Conte de Noël

Église Protestante Unie d’Argenteuil, Asnières, Bois-Colombes et Colombes
Samedi 24 décembre 2022 – Emmanuelle Seyboldt

Conte écrit pas la pasteure Gwenaël Boulet, qui a servi de base au conte de Noël du 24/12/22 à Bois-Colombes.

En se levant, Gaston, le petit garçon, avait eu une drôle de surprise. Il s’était réveillé, avait relevé la couette et hop les deux pieds par terre. Il était impatient de foncer dans la cuisine pour déjeuner et retrouver ses parents, mais il fallait d’abord qu’il trouve ses chaussons négligemment lancés la veille au soir dans sa chambre.

Il entendait déjà son père, s’il sortait pieds nus de la chambre : « Tes chaussons, où qu’ils sont ? » Et même s’il savait qu’on ne prenait pas un rhume par les pieds, il préférait glisser ses petons dans la chaleur du feutre. Sans allumer la lumière, il retrouva sans mal le premier chausson ou plus exactement, c’est le premier chausson qui le retrouva. Il eut à peine le temps de faire un pas, que patatras il s’était pris le pied dans une masse sur le sol… C’était le chausson qui l’avait fait trébucher.

« Bon », se dit-il en enfilant le chausson avant de se relever. « C’est toujours un de trouvé, maintenant au suivant ! » Et il partit à la recherche du second. Il tâtonna et tâtonna, sous le lit, sous le bureau, à côté du coffre à jouet… rien.

C’était incroyable comme les chaussons avaient le chic pour partir dans tous les sens. À peine étaient-ils éjectés d’un geste sec du pied de Gaston qu’ils semblaient prendre vie et s’envoler à leur gré, prenant leur aise dans la chambre.

Gaston alluma la lumière : « comme ça se sera plus facile ! » Mais toujours rien. « Bon sang de bonsoir, où est-il donc passé ? » Puis il vit un bout de feutre rouge dépasser de dessous son cartable. « Alors là, j’le crois pas, mon cartable est posé là depuis le début des vacances. Je n’y ai pas touché depuis 3 jours ! »

Il s’avança encore songeur du cartable, le souleva et tira son chausson de là-dessous. Ouf, ça y était ; plus qu’à l’enfiler avant de foncer à la cuisine… Il voulut glisser son pied dedans, quand il s’aperçut que l’intérieur était tout boursouflé, comme rembourré. « Mais qu’est-ce qu’il a ce chausson ? » lança Gaston un brin agacé.

Il tira sur ce qui avait élu domicile dans la pantoufle et sortit une boule de papier cadeau toute chiffonnée et dessus était écrit : « À ne pas déplier avant demain matin ! » et juste en dessous en guise de signature : « Tu sais qui ! »

« Ça c’est la meilleure » pensa Gaston. « Et non, je ne sais pas qui a bien pu écrire ça. »

Chaussé de rouge, il déboula par le couloir, passa devant l’aquarium sans s’attarder sur l’escargot qui nettoyait les parois, sauta par-dessus Tsuki, le chat, qui demandait un câlin, et s’engouffra dans la cuisine avec le papier froissé à la main, et Tsuki à ses trousses… « Maman, qu’est-ce que c’est que cette histoire ? »

« Qu’est-ce que quoi ? », balbutia la mère pas très réveillée.

« Bah ça… » dit Gaston en agitant le bras entre la tasse de café et le nez de sa mère. « Là, la boule de papier que j’ai trouvée dans mon chausson… avec un drôle de message dessus ?! »

« Sais pas…rien… une chute de papier cadeau qui aurait dû partir à la poubelle et avec laquelle Tsuki s’est amusée » répondit la mère en lançant un regard mi en coin, mi complice au chat… qui fit de ce pas demi-tour pour aller se poser dans le salon… Trop d’agitation dans cette cuisine, et pas de câlin…rien pour retenir un petit félin.

« Ah bah voyons… Tsuki a bon dos… et depuis quand les chats savent-ils écrire ? » dit Gaston.

Ah oui, voilà donc un argument imparable… les chats savent faire plein de choses, mais tenir un crayon, certes non !

« Je ne sais vraiment pas Gaston. Demande voir à ton père » reprit la mère.

