Culte du 18 juillet 2021 – Bois-Colombes

Lectures : Marc6, 30 – 44

30 Les apôtres se réunirent auprès de Jésus et lui racontèrent tout ce qu’ils avaient fait et enseigné.

31 Il leur dit : « Venez avec moi dans un endroit isolé, pour vous reposer un moment, à l’écart. » En effet, les gens qui allaient et venaient étaient si nombreux que Jésus et ses disciples n’avaient même pas le temps de manger.

32 Ils partirent donc dans la barque, vers un endroit isolé, à l’écart.

33 Mais beaucoup de gens les virent s’éloigner et comprirent où ils allaient ; ils accoururent alors de toutes les localités voisines et arrivèrent à pied à cet endroit avant Jésus et ses disciples.

34 Quand Jésus sortit de la barque, il vit cette foule nombreuse ; il fut bouleversé par ces gens, parce qu’ils étaient comme des moutons qui n’ont pas de berger. Et il se mit à leur enseigner beaucoup de choses.

35 Comme il était déjà tard, les disciples s’approchèrent de lui et lui dirent : « Il est déjà tard et cet endroit est inhabité. 36 Renvoie ces gens pour qu’ils aillent dans les campagnes et les villages des environs s’acheter de quoi manger. »

37 Jésus leur répondit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! » Ils lui demandent : « Irons-nous dépenser 200 pièces d’argent pour acheter du pain et leur donner à manger ? »

38 Jésus leur dit : « Combien avez-vous de pains ? Allez voir. » Ils se renseignèrent et lui dirent : « Nous avons cinq pains et deux poissons. »

39 Alors, Jésus leur donna l’ordre de tous s’installer par groupes, sur l’herbe verte. 40 Les gens s’installèrent par groupes de cent et de cinquante.

41 Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, leva les yeux vers le ciel et dit une prière de bénédiction. Il partagea les pains et il les donnait aux disciples pour qu’ils les distribuent aux gens. Il partagea aussi les deux poissons entre eux tous. 42 Chacun mangea à sa faim.

43 On emporta les morceaux de pain qui restaient, de quoi remplir douze corbeilles, et les restes des poissons.

44 Ceux qui avaient mangé les pains étaient au nombre de 5 000 hommes.

Prédication :

Après le départ, c’est le retour :

Les disciples, reviennent de la mission que Jésus leur avait confiée. Ils avaient du succès : « Ils chassaient beaucoup de démons, ils faisaient des onctions d’huile à beaucoup de malades et ils les guérissaient », (Marc 6/13).

Mais ils ont également connu des échecs : ils ont notamment appris – à travers la mort cruelle de Jean le Baptiste – la fragilité du témoin, de l’envoyé en mission : sa vie menacée par les puissants et les conflits du monde…

Être témoin d’Évangile, être l’envoyé du Christ, cela n’est pas une balade tranquille à l’abri des tempêtes. D’où l’importance de prendre un temps de repos, de partir, de se mettre « à l’écart » … Histoire de se reposer, de se ressourcer, de prendre du bon temps ensemble, entre amis – et de profiter en exclusivité du maître bien-aimé !

C’est peut-être ainsi qu’ils l’ont imaginé quand il leur a dit : « Venez avec moi dans un endroit isolé, pour vous reposer un moment, à l’écart. » (Marc 6,31)

Mais, comme souvent avec Jésus, les choses se passent autrement que prévu : le temps du repos est interrompu par la faim de la foule et va pousser les disciples à se mettre à l’œuvre, encore, mais cette fois, ils ne seront pas au premier rang de l’action.

Notre épisode du récit va alors se dérouler en trois temps :

  1. Le temps du repos
  2. Le temps de la foule qui a faim
  3. Le temps de l’action : la faim rassasiée

1) Le temps du repos

« Venez avec moi dans un endroit isolé, pour vous reposer un moment, à l’écart. »

Il y a bien des moments dans le quotidien de nos vies, où il nous faut un temps vraiment à l’écart, vraiment à l’abri des foules … pour vivre un moment de tranquillité, de détente, des grasses-matinée et des balades en forêt, bref un temps de vacances où chacun·e de nous mettra ses préférences d’activités et de repos… nous y sommes, actuellement, en tout cas, celles et ceux d’entre nous qui sont déjà partis ! …

Jésus lui-même ne met pas en question ce besoin fondamental du repos, de cette mise « à l’écart » nécessaire avec ses disciples. Ce faisant, il fait – implicitement – le lien avec le Décalogue, les Dix Paroles : la loi fondamentale de la Bible :

« Tu travailleras six jours, faisant tout ton ouvrage, mais le septième jour, c’est le shabbat du SEIGNEUR, ton Dieu. Tu ne feras aucun ouvrage » (Exode 20,9-10), précise le 4e commandement du Décalogue. Le mot hébreu « shabbat » veut dire littéralement : « cesser, cesser de travailler, chômer, se reposer ». Dans la Bible, deux traditions sont liées au shabbat :

