Culte du 1er août 2021 – Bois-Colombes

Lectures : Marc7, 24 – 30

24 Jésus partit de là et se rendit dans le territoire de Tyr. Il entra dans une maison et il voulait que personne ne le sache, mais il ne put rester caché.

25 Une femme, dont la petite fille était possédée par un esprit impur, entendit parler de Jésus ; elle vint aussitôt se jeter à ses pieds.

26 Cette femme était grecque, née en Phénicie de Syrie. Elle priait Jésus de chasser le démon hors de sa fille.

27 Mais Jésus lui dit : « Laisse d’abord les enfants manger à leur faim ; car il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. »

28 Elle lui répondit : « Seigneur, les petits chiens aussi, sous la table, mangent les miettes des petits enfants. »

29 Alors Jésus lui dit : « À cause de cette parole, va : le démon est sorti de ta fille. »

30 Elle retourna chez elle et, là, elle trouva la petite fille étendue sur le lit : le démon était sorti d’elle.

Prédication :

Jésus, était-il xénophobe ?

À la lecture de ce récit, la question se pose légitimement. Jésus y exprime ce que de nos jours, en France, un certain courant politique revendique sous l’appellation de préférence nationale !

Une lecture littéraliste de la Bible y verrait la preuve que la religion chrétienne défend la ségrégation et le racisme…

Et même si nous ne pratiquons pas une telle lecture, ce récit peut créer un malaise, voir même un choque, tant il est vrai que nous sommes habitués à un Jésus accueillant. Un Jésus, toujours prêt à répondre positivement aux demandes d’aide et de guérison que l’on lui adresse – sans tenir compte des origines sociales ou ethniques des personnes !

Que Jésus ne réponde pas positivement à la demande de la femme sous prétexte qu’elle ne fait pas partie des enfants du pays, est difficile à comprendre, d’autant plus que Jésus exprime son refus avec des mots à résonance humiliante et dégradante pour la femme : « …il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens » (Marc 7,27). …

Alors, comment lire et entendre dans ce récit évangélique une parole d’Évangile, malgré ou au-delà de la dureté des mots qu’il contient et exprime dans la bouche même de Jésus ?

Concrètement : pourquoi Jésus, généralement si empathique, semble-t-il refuser la guérison demandée, ou du moins, la diffère-t-il ?

Est-ce vraiment du mépris qu’il exprime à l’égard de cette femme, sous prétexte qu’elle n’est pas de son peuple ? Ou s’agit-il, peut-être au contraire d’un test pour évaluer la ténacité de la femme ? Et pourquoi, Jésus utilise-t-il cette métaphore, cette image aux allures de parabole, un peu obscure ? Quel rapport y a-t-il avec la demande de la femme ?

Et, finalement, pourquoi est-ce « à cause de [la] parole » de la femme (cf.Marc7, 29) que Jésus acquiesce à sa demande de guérison ?

Les réponses se trouvent dans le texte même – et dans son contexte ! Il nous faudra alors relire le récit – en y incluant son contexte … C’est à cela que je voudrais vous inviter – en trois temps – comme d’habitude :

  1. Jésus, prophète juif en terre étrangère
  2. Une femme grecque d’origine syrienne
  3. La rencontre qui provoque une guérison

1) Jésus, prophète juif en terre étrangère

« Jésus partit de là et se rendit dans le territoire de Tyr. Il entra dans une maison et il voulait que personne ne le sache, mais il ne put rester caché » (Marc 7,24).

Jésus vient de vivre une journée particulièrement lourde.

Dans l’épisode précédent, il a été interpellé par des pharisiens et des scribes qui lui ont reproché la liberté qu’il accorde à ses disciples par rapport aux traditions religieuses juives, en particulier au sujet des règles alimentaires : « Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens et prennent-ils leur repas avec des mains impures ? » (Marc 7,5). « En effet », précise le récit, « les pharisiens, comme tous les Juifs, sont attachés à la tradition des anciens : ils ne mangent pas sans s’être lavé les mains avec soin » (Marc 7,3).

Ce qui est en jeu dans cette controverse est la question de la pureté et de l’impureté :

La pureté (religieuse) est la condition indispensable pour partager aux offices religieux, pour approcher Dieu.

Est considéré comme « pur », celui qui est « en règle » avec les commandements, à commencer avec celui de la circoncision, ainsi qu’avec les prescriptions de lavages rituels et des règles alimentaires. En revanche, est considéré comme « impur », celui qui ne s’y soumet pas, à commencer avec les non-circoncis – ce qui exclut, de fait, tous les non-Juifs de la « pureté ». La séparation entre pur et impur s’étend également dans l’espace : la terre étrangère est considérée comme impure

Or, c’est justement là où Jésus se rend, de plein gré, en plus, pour y chercher du repos !