Gaston fila donc avec son papier froissé. Il trouva son père au salon, le chat sur les genoux… décidément il n’avait pas perdu de temps… Il jetait un œil au livre « Les meilleures recettes de Fêtes » et essayait de dresser la liste des courses encore à faire pour le lendemain… C’est qu’un repas de Noël, ça se prépare !

« Salut fiston ! » lança-t-il d’un air joyeux. Il adorait Noël, le père. Dès le début du mois de décembre, il redevenait comme un enfant, s’extasiait devant les lumières, enquiquinait tout le monde pour connaître ses cadeaux…

« Salut papa ! » répondit Gaston, et brandissant la boule de papier vers lui, qu’il sauva in extremis des pattes de Tsuki qui n’avait pas résisté : « Tu sais ce que c’est ? »

Le père prit la trouvaille des mains de son fils, l’inspecta, la retourna, la soupesa… au moins, il y mettait un peu d’intérêt… et finalement, d’un air circonspect et un peu songeur, il répondit : « Non, je ne sais pas ce que c’est ? Continue à chercher… »

Et c’est ce que fit Gaston. Toute la journée, il chercha. Il interrogea la grand-mère de passage, les copains venus faire une bataille de boules de neige, les voisins de palier et même la boulangère… À chaque fois, il posait sa question : « Qu’est-ce que c’est ? »

Il en avait eu des réponses… florilège d’imagination. Au choix, ça pouvait être, une blague, un refuge de fourmis, une énigme, une décoration de Noël ratée… en clair, ça pouvait être tout ou n’importe quoi… Un point cependant intriguait tout le monde : l’inscription « À ne pas déplier avant demain matin ! … Tu sais qui ! »

Tous avaient compris le début du message, sauf l’escargot de l’aquarium… mais un escargot, ça ne comprend pas grand-chose. « À ne pas déplier avant demain matin ! » Ça devait avoir un rapport avec Noël et un cadeau…

Alors Gaston s’imaginait ce qu’il pourrait découvrir quand il élargirait le papier tout recroquevillé. Parfois il lui semblait qu’il serait tellement impatient le lendemain qu’il se jetterait sur la boule et qu’il la déchirerait pour en percer le mystère. D’autre fois, en revanche, il regardait sa trouvaille avec tendresse et se voyait tout délicatement ouvrir les plis du papier, puis les lisser, pour conserver l’inscription visible. Après tout, il avait déjà passé toute une journée ensemble, et son objet mystère commençait à sérieusement lui coller à la peau.

Sa mère, d’ailleurs, s’était étonnée de son comportement. En temps normal, Gaston était obnubilé par les cadeaux… pire que son père. La veille de Noël, il ne cessait les allers-retours au pied du sapin, soupesait les cadeaux, devinait les contours sous le papier, les secouait joyeusement !

Mais aujourd’hui, rien de tel. Il avait passé la journée à tenter de comprendre ce que cachait cette boule de papier froissée, qu’elle aurait bien, elle, envoyée de suite aux recyclables.

Avant d’aller se coucher, Gaston posa ses chaussons au pied du sapin et prit la boule de papier, sa boule de papier et la remit au chaud dans le chausson rouge, comme un berceau. « Voilà, on verra bien quel cadeau mystère tu renfermes ! », lui avait-il lancé comme si la boule de papier était une personne. Puis il délogea Tsuki de derrière le sapin, prit le chat dans ses bras et sortit du salon en fermant la porte derrière lui.

Au petit matin, quand Gaston ouvrit un œil, le chat était blotti et ronronnait sur son oreiller. Il tendit l’oreille, entendit ses parents chanter dans le salon, et sut instantanément, que c’était le signal. Il pouvait les rejoindre. Il sauta du lit, faillit écraser le chat au passage qui lança un « Miaou » furibond et en deux temps, trois mouvements, rejoignit ses parents assis devant la crèche, qui l’accueillirent tout sourire.

