Une gloire paradoxale (prédication du 1er mars 2015)

Culte du 1er mars 2015 à Bois-Colombes Passion_transfiguration
Prédication sur Luc 9:18-22 ; 28-36 ; 43b-45 (annonces de la Passion et transfiguration)
par Bertrand Marchand
Le récit de la transfiguration de Jésus, que nous venons d’entendre, est la lecture proposée pour
ce 2e dimanche de Carême.
La scène se passe sur la montagne. Jésus a amené Pierre, Jacques et Jean en ce lieu retiré, où
l’on prend de la hauteur. Dans la Bible, c’est le lieu de la rencontre avec Dieu, et donc aussi le lieu
de la prière. Plusieurs fois, dans les évangiles, il nous est dit que Jésus se retire sur la montagne
pour prier. La rencontre avec Dieu, c’est ce qui se produit ici dans ce récit. Dieu vient à la
rencontre pour se révéler en Jésus.
Les trois disciples de Jésus, Pierre, Jacques et Jean, sont témoins d’une scène grandiose qui
évoque tout un monde biblique.
Le premier récit auquel on pense sans doute – et ça n’a probablement pas échappé aux disciples
– est celui du livre de l’Exode que nous avons également lu. Moïse rencontre Dieu sur la
montagne (Ex 24:17). Il entend sa voix à travers la nuée. Dieu se révèle à lui dans sa gloire avec
le même faste.
Il est également possible que les visions des prophètes Daniel et Ézéchiel reviennent à la mémoire
de Pierre, Jacques et Jean. Daniel et Ézéchiel ont tous deux vécu un événement tout aussi
grandiose (Dn 10:5 ; Ez 1:4) avec une clarté du même éclat étincelant que celui dont parle
l’évangéliste Luc pour Jésus : cette « blancheur éclatante » de ses vêtements. Daniel et Ézéchiel
ont entendu, eux aussi, la voix de Dieu qui se manifestait dans sa gloire.
Tout ce monde biblique, qui surgit probablement dans l’esprit des disciples de Jésus, se réalise
devant leurs yeux. Face à eux, ils voient Moïse, le prophète Élie et Jésus. Moïse annonçait la
venue d’un prophète semblable à lui (Dt 18:15). Élie qui était investi d’une puissance remarquable,
qui rompait les flots du Jourdain à l’aide de son manteau, tel Moïse traversant la Mer rouge, et qui,
à la fin de sa vie, est monté au ciel d’une façon prodigieuse, avec tempête, char de feu et chevaux
de feu (2R 2:11), Élie devait être de retour « avant que n’arrive le jour du Seigneur », selon le
prophète Malachie (Ml 3:23). Moïse et Élie préfigurent tous deux Jésus dans l’Ancien Testament.
Le texte biblique nous dit qu’ils se retrouvent avec Jésus au centre de la scène. Dieu se manifeste
à eux dans la nuée par sa voix. Il révèle l’identité de Jésus : « Celui-ci est mon Fils, celui qui a été
choisi. »
Alors, ce n’est pas étonnant que les disciples de Jésus soient désemparés, désorientés. Et comme
souvent, c’est Pierre qui ose l’exprimer. Comment pourrait-il reprendre la maîtrise de cette situation
dont l’ampleur lui échappe ? La réponse est simple : « dressons trois tentes ». Voilà la bonne
idée ! Pierre cherche à fixer les choses, à les établir solidement, à planter, ancrer cette
manifestation glorieuse fermement dans le sol, et à marquer le cadre du campement. La réaction
de Pierre est peut-être maladroite, mais elle me paraît tout à fait humaine face à ce spectacle.
Malgré cette tentative de reprise en main, tout continue à échapper à Pierre, et aux autres.
Jésus se retrouve seul avec les disciples qui restent interdits. Les disciples ne sont pas en
capacité de dire quoi que ce soit de ce qu’ils ont vu et entendu.
Ce récit de la transfiguration de Jésus est encadré par deux autres récits. Celui qui le précède
rapporte les paroles de Jésus sur la manière de le suivre. Celui qui le suit raconte la guérison par
Jésus d’un enfant possédé. Ces deux récits parlent encore de la gloire du Fils de l’homme, de la
gloire de Dieu et de la grandeur de Dieu.