Dans la controverse qui l’oppose aux religieux de son peuple, il affirmait que l’impureté ne vient pas du dehors, c’est-à-dire des aliments considérés comme impurs et plus généralement les règles qui ne visent que le corporel, le physique de l’humain :

« C’est ce qui sort d’une personne qui la rend impure », dit-il aux religieux. « Car c’est du dedans, du cœur de l’être humain, que viennent les mauvaises pensées ; elles le poussent … voler, tuer, … vouloir ce qui est aux autres, …

Être envieux, dire des insultes, être orgueilleux et insensés. Tout ce mal sort du dedans et rend la personne impure » (Marc 7,20-23).

En fait, Jésus reproche aux religieux qui l’accusent de laxisme par rapport à la Loi qu’eux-mêmes ne respectent pas la loi de Dieu telle qu’elle se trouve résumée dans les Dix Commandements.

Est-ce en conséquence de ces paroles, de cette interprétation de la Loi ouverte au prochain d’où qu’il vienne – que Jésus se rend « dans le territoire de Tyr » (Marc 7,24), en terre étrangère, justement ?

Le récit ne le précise pas. Toujours est-il que, si Jésus s’y rend, ce n’est pas pour y accomplir quelque autre miracle ou guérison, mais pour y prendre des vacances : «  Il entra dans une maison et il voulait que personne ne le sache » ! (Marc 7,24).

C’est alors qu’il va faire l’expérience d’une rencontre imprévue, voir même très fortement improbable – pour ne pas dire interdite – qui l’interpelle sur la mise en pratique concrète de ce qu’il vient d’affirmer dans la controverse avec les religieux : l’impur ne vient pas de ce qui est extérieur, de ce qui est étranger à nous !

2) Une femme grecque d’origine syrienne

Avant de venir concrètement à la rencontre – inattendue et improbable – entre Jésus et la femme syro-phénicienne, regardons un peu plus près qui est cette femme et d’où vient-elle …

Comment cela se fait-il qu’elle puisse faire irruption dans la maison où Jésus tentait de « rester caché » ?

Commençons par regarder dans quel monde vivent les femmes et les hommes du premier siècle dans l’antiquité gréco-romaine de l’époque de Jésus.

Les frontières identitaires y étaient déterminantes :

Il s’agissait d’une société patriarcale avec une hiérarchie sociale laissant place à peu de mobilité et à des rapports très rigides, avant tout régis par la valeur de l’honneur (et sa contre-valeur, la honte).

Chacun·e à sa place, pour ne pas perdre la face !

A cela s’ajoute, pour les juifs, la frontière de la religion, qui se manifeste entre autres et, de manière très concrète, par la question de la pureté des aliments – nous venons d’en parler – qui empêche de se mettre à table avec un païen.

Dans ce contexte, une femme qui se déplace seule et agit indépendamment de la tutelle d’un homme est inconcevable. En plus, elle est – doublement – étrangère : au plan religieux (grecque = païenne) et géographique (syro-phénicienne).

Doublement étrangère et triplement impure !

Ce qui motive sa demande est qu’un démon soit chassé de sa petite fille. Dans ce but, elle sort de son univers, de la sphère dans laquelle elle évolue depuis toujours, pour aller chercher la guérison à l’extérieur de sa religion et de ses traditions.

L’attitude, la démarche de cette « petite bonne femme », comme l’appelait Martin Luther dans une prédication sur ce passage, fait preuve d’un courage et d’une détermination exemplaire, incroyable même ! Une vraie maman, prête à tout pour sauver sa fille, sa « petite fille », comme le précise le récit, ce qui traduit un diminutif affectif dans le texte grec.

Venons, à présent, à ce qui est au cœur du récit :

3) Une rencontre improbable qui suscite une guérison !

Elle a lieu à l’initiative de la femme – étrangère et païenne – qui, à l’encontre de toutes les conventions, vient à sa rencontre, seule, dans la maison qu’il occupe.

Elle intercède auprès de lui pour sa fille en se jetant à ses pieds, l’appelant par le titre qui, dans le langage biblique, est réservé à Dieu : Kurie = Seigneur.

Elle est la première personne (depuis le début de l’Évangile de Marc) à désigner Jésus par ce titre.

Méconnu et contesté par les responsables d’Israël (cf. l’épisode précédent de la controverse avec les religieux, évoqué plus haut),

Jésus est aussitôt reconnu par une païenne alors même qu’il n’avait pas l’intention de se faire connaître ! …

À bien y regarder, personne est à sa place, là où il devrait être, ni le prophète juif (chez les païens), ni la suppliante (dans la maison d’un homme).