Gaston connaissait la tradition de la maison : avant d’ouvrir les cadeaux, le matin de Noël, il fallait déposer dans la crèche l’enfant Jésus entre ses deux parents. L’opération pouvait s’avérer délicate parce que les santons étaient petits. Depuis toujours, on lui avait raconté cette histoire de futurs parents qui étaient allées à Bethléem, un petit village lointain, il y a de ça fort longtemps. Là-bas, toutes les portes s’étaient fermées à eux, et c’étaient dans une étable que leur premier enfant était né. Gaston aimait bien la suite de l’histoire avec les bergers quittant champs et troupeaux pour aller voir le bébé. Il trouvait ça un peu curieux pour des bergers de laisser les moutons… à l’époque, ils devaient bien y avoir quelques loups, tout de même… Mais ce qu’il préférait, Gaston, c’était les rois mages, ces personnages étranges avec des cadeaux bizarres… qui avait trouvé l’étable perdue d’un petit village perdu en suivant une étoile.

Il ne comprenait pas tout de l’histoire, Gaston. Ses parents lui avaient dit que le bébé, c’était Dieu, enfin son Fils… et que quand il deviendrait grand il ferait un tas de choses surprenantes et qu’il passerait une bonne partie de son temps à discuter et à marcher, et surtout à être attentif à celles et ceux que d’habitude on ne veut pas voir.

Pour lui, Gaston, qu’un bébé tout petit puisse être Dieu, c’était comment dire ?!… pour le moins déroutant. Dans sa tête d’enfant, Dieu, il se devait d’être fort et costaud et puissant… bon, d’accord, peut-être pas avec des super pouvoirs de Marvel… mais tout de même… un bébé, ce n’était ni fort, ni costaud, ni puissant… sauf peut-être pour embêter les grands frères et les adultes… en tous cas, c’est ce que disaient les copains qui avaient des petits frères et des petites sœurs. « Quand ça hurle, crois-moi que c’est puissant ! » Toujours est-il que les parents, ils croyaient que le bébé de la crèche, il pouvait être Dieu. Alors il se disait qu’il pouvait laisser aux grands leur histoire de Noël. Après tout, si ça les rendait heureux…

Ce qui le tarabusquait cette année, outre l’affaire du papier dans le chausson, c’était que ses parents n’avaient pas mis d’étoile en haut du sapin. Comment les rois mages feraient-ils donc pour trouver l’enfant dans la crèche, s’ils n’avaient plus de signe pour les guider ? Vraiment ça le turlupinait. Mais il avait eu beau tanner ses parents, leur demander avec insistance de mettre l’étoile, ils avaient répondu d’un même ton résolu : « Non, cette année, c’est à toi, Gaston, de mettre l’étoile. Tu es maintenant assez grand ! »

Assez grand, assez grand, ça s’était vite dit. En tous cas, vue la taille gigantesque du sapin, il n’était pas assez grand Gaston. Sur la pointe des pieds… non… en trainant le canapé pour monter sur l’accoudoir… non… Alors il avait pensé prendre l’escabeau… mais bien sûr, sa mère s’y était opposée pour cause de danger d’une telle escalade… Il était donc resté coincé en bas et d’étoile, il n’y en avait pas… elle avait été remisée dans la boite à déco…

Jusqu’à la veille, il en avait voulu à ces parents de cette histoire d’étoile. « Non de non, je ne suis pas assez grand ! Zut de zut, mais pourquoi ne la mettent-ils pas eux-mêmes ? » Et à chaque fois, qu’il passait devant le sapin dégarni, il pestait.

Il en était resté là, quand il avait découvert hier au matin la boule cachée dans son chausson. Et ça l’avait tellement occupé, qu’il en avait oublié sa déconvenue avec l’étoile. Mais en matin de Noël, alors que Tsuki arrivait à pas feutrés et se frottait à ses jambes au pied du sapin, il revenait dans la tête de Gaston, que si ça continuait sans étoile, Jésus ne recevrait pas de visite ! Alors à quoi bon le déposer dans la crèche, s’il devait rester seul… ?

Quand sa mère lui tendit l’enfant en bois à poser au milieu de l’âne et du bœuf, il la regarda avec un brin de tristesse. Mais tout de même, quelque chose en lui murmurait que c’était trop bête que Dieu ne naisse pas au monde, à cause d’un simple oubli d’étoile.

