Culte pour les endeuillés et chargés

Texte biblique : Luc 5, 17-26

Soyons francs, ce récit nous met mal à l’aise, surtout pour un culte des endeuillés !

D’abord, c’est un récit de guérison et nous ne savons pas trop quoi en faire.

Jésus guérissait-il réellement ou ces miracles sont-ils avant tout symboliques ? Et si oui, pourquoi ne le fait-il pas toujours ?

Autre difficulté : dans ce récit, Jésus pardonne puis guérit. Cela signifie-t-il qu’à contrario, il relie la maladie et le péché ? Celui qui souffre doit-il donc se sentir coupable et se demander « ce qu’il a fait au ciel pour mériter cela  » ?

Pour cheminer avec ces questions, je vous propose de suivre la méthode de Kierkegaard.

Face à des textes bibliques difficiles, le philosophe protestant danois conseillait de se mettre dans la peau de chacun des personnages.

Alors, commençons avec les scribes et les pharisiens.

Lorsque notre récit débute, ils sont assis, écoutant l’enseignement de Jésus.

Ils viennent d’être témoins de plusieurs guérisons.

Les scribes et pharisiens se demandent qui est Jésus : un interprète de la loi juive, un homme qui a reçu de Dieu le pouvoir de guérir, un imposteur ?

Ils ne sont ni hostiles ni bienveillants. Ils observent.

Rapidement, ils vont sortir de leur neutralité.

Dès que Jésus pardonne au paralytique ses péchés, alors, ils le rejettent : « en pardonnant, cet homme se prend pour Dieu. Il blasphème ! »

Ne nous y trompons pas. Les scribes et pharisiens ne sont pas mal intentionnés; mais ils attendent de Jésus que ses paroles et ses actes se situent à l’intérieur de leur cadre de pensée, celui de la Loi juive,la Torah.

Nous leur ressemblons dès lors que nous sommes prêts à écouter l’Evangile, à condition que ce que nous entendons ne bouscule pas notre conception du monde et de Dieu.

Par exemple, beaucoup d’entre nous – et je mets volontiers dans le lot – aiment bien les enseignements de Jésus sur le pardon ou sur la prière … mais mettent sagement de côté le Jésus qui ressuscite Lazare ou qui chasse les démons.

D’autres citent des passages de la Bible favorables à la famille traditionnelle et censurent les paroles de Jésus relativisant fortement les liens familiaux : « ma vraie famille, elle est composée de ceux qui me suivent » dit pourtant Jésus à plusieurs reprises.

Bref, au-delà même de ces exemples, ne regardons pas de trop haut ces scribes et pharisiens… car nous leur sommes bien proches.

Déplaçons maintenant nos regards vers le deuxième groupe de personnages : ceux qui portent le paralysé.

Ayant appris que Jésus guérissait des malades, ils veulent lui présenter leur ami.

Dans un premier temps, ils y sont empêchés par la foule qui leur barre l’accès à Jésus.

Alors, ils passent derrière la maison, grimpent jusqu’à la terrasse, et creusent un trou.

N’exagérons pas leur exploit !

Ils n’escaladent pas un gratte-ciel tel Tom Cruise dans le dernier « Mission Impossible ! »

La maison doit faire trois mètres de haut et le toit est en argile avec de la paille.

Pour autant, ils montrent de la ténacité et de la délicatesse; il leur faut veiller à ne pas faire basculer le paralytique dans le vide.

Et cette double attitude est appréciée par Jésus, qui y voit une démarche de foi.

Oui, il faut de la foi pour porter délicatement celui qui n’a plus de force.

Le porter physiquement mais aussi humainement et je pense à ces enfants qui prennent ainsi soin de leurs parents, je pense à ces parents, pourtant vieillissants et qui s’occupent de leur enfant handicapé; je pense à ces conjoints fragiles qui s’épaulent mutuellement.

Je pense aussi à ces accompagnements humains et spirituels, dans les associations, au sein de l’Entraide, à titre individuel.

Accompagnement dans l’espoir d’une amélioration, voire d’une guérison.

Accompagnement, peut-être plus courageux encore, lorsqu’il n’y a plus rien à faire, sinon conduire la personne malade jusqu’à la fin.

Accompagnement de la personne endeuillée.

Venons-en maintenant au paralysé lui-même.

Dans ce récit, il est le seul à ne rien dire, à ne rien faire, à ne rien demander.

Il n’est même pas dit qu’il attende quelque chose de Jésus.

Attitude guère valorisée aujourd’hui alors qu’on valorise au contraire le désir, la volonté, la résilience.