Et si nous continuons à élargir notre champ de vision, nous voyons que l’ensemble de ces textes
est à nouveau encadré par deux annonces de la Passion de Jésus que nous avons également lu
tout à l’heure. C’est une image bien moins glorieuse qui s’offre aux disciples : un Jésus souffrant,
un Jésus rejeté par le tribunal juif au complet – les anciens, les grands prêtres et les scribes –, et
un Jésus mis à mort.
Comment peut-on tenir ensemble deux images aussi radicalement opposées l’une à l’autre ?
Alors, la première annonce de la Passion parle bien aussi de la résurrection de Jésus, mais la
souffrance, le rejet, et la mise à mort sont trop forts, trop insupportables pour les disciples, trop
incompatibles avec l’idée que l’on peut se faire de celui qui a été choisi par Dieu, le Christ. À tel
point que, chez l’évangéliste Luc, la deuxième annonce de la Passion en oublie la résurrection.
« Les disciples ne comprenaient pas cette parole. », nous dit le texte. C’est vraiment trop pour eux.
Lors de la première annonce, les évangélistes Matthieu et Marc rapportent que Pierre réagit de
façon virulente à cette image dégradée de Jésus. Mais Jésus lui répond : « Va-t’en derrière moi,
Satan ! » (Mt 16:23 ;Mc 8:33) Vouloir refuser ce Dieu souffrant, rejeté, et mis à mort, c’est rejeter
Dieu, c’est être du côté de Satan.
Alors pourquoi avoir mis la transfiguration de Jésus au centre de ces récits qui révèlent l’identité de
ce Jésus ?
Oui, qui est ce Jésus ? C’est bien la question qui nous est posée aujourd’hui, et que Jésus pose
lui-même à ces disciples avant d’annoncer pour la première fois sa Passion. À cette question,
Pierre répond : « Le Christ de Dieu. »
Cette centralité de l’image glorieuse de Jésus, alors même que la Passion est annoncée, révèle
que la gloire de Dieu traverse la souffrance, le rejet, et la mort. La gloire de Dieu ne s’y trouve pas
anéanti. Le Dieu de Jésus-Christ est un Dieu glorieux et qui se manifeste dans sa gloire, même
dans la Passion. Et c’est bien cela la bonne nouvelle !

La puissance de Dieu n’est pas celle du prophète Élie qui égorge les prophètes du faux dieu Baal
(1R 18:40). Non : la puissance de Dieu se révèle à Élie dans un calme et une voix ténue
(1R 19:12), une fragilité, une vulnérabilité qu’annonce aussi la Passion de Jésus. Mais dans cette
fragilité, Dieu manifeste sa gloire grandiose, éclatante comme l’éclair, là où Jésus est élevé sur la
croix, c’est-à-dire sur la montagne.
La bonne nouvelle est que ces deux identités tiennent ensemble en Dieu. Même si le Christ passe
par la souffrance, le rejet et la mort, il ressuscite aussi. Il est la gloire de Dieu. C’est peut-être
même parce qu’il est la gloire de Dieu, qu’il peut traverser la mort.
Et pour moi aujourd’hui ? Quelle image du Christ est-ce que je préfère garder en moi ? Un Jésus
crucifié ou un Jésus ressuscité ? Un Jésus abaissé ou un Jésus glorieux ? La réaction de Pierre,
et des autres disciples, qui refusent la Passion du Christ, est sans doute celle qui est la mienne
lorsque je préfère croire en un Dieu tout-puissant. Mais comment est-ce que je reçois cet
abaissement du Christ ? Comment est-ce que j’arrive à tenir ensemble le Christ crucifié et le Christ
ressuscité ?
L’apôtre Paul reconnaît cette difficulté quand il s’adresse aux chrétiens de Corinthe. Il leur dit :
« Nous, nous proclamons un Christ crucifié, cause de chute pour les Juifs et folie pour les non-
Juifs ; mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs, un Christ qui est la puissance de Dieu et la
sagesse de Dieu. Car la folie de Dieu est plus sage que les humains, et la faiblesse de Dieu est
plus forte que les humains. » (1 Co 1:23-25)
Seigneur, donne-nous de vivre cette folie et cette faiblesse comme sagesse et force durant ce
temps de Carême.
Amen.