent le mal en face.

Nous non plus, nous ne savons pas vivre avec le mal, commis ou subi.

Nous tentons de le nier par un humanisme sympathique mais inopérant, ou de le concentrer sur quelques figures pathologiques.

Nous essayons aussi de le relativiser en lui donnant une explication médicale, politique, sociale ou psychologique.

Nous espérons que le progrès permettra finalement de le maîtriser.

Pourtant, le moindre qu’on puisse dire est qu’aucun progrès significatif n’a été enregistré.

Il nous faut donc bien convenir qu’il existe une dimension du mal irréductible aux progrès du savoir, de la justice sociale de la psychologie, qu’il existe en nous des forces de destruction, de négation de l’autre et de soi-même contre lesquelles nous n’avons pas vraiment prise.

Nous n’aimons plus parler du péché, y compris dans nos Eglises.

Mais ne croyons pas qu’en supprimant le mot, la réalité qu’il décrit va disparaître. Au contraire, le mal est encore plus fort quand il n’est pas nommé.

Lorsque nous sommes devant la croix, nous ne pouvons plus nier ce qui nous écrase.

Alors, la paix devient possible.

« La paix soit avec vous » dit Jésus pour la seconde fois.

Cette paix nous est donnée car Pâques atteste que le dernier mot n’est pas donné au mal et à l’absurde.

Le crucifié est ressuscité !

Au cœur du mal et de l’absurde, au cœur de notre refus du projet de Dieu, l’Eternel a posé un acte de vie et de réconciliation.

Il a relevé Jésus-Christ d’entre les morts. Il a offert son pardon. Il a proposé une nouvelle alliance.

Désormais, pour nous comme pour le monde, il y a un au-delà du mal.

Désormais, la paix est toujours possible, la paix est toujours donnée.

Dernière étape, dernière parole du Christ : « Comme le Père m’a envoyé, à mon tour, je vous envoie ».

Cette parole est une promesse : il peut exister la même communion entre le croyant et Dieu qu’entre le Père et le Fils.

Enfin, nous pouvons vivre en paix avec Dieu, avec les autres et avec nous-mêmes.

Enfin, nous pouvons cesser de souffrir toujours des mêmes blessures ou de nous fourvoyer toujours dans les mêmes impasses.

Enfin, nous pouvons naître de nouveau.

Cette parole de Jésus est également un envoi : les disciples sont envoyés, au près comme au loin, pour diffuser la paix.

Et parce qu’il n’y a pas de paix sans réconciliation, ni de réconciliation sans pardon, le Christ leur donne un pouvoir, le seul pouvoir du chrétien : celui de pardonner en son nom.

Car il sait que, face à l’excès du mal et de la peur, il est des situations où seul le pardon, acte de pure grâce, peut briser l’enchaînement infernal des fautes et des blessures : « Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ».

Et si les disciples ont aussi le pouvoir de ne pas remettre les péchés, c’est parce qu’un pardon accordé à contretemps culpabilise ou déresponsabilise celui qui en est le bénéficiaire.

Chers amis, en ce jour de Pâques, une bonne nouvelle nous est annoncée : Christ est présent dans notre vie et dans le monde, y compris lorsque le mal semble régner.

Parce qu’il est là, nous pouvons regarder en face ce qui nous écrase.

Parce qu’il est là, nous savons que le mal n’aura pas le dernier mot.

Parce qu’il est là, nous recevons la paix et le pouvoir de pardonner.

Parce qu’il est là, nous pouvons répandre cette paix et ce pardon.

« La paix soit avec vous »

Amen !