D’ailleurs, Jésus fait de même lorsqu’il demande à un autre paralysé : « Veux-tu guérir ? »

Et même lorsqu’il n’en appelle pas au désir du malade, il s’efforce souvent d’entrer en relation avec la personne aidée.

Rien de tel ici.

Ses amis le portent, Jésus le pardonne puis le guérit, sans rien lui demander.

Jésus fera allusion à cette situation dans deux paraboles, dans ce même évangile : la parabole du fils prodigue et celle de la brebis perdue.

Dans les deux cas, celui qui a besoin d’aide, l’homme laissé pour mort par les brigands et la brebis tombée dans un ravin, est trop mal au point, trop fragile pour entamer une quelconque démarche. Il a d’abord besoin d’être porté, soigné, « retapé ».

Il en est de même aujourd’hui.

Nous nous efforçons de respecter l’autonomie du sujet, d’aider celui qui tombe à se relever par lui-même. Et nous avons souvent raison de le faire !

Mais, dans un premier temps, il est inutile de demander à une victime d’une dépression de se mobiliser ! Il est inutile de demander à un chômeur de longue durée de se prendre seul en charge et d’adopter une mentalité de « gagnant » alors qu’il a envoyé 500 lettres et passé 40 entretiens, sans succès !

Il est des moments où nous avons simplement à porter quelqu’un, jusqu’au Christ

Il reste un dernier personnage, le principal, Jésus.

Son attitude est mystérieuse.

Il vient de faire des miracles de guérison, un homme paralysé lui est présenté, il a l’occasion de mettre fin à une souffrance et de montrer sa puissance.

Et pourtant Jésus ne le fait pas immédiatement.

Au lieu de guérir, il annonce à l’homme que ses péchés sont pardonnés.

Pourquoi ce détour ?

Pour casser le lien entre la souffrance et la faute.

Dans l’esprit des compagnons de Jésus, la souffrance a toujours une origine morale.

Si quelqu’un est paralysé, lépreux ou aveugle, c’est qu’il a dû commettre une faute et que, par sa maladie, Dieu le punit ou l’avertit.

Dans l’Evangile selon Jean, lorsque Jésus se retrouve devant un aveugle-né, les disciples lui demandent : « Qui a péché ? Lui ou ses parents ? »

Aujourd’hui encore, cette même question est posée à celui qui souffre :

« Tu es malade mais as-tu mené une vie saine ? »

« Tu es dépressif mais fais-tu tout ce qu’il faut pour t’en sortir ? »

« Ton père est mourant mais l’accompagnes-tu suffisamment ? « 

Alors, pour bien briser ce lien, Jésus pardonne sans guérir, du moins dans un premier temps.

Le paralysé reste atteint par son infirmité. Et pourtant, il n’est plus coupable aux yeux de Dieu puisqu’il vient d’être pardonné.

Ainsi Jésus brise le lien faute – souffrance.

Il le fera dans son enseignement, par ses miracles.

Il le fera surtout en acceptant de mourir sur la croix.

Si lui, l’innocent, dont la vie est totalement inspirée par Dieu, souffre et meurt sur la croix, alors, il devient clair que faute et souffrance n’ont pas de lien systématique.

Son pardon répond à un autre motif.

Jésus ne considère pas l’être humain comme compartimenté : le physique d’un côté, le psychique de l’autre et le spirituel on ne sait où.

Il sait que chacun de ces aspects interagit avec un autre.

Il sait donc qu’en pardonnant, il commence à sortir l’homme de sa paralysie.

Il y a quelques années, j’étais à Madagascar.

Et l’Eglise protestante malgache, la FJKM, avait choisi comme devise pour l’année : « L’Evangile pour tout homme, l’Evangile pour tout l’homme ».

C’est la seconde partie de la devise qui est la plus originale : « l’Evangile pour tout l’homme ».

L’Evangile du salut et de la libération transforme l’homme dans sa globalité : son physique, son psychique, sa vie spirituelle.

L’Eglise malgache essayait de mettre en pratique ce mot d’ordre en proposant des temps de culte, des soins médicaux et un soutien psychologique.

Elle était ainsi fidèle au Christ qui pardonne le paralysé et s’attaque à son infirmité physique, sans négliger l’un ou l’autre.

C’est parce qu’il est restauré dans la totalité de son être que l’homme peut répondre à l’injonction de Jésus : « Lève-toi ».

« Lève-toi » car désormais tu n’es plus infirme, dans ta tête, ton coeur ou ton corps..

« Lève-toi » car une vie nouvelle peut commencer.

Amen !