  • l’une le rattache à la création, et y voit le signe de l’achèvement de toutes choses par Dieu, le signe de SA Seigneurie sur l’ensemble de l’univers : « Car en six jours, le SEIGNEUR a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, mais il s’est reposé le septième jour », lisons-nous dans la suite du 4e commandement dans Exode 20/8ss.
  • L’autre tradition – transmise dans le livre Deutéronome – rattache le shabbat à la sortie d’Égypte : « Tu te souviendras qu’au pays d’Égypte tu étais esclave, et que le SEIGNEUR ton Dieu t’a fait sortir de là d’une main forte et le bras étendu ;

c’est pourquoi le SEIGNEUR ton Dieu t’a ordonné de pratiquer le jour du sabbat », (Deutéronome 2/15).

Le shabbat y est compris comme le signe de la délivrance par laquelle Dieu a fait d’Israël un peuple libre.

Libre, mais pas pour faire n’importe quoi.

Libre mais pas pour donner « prise à la chair », (Galates 5/1-14), comme dira l’apôtre Paul plus tard, en précisant : « Mais, par l’amour, mettez-vous au service les uns des autres ! Car la loi tout entière trouve son accomplissement en cette unique parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Ainsi, Jésus lui-même a observé le shabbat, mais lui a donné son vrai sens : un moyen de servir Dieu et son prochain.

Dans les deux traditions bibliques – le shabbat rappelle au peuple de Dieu que ce n’est pas l’homme qui maîtrise la vie – ni la sienne, ni celles des autres – mais Dieu. … (parole qui me paraît très actuelle dans le contexte sociétal, politique et environnemental dans lequel nous vivons actuellement, entre situation pandémique et dérèglement climatique!)

Certes, dans notre récit, le mot shabbat n’est pas explicitement mentionné. Il y est pourtant présent dans le mot « repos » et plus profondément encore à travers le mot « désert », lieu particulier de présence de Dieu : c’est là où le peuple reçoit la parole de Dieu ; c’est là, dans la solitude et le dénuement du désert, où le peuple apprend à ne dépendre que de Dieu seul !

2) Le temps de la foule qui a faim (L’intranquillité du maître)

Jésus et ses disciples sont bien partis « à l’écart » … au repos et en vacances. Puis, ils ont réussi à s’embarquer effectivement avec lui : qu’est-ce que ça sent bon la brise des vacances sur ce beau lac de Galilée, avant-goût de ce qu’ils imaginent rencontrer sur l’autre rive…

Hélas, cela ne s’est pas passé comme prévu : les foules qu’ils croyaient avoir laissées derrière eux, les ont en fait devancés et les attendent sur leur lieu de vacances !

Poussés par la détresse – plutôt morale que matérielle, les foules n’ont pas hésité à retrouver Celui qui leur a offert des paroles de vie, des paroles qui font vivre, qui donnent sens à leur vie !

L’Évangile ne peut pas se mettre en mode « repos », en mode vacances – car même en vacances, nous avons besoin d’être nourris – et pas seulement au sens matériel ! …

Les disciples – auparavant appelés « apôtres » quand ils étaient envoyés en mission – sont un peu dépassés : ils redeviennent, en fait, disciples, c’est-à-dire, élèves du maître, dans le besoin de recevoir pour eux aussi, de nouveau, une parole d’Évangile…

Alors, ils restent encore et dans un premier temps préoccupés des soucis purement matériels – qui reflètent leurs propres soucis, leurs propres préoccupations : « … il est tard. Renvoie-les : qu’ils aillent… s’acheter de quoi manger » (Marc 6,35-36). …

Mais Jésus, au lieu de renvoyer les foules, renvoie les disciples à eux-mêmes : « Donnez-leur vous-même à manger »! (Marc 6,37) – et c’est, au fond, la parole d’Évangile pour eux !

Il ne s’agit pourtant pas « d’acheter de quoi manger » – comme le pensent les disciples, mais de partager ce qu’ils ont : « Combien avez-vous de pains ? Allez voir ! »

Et alors, même si Jésus leur avait donné comme consigne avant de les envoyer en mission, « de ne rien prendre pour la route… pas de pain, pas de monnaie, pas de sac » (Marc 6,8), il se trouve qu’ils ont encore « cinq pains et deux poissons »… dans leurs besaces – et que ce « peu de nourriture » devra suffire, selon Jésus, pour nourrir une foule de « cinq mille hommes » (Marc 6,44) – sans compter les femmes et les enfants !

« Donnez-leur vous-mêmes… », sous-entendu, vous pouvez le faire, et même le peu que vous avez entre vos mains – et en vos cœurs – peut nourrir bien au-delà de ce que vous imaginez!