« C’est que si vraiment c’était Dieu cet enfant, il vaudrait mieux qu’il vienne vite », pensait Gaston. « Il en avait sacrément besoin ce monde ». Parce que le compte des choses qui allaient de travers, il n’était pas dur à faire. Autour de lui, on parlait de guerre, de violence, de pauvreté, de réchauffement climatique… et pendant quelques mois, il avait fallu se tenir à distance des plus anciens et des plus fragiles à cause d’un virus…  Parfois Gaston s’arrêtait devant l’aquarium et regardait l’escargot en pensant « t’as du pot d’être un escargot, tu sais ?! T’es pas obligé de mettre un masque… » Et il s’imaginait la tête d’un escargot masqué… ça le faisait bien marrer.

Bon… Gaston, en ce matin de Noël, il était sûr et certain qu’il y avait un bon paquet de personnes qui auraient besoin que Dieu vienne faire un petit tour par chez elles. Alors étoile ou pas étoile, ce bébé, il devait atterrir dans la crèche. Il prit sur lui et attrapa l’enfant que sa mère lui tendait et le posa sur la petite console, pile poil entre l’âne et le bœuf… Et avec un aplomb inattendu, il dit à ses parents : « Eh bien, s’il n’y a pas d’étoile en haut du sapin, et si les mages et autres voyageurs ne peuvent pas trouver Jésus… c’est moi qui viendrai lui rendre visite ! » Il avait dit cela avec tellement de conviction qu’il en avait tapé du pied par terre, écrasant par ailleurs la queue de Tsuki… « Miauou… » qui partit en furie et shoota au passage dans les chaussons de Gaston.

La boule de papier froissée était là par terre à côté du chausson renversé. Gaston la vit et se précipita dessus. « Ah, ah… nous sommes demain ! Je vais savoir ce que tu caches ! » dit-il avec un entrain retrouvé. Il écarta le papier, il l’aplatit, le lissa et il découvrit… une belle étoile. « Ça alors ! » Il la retourna et au dos étaient écrits ces quelques mots : « Merci de ton accueil ! »

Gaston regarda ses parents avec un sourire qui éclairait son visage et des yeux qui pétillaient de joie. Et il leur dit : « Dieu, il en fait souvent des surprises comme celle-là ? On boude parce qu’on n’a pas été capable de lui offrir une étoile et c’est lui qui nous en donne une. »

« Oui », dit le père, « Dieu, c’est le spécialiste en surprises. Et la plus belle qu’il ait faite aux humains, c’est de venir au monde dans un tout petit village, dans une étable, sous les traits d’un bébé, alors qu’on l’attendait en roi puissant dans le plus beau des palais de Jérusalem. »

« Ah… », dit Gaston, « Et moi, j’ai pensé à un moment que ça ne servait à rien qu’il vienne, parce qu’on n’avait pas fait tout ce qu’il fallait ! »

La mère regarda Gaston avec tendresse. « Dans la vie, on ne fait pas toujours tout ce qu’il faut…mais Dieu, lui, il vient tout de même. Quand quelque chose te tient à cœur, n’oublie pas, ne perd jamais espoir, Gaston. Parce que Dieu sera toujours là quelque part pour t’aider. Parfois, c’est juste que ce qu’il a à te dire, il le cache dans des choses toutes simples. »

« Oui, comme dans une drôle de boule enfilée dans un chausson par exemple ! » sourit Gaston. « Il est malin Dieu… sa présence a bien occupée ma journée d’hier, et aujourd’hui, j’ai la surprise d’un merci. »

La journée se passa joyeusement en famille. Les grands-parents arrivèrent avec une bûche maison. Et bien sûr on ouvrit les cadeaux ! Tsuki chopa tous les bouts de ruban-cadeaux- qui trainaient, elle fit des parties à n’en plus finir avec les chutes de papier… avant de s’affaler sur le coussin à côté de la cheminée. Qui a dit que les chats ne fêtaient pas Noël ?

Quand le soir vint et qu’il fut l’heure d’aller au lit, Gaston prit son étoile et il la posa juste au-dessus de la crèche. Pourquoi n’y avait-il pas pensé avant ? Il était assez grand pour la mettre là. En accrochant son étoile, il dit doucement à l’enfant : « C’est moi qui te remercie de ta visite ! À demain ! ».

Il passa le couloir, Tsuki aussi… L’escargot était toujours là impassible sur la vitre de l’aquarium. En arrivant dans la chambre, Gaston jeta nonchalamment les chaussons, se glissa sous la couette et fila au pays des rêves.