Rencontre improbable, donc !

Rencontre qui suscite un déplacement.

Celui de la femme, d’abord, qui interpelle Jésus en dehors des conventions.

De Jésus, ensuite, qui se laisse interpeller par la femme, au point que lui-même change d’attitude !

On est loin de l’image d’un Dieu immuable, imperturbable qui sait tout, peut tout en planant au-dessus les nuages, loin de la terre des humains et de leurs souffrances !

Jésus, dans ce récit, est pleinement proche et solidaire des humains.

De deux manières :

D’abord en partageant – au sens d’éprouver lui-même – leurs peurs et leurs craintes : la réticence devant l’étranger, devant celle ou celui qui n’a pas la même culture, la même religion, (ou dont le passé a fait un ennemi héréditaire), est une réaction normale chez tout un chacun, même chez Jésus.

D’ailleurs, le récit ne juge pas négativement la réticence de Jésus. Il ne nous propose pas un jugement moral sur son attitude.

Ensuite, en se laissant interpeller, en se laissant déranger et même déplacer par la supplication, par la prière de cette femme. …

Peut-être cela vous rappelle un autre récit qui se trouve dans le Premier Testament.

C’est Abraham qui interpelle Dieu sur son projet de détruire les villes de Sodome et Gomorrhe à cause de la violence xénophobe de leurs habitants :

« Vas-tu vraiment supprimer le juste avec le coupable ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville !

Vas-tu vraiment supprimer cette cité, sans lui pardonner à cause de cinquante justes qui s’y trouvent ? » (Genèse 18,23-24).

Et Dieu change de projet en répond positivement à cette prière d’intercession d’Abraham – tout comme Jésus change d’attitude et de regard sur la femme à cause de sa supplication ! …

Le récit ne juge pas négativement la réticence de Jésus.

Il nous apprend, cependant, qu’il est possible d’aller au-delà de cette crainte.

Non pas au nom d’une morale, de bons sentiments, d’une exigence éthique qui exclut d’emblée ceux qui se savent incapables d’y obéir.

Non pas à cause d’une morale qui commence toujours par désigner le mal chez les autres (le raciste ou le xénophobe), à l’extérieur de soi-même pour éviter de se mettre en question !

C’est ici la foi qui pousse cette femme vers Jésus.

La foi qui est rencontre avec le Christ.

La foi qui peut permettre d’assumer la crainte de l’autre et, en l’assumant par la grâce de Dieu, d’aller au-delà de la peur, vers la rencontre possible et porteuse de guérison et de vie : l’expérience que Jésus lui-même a vécue et qu’il nous invite à faire nôtre.

Cette histoire raconte qu’un miracle est possible avec le Dieu de Jésus.

Parce que c’est un Dieu qui n’est pas éloigné de l’humain, de ses craintes, de sa faiblesse.

Parce que c’est un Dieu qui, en Jésus, a connu et vécu nos craintes et nos faiblesses.

Voilà le miracle que vivent Jésus, la femme et sa petite fille : le miracle de la rencontre.

À cause de cette rencontre, Jésus vient de franchir une étape : cette païenne lui fait découvrir l’universalité de sa mission, elle vient d’ouvrir Jésus « au monde ».

En conclusion :

La femme dans notre récit est un modèle de la foi. De deux manières.

D’une part, du fait de son déplacement vers Jésus depuis son univers religieux et ses traditions, elle illustre l’extériorité du salut.

Dans la théologie protestante des Réformateurs, ce récit nous rappelle, très finement, que le salut est extra nos : en dehors de nous. Il ne vient pas de l’intérieur mais de l’extérieur.

Pour la femme, il y a reconnaissance que ce n’est pas de son univers culturel ou religieux que viendra le salut.

D’autre part, la persévérance et le courage de cette femme qui permettent que l’ouverture des temps messianiques pour les nations païennes devienne une réalité vivable. Cette femme est l’ancêtre en la foi de tous les païens – dont nous sommes aussi !

Pour conclure, écoutons ces mots de Martin Luther, extraits d’une prédication sur la femme païenne de notre récit :

« N’est-ce pas un coup de maître ? Elle attrape le Christ dans ses propres paroles. …

C’est pourquoi le Christ se dévoile maintenant tout à fait ; il se rend à sa volonté : elle n’est pas un chien ; elle est, elle aussi, un enfant d’Israël. … C’est pourquoi notre cœur doit tourner le dos à ce qu’il ressent et faire ce que fait cette petite femme : saisir et tenir d’une foi ferme le oui profond «  de Dieu sur nos vies – et sur la vie de tous les humains !

Amen

Andreas Seyboldt