Et en effet, grâce à Jésus, grâce à sa confiance, grâce à sa foi en eux, ils sont capables de nourrir toute une foule de gens en quête de pain béni, c’est-à-dire, fermenté par l’esprit du partage et cuit à la chaleur de la bienveillance, de l’amitié et de l’amour.

(Comme le dit le proverbe : « Mieux vaut un morceau de pain sec et la tranquillité qu’une maison pleine de festin à disputes »– Proverbes 17/1).

3) Le temps de l’action : la faim rassasiée

Mais alors, qui nourrit la foule, finalement, dans ce récit ?

La nourriture vient bien des mains des disciples, mais elle est, auparavant, passée entre les mains du maître. Les disciples ne sont qu’intermédiaires entre Jésus et la foule.

Mais intermédiaires indispensables, car l’Évangile ne passe jamais autrement que par les paroles et gestes humains !

Et entre ces mains, il devient une véritable parole de vie que nous ne pouvons pas produire par nous-mêmes, ni vendre ou acheter, mais seulement, recevoir gratuitement et de façon imprévue et inattendu – et qui est aussi essentiel comme nourriture pour notre vie que l’est le pain quotidien !

Certes, le pain et les poissons viennent de leurs sacs – mais ils sont en quelque sorte augmentés (transformés) par le geste du partage et la parole de bénédiction de Jésus (ce que nous vivons et expérimentons chaque fois quand nous célébrons ensemble la Sainte Cène) !

C’est de cela que nous parle, au fond, le récit de la multiplication des pains : pour nourrir toute une foule de gens en quête de pain de vie, de pain spirituel pour nourrir notre faim de sens de vie, de fraternité, de communion véritable avec l’autre et les autres.

Pas besoin de grands moyens, pas besoin d’autre chose que de ce que vous avez déjà entre vos mains, de ce que vous avez déjà vous-mêmes reçu.

Il s’agit de donner, de partager avec l’autre ce que j’ai – même si, en apparence, cela est largement insuffisant ; même si en apparence je ne suis pas à la hauteur de l’attente de l’autre, que je n’ai pas grand-chose à donner, à partager et que ma foi me parait trop petite et peu convaincante pour être partagée avec celle ou celui qui en a besoin. …

Et alors, du partage de ce que chacun apporte pour l’offrir aux autres, toute une foule de convives trouvera de la nourriture – même en abondance, de « surcroît », comme le dira Jésus dans un de ses discours les plus célèbres et les plus emblématiques : « Voilà pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez… Cherchez d’abord le Royaume et la Justice de Dieu, et tout cela vous sera donné par surcroît » (Matthieu /25.33).

Ce qu’attendent nos prochains ce n’est pas une foi parfaite sans failles, sans limites, mais une foi authentique, une foi vécue et éprouvée par les événements de la vie.

Ce qu’attend celle ou celui qui nous interroge sur notre foi, ce n’est pas un savoir supérieur, une connaissance parfaite de la Bible, de la foi chrétienne … mais une foi qui pourrait le faire vivre dans le concret de sa vie.

Ce qu’attend « le monde » dans lequel nous sommes minoritaires en tant que croyants pratiquants, ce n’est pas une recette miracle pour résoudre tous les problèmes, pour répondre à toutes les questions que la vie peut nous poser, pour faire disparaître d’un coup de baguette magique tout le mal et toutes les souffrances du monde

Mais une parole qui n’est pas la nôtre, dont nous ne sommes pas propriétaires, mais que nous recevons d’un Autre.

Une parole qui NOUS fait vivre, d’abord, nous-mêmes.

Une parole de foi, d’espérance et d’amour qui permet de porter et de supporter les souffrances de notre existence. …

Parole donnée gratuitement – lorsque nous nous ouvrons à elle, lorsque nous lui réservons une place et un temps dans notre vie, temps du shabbat, temps du repos … le temps du culte ce matin, p.ex., ou nous partageons la Parole dans l’écoute et par le geste de la Cène !…

Parole donnée gratuitement par Celui qui est notre Seigneur et notre Sauveur : le Christ Jésus qui est toujours présent, toujours disponible, toujours à l’écoute de nos soucis et questionnements, que nous soyons en vacances ou pas, que nous soyons ici ou ailleurs !

En conclusion, une parole qui nous invite au repos :

(de Marion Muller-Colard)

Puise, ne t’épuise pas mais puise. Laisse faire ton repos

qui remontera pour toi le seau d’une eau nouvelle

Bois à grandes goulées, bois à petites gorgées

pour revivre autrement

Puise, ne t’épuise pas à te croire inépuisable. Le maître est venu

C’est lui qui se chargea du poids de notre salut

Bois à la source, bois sa Parole

et tu seras désaltéré

Puise. Jette loin le seau de tes efforts et de ta volonté

Laisse sourdre

Laisse reposer la pâte pour qu’agisse le levain

À trop user tes mains tu prives l’œuvre d’autres artisans

et tu prives la relève de jouir elle aussi du travail accompli.

Amen

Andreas Seyboldt