Sortir de sa paralysie (dimanche 8 décembre 2013)

Dimanche 8 décembre 2013

Texte biblique : Jérémie 15,10-21

Israël est en crise.

Depuis longtemps déjà, le pays est victime d’une grave sécheresse.

Les bêtes comme les hommes souffrent de la faim et de la soif.

A cette épreuve s’ajoutent les méfaits de l’insécurité et la crainte d’une guerre contre l’un de ses voisins menaçants : Babylone, l’Assyrie, l’Egypte.

Et comme il arrive parfois, lorsqu’un peuple traverse une grave crise, les dirigeants et les religieux ne savent plus trop quoi dire, tandis que des démagogues et des faux prophètes n’hésitent pas à dire n’importe quoi.

Cette crise est si profonde qu’elle atteint même la relation à Dieu.

S’intéresse-t-il vraiment à son peuple ?

Pour reprendre l’expression de Jérémie, n’agit-il pas comme un étranger qui « fait un crochet dans une ville », sans se sentir vraiment concerné par son devenir ?

Pire encore, l’Eternel peut-il vraiment quelque chose ?

Ne serait-il pas, et je cite de nouveau Jérémie, « semblable à un héros qui ne peut plus sauver ? »

Ainsi, Israël est en crise.

Et cette crise, tel un venin, paralyse, peu à peu, le prophète Jérémie.

Jérémie est d’abord paralysé dans son action.

Il se sent rejeté par une population qui ne lui pardonne pas ses critiques.

Et ce rejet est d’autant plus douloureux que ces critiques n’ont servi à rien : le peuple n’a pas changé sa manière de vivre.

Ainsi, Jérémie ressent douloureusement les épreuves de son peuple, il veut faire quelque chose pour lui mais il sait que, quoi qu’il fasse et quoi qu’il dise, il ne sera pas écouté.

Jérémie est également paralysé dans sa vocation.

Voyant son peuple souffrir, il désire lui annoncer des paroles d’espérance et de consolation. Or, Dieu lui insuffle des paroles d’avertissement et de jugement.

Jérémie n’arrive plus à parler de Dieu à son peuple.

Quant à parler du peuple à Dieu, à prier pour lui, Jérémie n’y arrive pas davantage.

Pourquoi intercéder pour le peuple et supplier Dieu d’agir ?

L’Eternel reste sourd à ses requêtes ; il refuse toute supplique en faveur d’Israël : « Même si Moïse et Samuel me parlaient, je ne les écouterais pas ».

Jérémie est ainsi paralysé dans sa vocation

Et cette paralysie s’étend à sa foi.

Désormais, Jérémie se demande si Dieu est fiable.

Peut-on vraiment compter sur Lui s’il ne répond pas à nos prières ?

N’est-il pas « comme une rivière au débit capricieux ? »

A force de traverser des épreuves qui lui semblent injustes, à force de voir des hommes martyrisés et des crapules prospérer, Jérémie perd confiance en Dieu.

Jérémie se demande également si Dieu est proche.

Il se souvient des jours heureux où Dieu lui adressait la Parole et où sa main le conduisait.

Il se sentait appelé, guidé, protégé par Dieu. Et il en éprouvait une joie profonde : « Ta parole m’a réjoui, m’a rendu profondément heureux ».

Maintenant, l’Eternel semble lointain, sa Parole ne réconforte plus le prophète.

Jérémie en vient à la question ultime : et si Dieu n’était qu’une illusion ?

« Vraiment, tu es devenu pour moi un mirage » ose le prophète.

Lorsque Dieu se tait, lorsque je ressens plus sa présence, lorsque le mal prospère, lorsque je me sens impuissant, lorsque la souffrance est trop grande, alors la réalité même de Dieu est remise en cause.

Et si je m’étais trompé ?

Et si j’avais suivi un mirage ?

La paralysie est totale : Jérémie ne sait plus quoi faire, il ne sait plus comment vivre sa vocation, il ne sait même plus s’il peut placer sa confiance en Dieu.

Et comme souvent, en situation de blocage, cette énergie bloquée se retourne contre lui. Jérémie en vient à remettre en cause sa propre existence : « Quel malheur, ma mère, que tu m’aies enfanté ! »

Crise du pays.

Paralysie de l’action.

Paralysie de la vocation

Paralysie de la foi

Remise en cause du sens de sa propre vie.

Cette situation dépressive, que traverse le prophète, ne nous est pas vraiment étrangère.

Même si les circonstances sont totalement différentes, notre pays traverse également une crise économique, sociale, identitaire, spirituelle.

Confronté à cette crise, chacun tâtonne : les responsables politiques, mais également les journalistes, les philosophes, les croyants.

Au fil des ans, la crise a distillé son venin et nous a tous paralysés.

Comme Jérémie, nous sommes paralysés dans nos actions lorsque nous ne savons plus quoi faire pour redresser notre pays, soulager sans déresponsabiliser, redresser sans diviser.

Comme Jérémie, nous sommes paralysés dans notre vocation lorsque nous n’osons plus témoigner de l’Evangile, parler de Dieu à ceux qui le connaissent pas, de peur d’être rejetés, de ne pas trouver les mots, ou, pire encore, d’enfreindre le tabou suprême de la laïcité. Nous n’osons plus porter, dans la prière, notre pays et notre monde à Dieu, parce que nous ne croyons plus vraiment qu’il puisse agir en notre faveur.

Enfin, comme Jérémie, nous sommes paralysés dans notre foi lorsque Dieu nous parait lointain, voire absent, sans prise réelle sur notre vie.

Que faire alors ?

Jérémie proteste contre Dieu.

Il se plaint à Lui, il l’attaque en frôlant le blasphème mais il garde le contact avec son Créateur.

Ce Dieu qu’il ne comprend pas, ce Dieu qu’il critique pour son inaction reste son Dieu.

Même au pire moment de la plainte et de la révolte, Jérémie continue à lui parler.

Et parce que le contact est maintenu, Jérémie entend Dieu lui parler.

Jérémie balançait entre l’espoir infantile que Dieu agisse à sa place et la crainte qu’il l’abandonne.

L’Eternel ne va faire ni l’un ni l’autre.

Il n’abandonne pas Jérémie mais se refuse également d’agir à sa place.

Il lui adresse la Parole et lui ordonne de faire de se relever, de se redresser devant Lui.

Jérémie doutait de Dieu.

Dieu l’exhorte à cesser de se complaire dans un « entre deux spirituel » et à faire résolument le choix de la foi.

« Lève-toi » dit-il à Jérémie.

Chers amis, les uns et les autres, nous trouvons toujours de bonnes raisons de douter de Dieu : des maladies qui nous invalident, des prières non exaucées, une humanité qui souffre et fait souffrir, une vie qui nous blesse ou nous déçoit, la peur de suivre un mirage en écoutant Dieu ou de ne pas connaître les mots pour témoigner de lui.

Alors, ce texte nous le rappelle utilement : la foi n’est pas un simple sentiment intérieur, mais aussi une décision.

Je décide de faire confiance à Dieu.

Je décide de sortir du marais du doute.

Je décide de me relever, de me remettre debout, comme Jérémie, comme Elie effondré sous son genêt et à qui Dieu ordonne « Lève-toi et mange », comme le paralysé à qui Jésus dit « lève-toi et marche ».

Si tu fais ce choix, alors tu as une chance de sortir de tes autres paralysies.

D’abord, tu retrouveras le fil de ta vocation.

Comme Jérémie, tu te demandes pourquoi témoigner de Dieu et comment le faire.

« Si tu prononces des paroles valables, tes paroles seront les miennes ». répond l’Eternel.

Autrement dit, si tu me fais confiance, si tu m’écoutes, si tu me pries, si tu désires partager l’Evangile, alors, ne t’inquiète pas, tes mots, même balbutiants, même maladroits, auront de l’écho. Et même si tu ne parles pas, ta vie témoignera de l’Evangile.

Tu pourras également agir.

Dans un livre d’Arthur Koestler, un malade demande à son médecin : « Docteur, quand pourrais-je de nouveau marcher ? » Et ce dernier lui répond : « tu marcheras de nouveau lorsque tu sauras où aller ».

Un croyant redressé devant Dieu, un croyant rétabli dans sa foi et confirmé dans sa vocation, est un croyant engagé et envoyé.

Pour s’en convaincre, il suffit de constater la proportion de chrétiens convaincus dans des œuvres et des mouvements parareligieux ou même totalement profanes.

Il suffit de se souvenir que nos œuvres protestantes ont été performantes et innovantes lorsqu’elles étaient portées par la foi de leurs membres.

Nous allons entrer dans une année d’élections et nous demander comment aider notre pays à sortir de sa paralysie.

Comme citoyens, je vous laisse juge.

Comme chrétiens, vous aiderez puissamment notre pays en faisant le choix de l’Evangile, en le partageant, en injectant de l’espérance.

Lorsqu’un prince électeur de Saxe demande à Luther comment gouverner chrétiennement sa principauté, Luther lui répond : « Veille à la remplir de chrétiens authentiques ».

Il est temps de conclure.

Lorsque nous sommes à terre, paralysés dans nos actions, notre vocation, notre foi, lorsque la pertinence de notre vie est en jeu, nous attendons de Dieu qu’il nous sauve magiquement et, en même temps, nous lui reprochons de ne pas le faire.

Alors, ce texte nous le rappelle utilement : Dieu nous appelle, nous relève, nous inspire et nous envoie.

Il dépend de nous de répondre à cet appel.

De prendre le risque de la foi 

D’en faire un axe prioritaire de notre vie 

De dire des « paroles valables » 

D’agir pour le bien commun 

Amen !